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8 juil. 2013 ... Il est bien naturel que, de par sa formation et son mode d'exercice, ... et a été
corrigé par les médecins du centre hospitalier de Chambéry. ...... augmentées
mais pas de corrélation entre la biologie et la clinique. ..... anorexie, constipation,
nausées, vomissements, douleurs abdominales. asthénie physique ...

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Le corps mis au langage du droit : comment conférer à la nature une
pertinence juridique
Baudouin Dupret *
* Institut Français du Proche-Orient (IFPO),
P.O. Box 344,
Damas, Syrie.
L'auteur Chargé de recherche au CNRS, en poste à l'Institut Français
du Proche-Orient (IFPO, Damas). Ses travaux portent principalement, dans le
contexte des sociétés arabes, sur les pratiques judiciaires et
parlementaires de production du droit, sur les pratiques normées dans des
environnements technologiques et sur les pratiques médiatiques de
véridiction.
Parmi ses publications :
- Au nom de quel droit. Répertoires juridiques et référence religieuse dans
la société égyptienne musulmane contemporaine, Paris, LGDJ, 2000 ;
- Standing Trial : Law and the Person in the Modern Middle East (dir.),
Londres, New York, Tauris, 2004 ;
- Le jugement en action. Ethnométhodologie du droit, de la morale et de la
justice en Égypte, Genève, Librairie Droz, 2006 ;
- Narratives of Truth in Islamic Law (dir.), Londres, New York, Tauris (à
paraître).
Résumé Droit et science constituent des formes distinctes de véridiction qui
souvent s'entrecroisent. Cet article s'intéresse au cas où la justice fait
appel à l'autorité scientifique pour stabiliser un certain nombre de faits
à propos desquels elle est tenue de rendre une décision. Après avoir
souligné le risque de maintenir le droit et la science dans une
incommensurabilité abstraite, l'article explore, à partir de cas égyptiens,
les modes pratiques du raisonnement juridique sur une question de
responsabilité médicale et montre la nécessité d'une analyse praxéologique
des relations qui unissent le droit et la science. Dans un troisième temps,
il décrit le travail d'énonciation de l'expertise et le travail d'écriture
du droit appuyé sur l'expertise. Analyse praxéologique - Expertise médicale - Travail d'écriture -
Véridiction juridique - Véridiction scientifique. Summary The Body in the Language of the Law : How to Make Nature Legally Relevant
Law and science constitute distinctive forms of truth claims that often
intersect each other. This article examines the situation where the
judiciary calls on scientific authority in order to stabilize some fact
issues regarding which it must take a decision. I first underscore the risk
to keep law and science in some abstract incommensurability. Then, drawing
from Egyptian cases, I explore the practical modes of legal reasoning in a
case of medical responsibility and show the necessity to perform a
praxiological analysis of the relationships between law and science. Third,
I analyse the work of enunciation of expertise and the work of writing of
the law grounded on expertise. Legal truth claims - Medical expertise - Praxiological analysis -
Scientific truth claims - Writing work.
Droit et science ont en commun une ambition à dire le vrai ou, du moins,
à tenter de réduire l'incertitude créée par l'écart entre un phénomène et
son intelligibilité. Tous deux constituent ce que Bruno Latour nomme des
formes de véridiction. Celles-ci s'appuient sans doute sur des appareils
d'administration de la preuve que l'on pourrait penser incommensurables.
Pourtant, si l'on veut bien considérer les champs respectifs de l'un et de
l'autre, dans leur extension maximale, il est de nombreuses situations où
l'on peut observer soit le recours à la science pour asseoir la décision
juridique, soit le recours au droit pour encadrer la pratique d'une science
appliquée. Dans cet article, j'examinerai le premier de ces cas, quand la
justice fait appel à l'autorité scientifique, dans le cours d'un procès,
pour stabiliser un certain nombre de faits à propos desquels elle est tenue
de rendre une décision.
Dans un premier temps, je m'intéresserai à la comparaison menée par
Latour des deux régimes de véridiction et je montrerai que celle-ci suppose
de faire de deux instances, à savoir le Conseil d'État et un laboratoire de
recherche, des paradigmes du droit et de la science, avec pour conséquence
une montée en généralité qui tend à essentialiser le droit et la science, à
en appauvrir la richesse phénoménologique et à les maintenir dans une
incommensurabilité abstraite. Dans un deuxième temps, je reprendrai les
travaux de Herbert Hart sur la causation en droit, ce qui me permettra
d'explorer les modes pratiques du raisonnement juridique. À partir d'une
question de responsabilité médicale, je m'attacherai à analyser le
raisonnement causal de la Cour de cassation égyptienne et son usage de
l'expertise médicale. Je montrerai que l'approche de Hart, parce qu'elle ne
considère le droit que dans le terminus ad quem du jugement, souffre de
défauts empêchant de prendre toute la mesure des relations qui, en justice,
unissent le droit et de la science. Dans un troisième temps, je
solliciterai les travaux de Michael Lynch et James Holstein sur l'expertise
scientifique en contexte judiciaire pour souligner l'intérêt d'une démarche
praxéologique à propos de la question de l'expertise devant les tribunaux.
