J'ai arrêté de regarder la télévision

l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je .... Corrigé. Texte : La
télévision, J.P. Toussaint. l - Compétences de lecture (10 points) ... Ainsi la
télévision empêche-t-elle toute analyse, tout exercice de la réflexion, de l'esprit
critique.

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BACCALAUREAT PROFESSIONNEL - SESSION DE JUIN 2003 - ANTILLES
J'ai arrêté de regarder la télévision. J'ai arrêté d'un coup,
définitivement, plus une émission,
pas même le sport. J'ai arrêté il y a un peu plus de six mois, fin juillet,
juste après la fin du
Tour de France. J'ai regardé comme tout le monde la retransmission de la
dernière étape du
Tour de France dans mon appartement de Berlin, tranquillement, l'étape des
Champs-Elysées,
qui s'est terminée par un sprint massif remporté par l'Ouzbek Abdoujaparov,
puis je me suis
levé et j'ai éteint le téléviseur. Je revois très bien le geste que j'ai
accompli alors, un geste très
simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s'allonge et qui
appuie sur le bouton,
l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je n'ai plus
jamais regardé la télévision.
[...]
Partout c'était les mêmes images indifférenciées, sans marges et sans en-
têtes, sans
explications, brutes, incompréhensibles, bruyantes et colorées, laides,
tristes, agressives et
joviales, syncopées, équivalentes, c'était des séries américaines
stéréotypées, c'était des clips,
c'était des chansons en anglais, c'était des jeux télévisés, c'était des
documentaires, c'était des
scènes de film sorties de leur contexte, des extraits, c'était des
extraits, c'était de la
chansonnette, c'était vivant, le public battait des mains en rythme,
c'était des hommes
politiques autour d'une table, c'était un débat, c'était du cirque, c'était
des acrobaties, c'était un
jeu télévisé, c'était le bonheur, des rires de stupéfaction incrédule, des
embrassades et des
larmes, c'était le gain d'une voiture en direct, des lèvres qui tremblaient
d'émotion, c'était des
documentaires, c'était la deuxième guerre mondiale, c'était une marche
funèbre, c'était des
colonnes de prisonniers allemands qui marchaient lentement sur le bord de
la route, c'était la
libération des camps de la mort, c'était des tas d'ossements sur la terre,
c'était dans toutes les
langues, il y avait plus de trente-deux chaînes, c'était en allemand,
c'était surtout en allemand,
c'était partout de la violence et des coups de feu, c'était des cadavres
étendus dans les rues,
c'était des informations, c'était des inondations, c'était du football,
c'était des jeux télévisés,
c'était un animateur avec ses fiches, c'était un compteur qui tournait que
tout le monde
regardait la tête levée dans le studio, le neuf, c'était le neuf, c'était
des applaudissements,
c'était la publicité, c'était des variétés, c'était des débats, c'était des
animaux, c'était de l'aviron
en studio, l'athlète ramait et les animateurs le regardaient faire d'un air
soucieux assis autour
d'une table ronde, il y avait un chronomètre en surimpression, c'était des
images de guerre, la
prise de vue et le son manquaient singulièrement d'assise, tout cela
semblait avoir été fait à la
va-vite, l'image tremblait, le cameraman devait courir lui aussi, c'était
quelques personnes qui
couraient dans une rue et on leur tirait dessus, c'était une dame qui
tombait, c'était une dame
qui était touchée, une dame d'une cinquantaine d'années allongée sur le
trottoir dans son
manteau gris un peu passé légèrement entrouvert et le bas déchiré, elle
avait été touchée à la
cuisse et elle criait, elle criait simplement, elle poussait de simples
cris d'horreur parce que sa
cuisse était ouverte, c'était les cris de cette dame qui avait mal, elle
appelait au secours, ce
n'était pas de la fiction, deux ou trois hommes revenaient pour l'aider et
la soulevaient sur le
bord du trottoir, on continuait à tirer, c'était des images d'archives,
c'était des informations,
c'était la publicité, c'était des voitures neuves qui serpentaient
lentement au flanc de routes
idylliques au coucher du soleil, c'était un concert de hard rock, c'était
des séries télévisées,
c'était de la musique classique, c'était un flash spécial d'informations,
c'était du saut à ski, le
skieur accroupi qui donnait l'impulsion et se lançait sur le tremplin, il
se laissait glisser
lentement sur la piste d'envol et quittait le monde en se figeant dans les
airs, il volait, il volait,
c'était magnifique, ce corps figé et courbé en avant, immobile et immuable
dans les airs.
C'était fini. C'était fini, j'avais éteint le téléviseur et je ne bougeais
plus dans le canapé.
