Créer, représenter, comprendre - HAL-SHS
«On peut envisager le monde comme une myriade de messages. .... Machine (
1948), et celui de Shannon et Weaver, The Mathematical Theory of
Communication (1949) ...... les travaux des Français Charcot, Janet et Bernheim
ont aussi joué un rôle [83; 84]. ...... [NT 5] Le terme employé ici est adjustment
que les auteurs, p.
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in Videira, Antônio Augusto e Salinas, Sílvio R.A. (orgs.), A Cultura
da Física : Contribuições em homenagem a Amelia Imperio Hamburger,
Editora Livraria da Física, São Paulo, 2001, p. 95-107.
Créer, représenter, comprendre
CRÉATION ARTISTIQUE ET CRÉATION SCIENTIFIQUE
Michel Paty
RÉSUMÉ
Les objets de science, comme ceux de l'art, n'existent pas à l'état
naturel : ils sont ajoutés aux objets de la nature par l'activité
créatrice de l'homme. Créer, représenter, comprendre, caractérisent
également ces deux activités par ailleurs différentes dans l'intention,
dans les modalites et dans les effets, que sont l'art et la science. Et
c'est ce qui les rapproche étrangement.
Représenter et comprendre
Représenter et comprendre correspondent à un projet explicite
très ancien, qui renvoie à la situation de l'homme dans la nature, dans
le monde, aussi loin que l'on remonte aux origines de la vie sociale.
Les mythes mettant en scène des dieux et des héros, ou les généalogies
des rois, étaient dans la haute antiquité donnés comme des
représentations de l'ordre du monde destinées à le faire admettre, à
l'assimiler, à le faire "comprendre", dans un sens qui se confond pour
une bonne part avec celui de représentation entendue avec une
connotation réflexive : celui qui la reçoit et la redit y a sa place.
Comprendre, cela dut être pour l'essentiel, pendant longtemps, admettre
l'élément de sens ou de savoir considéré au sein d'un ordre existant,
comme prolongement de la conscience d'un sujet se trouvant à sa place
dans l'ensemble englobant, nature et société, qui l'environne.
II y aurait, en ce sens, dans cette compréhension primitive ou
première, quelque chose comme une nécessité vitale pour l'équilibre
psychique et social des individus, contre l'anxiété ou l'instabilité de
l'inconnu et de l'étrange, et il en reste sans doute aujourd'hui des
traces parmi les fonctions que l'on attache à la compréhension.
L'aspect d'appartenance, d'autre part, se trouve présent, d'une
certaine manière, dans la compréhension d'un savoir, mais transposé à
un ordre de réalités plus abstraites : des propositions cognitives
particulières s'ajustent dans une totalité dont elles tiennent leur
signification propre. Ces propositions et leur ensemble référentiel
sont pensés individuellement par des subjectivités, et le lien social
entre ces dernières est rendu par la communication, qui est en premier
lieu celle des mémoires (par l'enseignement et le contenu réactivé des
livres ou des autres textes écrits).
Tel est peut-être le sens atavique des idées sur la connaissance
que l'on retrouve encore chez Platon, par exemple dans son dialogue
Menon, où Socrate fait comprendre des vérités mathématiques à l'esclave
inculte en suscitant chez lui leur re-découverte, par le simple guide
du raisonnement. L'esclave non seulement les comprenait mais les
découvrait par lui-même (et en lui-même). L'expérience de la
compréhension (ou de l'intelligibilité), pour être elle-même comprise,
demandait alors de rapporter l'intelligence d'une connaissance nouvelle
à la remémoration, dans une doctrine héritée de la métempsychose
familière aux Pythagoriciens.
Cette interprétation de la compréhension par la mémoire
s'opposait cependant à une idée qui devait s'imposer plus tard aux
esprits modernes (contemporains) avec de plus en plus d'évidence :
celle que la compréhension peut accompagner un acte de création. L'idée
de création demande de sortir de la mémoire, car tout ne pré-existait
pas, et l'on expérimenta qu'il est possible de comprendre quelque chose
qui ne se ramène à rien qui soit connu. Après l'enthousiasme de la
redécouverte des auteurs de l'Antiquité classique à la Renaissance, les
hommes de science s'aperçurent que tout ne se trouvait pas dans les
auteurs anciens, dans les écrits du passé - un passé conçu comme l'âge
d'or ou le paradis de l'omniscience perdue. Il fallait désormais se
mettre à l'école du livre de la nature et développer l'exercice de la
raison, librement.
L'esprit moderne des sciences se définissait, précisément, comme
situé en dehors de l'érudition et rejetait toute autorité livresque et
tradition des anciens. Les noms de Galilée et Descartes symbolisent
cette conception qui ouvrait le champ de la liberté intellectuelle et
de la création, sans pour autant que ce dernier terme fût encore
pleinement reconnu. Du moins, l'intelligibilité était-elle devenue
l'exigence première, avec le sens de l'expérience singulière d'un
sujet, posée comme condition de sa validité universelle (par l'égalité
en raison des sujets humains).