Enfin, dans un dernier temps, je présenterai des cas tirés du contexte
égyptien pour décrire des situations ponctuelles de sollicitation de la
médecine par le droit. J'analyserai alors, d'une part, le travail
d'énonciation de l'expertise et, plus précisément, comment celle-ci est
produite à toutes fins juridiques et médicales pratiques. D'autre part,
j'observerai le travail d'écriture du droit et l'appui qu'il prend sur
l'expertise, tâchant de voir, en contexte et en action, comment les
magistrats s'orientent vers son autorité et lui confèrent forme et statut. I. Formes de véridiction Dans La fabrique du droit, Latour entreprend une ethnographie du Conseil
d'État qu'il met en perspective de ses travaux antérieurs sur la vie de
laboratoire et l'élaboration du savoir scientifique. Bien qu'il affirme ne
pas chercher à établir un rapport entre science et droit, mais entre deux
laboratoires, et bien qu'il affirme ne pas chercher à s'appuyer sur les
représentations des savants et jurisconsultes, mais plutôt sur le résultat
de ses enquêtes ethnographiques, l'auteur vise manifestement à poser un
jalon supplémentaire dans son projet global d'étude des modes contemporains
de véridiction et de comparaison de leurs régimes d'énonciation. Ainsi est-
il question du fait qu'en droit, « l'ensemble des procédures de détachement
permet d'assurer que l'on a bien douté » (ce que j'appelle l'orientation
vers la correction procédurale), tandis que, dans les sciences, « tous les
dispositifs d'un laboratoire tendent vers l'acquisition, la plus rapide
possible, de certitudes » [1] ; inversement, plus tard dans le processus,
le droit a pour vocation de trancher, tandis que les sciences s'en
remettent à autrui pour juger de la validité de leurs découvertes. Il en
ressort que les deux entreprises ont une notion différente de la
véridiction, le chercheur confondant le supplément d'instruction avec le
travail de jugement et le juge confondant les limites du jugement avec
celles du dossier. Si la « mise en science » et la « mise en droit »
consistent bien toutes deux en la réduction du monde à une opération
d'écriture, elles n'en empruntent pas moins des chemins très différents :
« La réduction juridique vise à rapidement stabiliser le monde des faits
indiscutables [...] pour rattacher le fait à une règle de droit [...] de
façon à produire un jugement » ; « la réduction savante [...] s'appuie sur
la superposition d'instruments, de graphes, de théodolites, de marqueurs,
de graduations, de mesures qui permet au raisonnement de faire comme s'il
allait toujours du semblable au semblable par-dessus l'abîme de la
transformation de la matière » [2]. Ce sont des formes de savoir totalement
différentes, les sciences visant à produire de la connaissance, le droit
cherchant à quadriller le monde, non pas pour produire de l'information,
mais pour assurer la permanence de sa capacité à qualifier les situations
qui lui sont soumises. C'est ainsi que l'objectivité du droit est sans
objet, qu'elle tient à la production d'un état mental par lequel le juge se
met physiquement en position de distance subjective par rapport à un objet
qui tend à constamment lui échapper, tandis que l'objectivité des sciences
est sans sujet, elle est « objectité », elle procède de la subjectivation
du chercheur au jugement de l'objet d'expérience [3], ceci procédant de la
finalité différente des deux entreprises, l'une visant à trancher, c'est-à-
dire à arrêter le processus incertain de la dispute sur les faits et leurs
conséquences juridiques, l'autre à dire le vrai, c'est-à-dire à formuler un
état de fait ignoré jusqu'alors.
Il n'y a aucune raison de remettre en cause ces affirmations
ponctuellement justes. Il reste qu'elles perdent de leur force dès lors
qu'en fin de parcours, elles ne reposent que sur la généralité indistincte
de termes, le « droit », d'une part, les « sciences », de l'autre, dont la
réalité ne peut toutefois prendre forme que dans leur accomplissement
contextuel et pratique. D'une certaine manière, il n'est guère étonnant que
ces modes de véridiction soient différents : objet, destinataires, auteurs,
contexte, finalité, intention, tout est là pour justifier leur caractère
foncièrement distinct. En même temps, l'affirmation de cette distinction
générique se fait au départ de situations spécifiques, le Conseil d'État,
d'un côté, un laboratoire, de l'autre. Pourtant, ni le droit ni la science
ne sont dotés d'une essence que l'on pourrait saisir à partir d'un lieu
privilégié. Le Con