Une des principales caractéristiques de la télévision quand elle est
allumée est de nous tenir
continûment en éveil de façon artificielle. Elle émet en effet en
permanence des signaux en
direction de notre esprit, des petites stimulations de toutes sortes,
visuelles et sonores, qui
éveillent notre attention et maintiennent notre esprit aux aguets. Mais, à
peine notre esprit,
alerté par ces signaux, a-t-il rassemblé ses forces en vue de la réflexion,
que la télévision est
déjà passée à autre chose, à la suite, à de nouvelles stimulations, à de
nouveaux signaux tout
aussi stridents que les précédents, si bien qu'à la longue, plutôt que
d'être tenu en éveil par
cette succession sans fin de signaux qui l'abusent, notre esprit, fort des
expériences
malheureuses qu'il vient de subir et désireux sans doute de ne pas se
laisser abuser de
nouveau, anticipe désormais la nature réelle des signaux qu'il reçoit, et,
au lieu de mobiliser
de nouveau ses forces en vue de la réflexion, les relâche au contraire et
se laisse aller à un
vagabondage passif au gré des images qui lui sont proposées. Ainsi notre
esprit, comme
anesthésié d'être aussi peu stimulé en même temps qu'autant sollicité,
demeure-t-il
essentiellement passif en face de la télévision. De plus en plus
indifférent aux images qu'il
reçoit, il finit d'ailleurs par ne plus réagir du tout lorsque de nouveaux
signaux lui sont
proposés, et, quand bien même réagirait-il encore, il se laisserait de
nouveau abuser par la
télévision, car, non seulement la télévision est fluide, qui ne laisse pas
le temps à la réflexion
de s'épanouir du fait de sa permanente fuite en avant, mais elle est
également étanche, en cela
qu'elle interdit tout échange de richesse entre notre esprit et ses
matières. Jean-Philippe TOUSSAINT,
La télévision, 1997 I - COMPÉTENCES DE LECTURE (10 points) l - "J'ai arrêté de regarder la télévision" écrit Jean-Philippe Toussaint.
Quelles critiques formule-t-il à l'égard de la télévision dans le troisième
paragraphe ? Selon lui, quelles sont les conséquences sur le téléspectateur
? (4 points)
2 -
a) Comment le spectacle télévisuel est-il présenté dans le deuxième
paragraphe (organisation des programmes, contenu des émissions, images
citées, etc.) ?
b) Quels sont dans ce deuxième paragraphe les différents procédés
d'écriture employés par l'auteur ? Vous étudierez en particulier la
ponctuation, le rôle des présentatifs, la valeur de l'imparfait, la
syntaxe, le lexique, etc.
En vous appuyant sur les analyses précédentes, vous direz quel est l'effet
produit sur le lecteur.
(6 points)
II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (10 points)
Vous n'êtes pas d'accord avec la décision de Jean-Philippe Toussaint :
"J'ai arrêté de regarder la télévision". Vous lui écrivez pour développer
ce point de vue (une quarantaine de lignes). N.B. ; Afin de respecter les règles de confidentialité, votre texte ne
révélera ni votre identité,ni le lieu où il est écrit.
Corrigé Texte : La télévision, J.P. Toussaint l - Compétences de lecture (10 points)
l - «J'ai arrêté de regarder la télévision» écrit Jean-Philippe Toussaint.
Quelles critiques formule-t-il à l'égard de la télévision dans le troisième
paragraphe ? Selon lui, quelles sont les conséquences pour le
téléspectateur ? (4 points)
La télévision, selon Jean-Philippe Toussaint, soumet le téléspectateur à
une sollicitation ininterrompue des sens, les stimulant en permanence par
des signaux visuels et sonores qui maintiennent le téléspectateur dans un
état de veille qui ne laisse jamais le temps nécessaire à la réflexion. En
réaction à cette excitation continue, l'esprit abusé par les « nouveaux
signaux aussi stridents que les précédents » se réfugie dans un «
vagabondage passif» : à la fois sollicité sans cesse et peu stimulé
intellectuellement, il est « anesthésié ». Se crée ainsi une perpétuelle «
fuite en avant » frustrante pour l'activité intellectuelle mise dans
l'impossibilité de s'exercer. Ainsi la télévision empêche-t-elle toute
analyse, tout exercice de la réflexion, de l'esprit critique.
En conséquence, le téléspectateur se réfugie dans une attitude passive. Il
réagira de moins en moins, comme hypnotisé par le flot télévisuel, et
deviendra indifférent.
2 -
a) Comment le spectacle télévisuel est-il présenté dans le deuxième
paragraphe (organisation des programmes, contenu des émissions, images
citées, etc.) ?
b) Quels sont dans ce deuxième paragraphe les différents procédés
d'écriture employés par l'auteur? Vous étudierez en particulier la
ponctuation, le rôle des présentatifs) la valeur de l'imparfait, la
syntaxe, le lexique, etc.
En vous appuyant sur les analyses précédentes, vous direz quel est l'effet
produit
sur le lecteur.
(6 points)
Le spectacle télévisuel est présenté dans le second paragraphe comme un «
fourre- tout » désordonné qui accumule pêle-mêle des éléments disparates
dans un flot ininterrompu et incohérent. Leur seul point commun est la
mauvaise qualité des images « indifférenciées, sans marges et sans en-
têtes, sans explications, brutes, incompréhensibles.