L'art, de même, ne comportait pas encore, au cours des mêmes
époques, l'idée de création : faire une ?uvre d'art, c'était
reproduire, ou construire selon une harmonie, conçue en termes de
proportions inscrites dans la nature éternelle ou dans la loi divine,
selon des normes qui n'appartenaient pas aux humains : des chants
orphiques (ou de ceux des bardes) aux conceptions de Platon sur la
poésie[1], ou à la Poétique d'Aristote, une continuité se laisse
entrevoir, malgré les transformations de la fonction. à la fin du Moyen
âge, la poésie de Dante était encore, comme celle de Virgile, une
célébration, et de même, un peu plus tard, au xviè siècle, celle de
Camoens.
L'art et la science dans leur lien à la nature ne se confondaient
pas pour autant, et la fonction du logos, de la raison, nettement
précisée dans la pensée philosophique et scientifique, faisait la
différence. Traditionnellement, et en particulier de la Renaissance au
siècle des Lumières, l'art fut lié à l'imagination et à la mémoire, et
les sciences à la raison. Si l'on pouvait, pour les deux, parler
d'"invention", c'était dans le sens de "trouver ce qui était déjà là
mais caché" : en latin, invenire. Le mot de découverte et celui
d'invention se recouvraient dans ce même sens de retrouver et dévoiler
(dé-couvrir). Des variations sémantiques ont pu les différencier, mais
sans laisser voir que l'un serait davantage que l'autre lié à une
liberté de l'esprit créateur (sinon dans un certain sens péjoratif
d'"inventions"). (D'un autre coté, le latin d'église parle, dans la
liturgie catholique, de l'invention de la Sainte Croix, qui n'était
évidemment pas pensée sur le mode de la fiction, mais dans le sens
premier de découvrir ou retrouver).
Liberté et création
L'idée de création, entendue comme le résultat d'une activité
humaine, est plus récente. Elle est d'ailleurs variable avec les
cultures et les civilisations. Dans l'univers des anciens Grecs, la
fonction de créer revenait au démiurge, créateur de mondes (voir le
Timée de Platon). Les ingénieurs étaient peut-être les seuls humains
créateurs, fabriquant des artefacts, mais cette activité fut longtemps
conçue séparément de la pensée théorique, c'est-à-dire, pour cet
univers mental, de la pensée au sens plein du terme. Démiurges humains,
ils copiaient mécaniquement le monde avec des effets curieux. Du moins
leur accorda-t-on, les premiers, le droit au titre d'inventeurs. Peut-
être, au Moyen-âge, les bâtisseurs de cathédrales étaient-ils
considérés comme des créateurs, mais ils étaient avant tout (et se
voulaient) d'humbles servants de la gloire divine, et l'on concevait
que c'était Dieu qui directement les inspirait. Cela vaut aussi pour
les peintres et sculpteurs, dont les sujets étaient alors presque
exclusivement religieux (témoins, par exemple, Roublev, peintre
d'icones[2], les artistes italiens du Quattrocento, les premières
peintures du Gréco).
L'art, en général, resta longtemps le fait de l'artisan, entre
les Ecoles et les Métiers. La question de l'?uvre individuelle ne se
posa que tardivement : à partir de la Renaissance l'on s'intéressa aux
noms des artistes. C'était aussi l'époque de la découverte du droit à
la subjectivité, mais dans une conception de l'individualité que
tempérait, pour lui garder un sens selon la double exigence de
signification et de communication, une idée explicite de l'universalité
(elle-même liée dès l'origine à la notion de logos, ou raison)[3]. La
libération des thèmes, des formes, des moyens, allait aussi avec la
revendication du droit à l'interprétation (de la lecture de la Bible,
par exemple), au libre arbitre, en même temps qu'avec
l'approfondissement de la représentation, par des procédés qui étaient
explicitement des reconstructions, si l'on considère, par exemple,
l'invention de la perspective.
Il fallait une idée forte de la liberté pour concevoir l'idée de
création. Cette dernière supposait non seulement découvrir de nouvelles
expressions pour les significations, de nouvelles formes de
représentation, de nouvelles conventions symboliques, mais les détacher
d'une liaison avec des faits de nature admise jusque-là comme
nécessaire, sans que, pour autant, elles perdent leur pouvoir
signifiant. Créer, c'était établir librement de nouvelles
significations, faire du sens avec des éléments matériels, verbaux ou
symboliques qui n'étaient pas donnés tout faits, existant déjà là.
Si les conditions de la libération des esprits (et l'affirmation
du droit inaliénable à la liberté de penser) furent énoncées pleinement
aux xviiè et xviiiè siècles (de l'âge d'or classique au siècle des
Lumières), c'est au xixè qu'il revint de poser les bases de cette
subversion réflexive d