Emma - La Bibliothèque électronique du Québec

À propos, je ne vous ai pas encore offert mes félicitations ; du reste, je me rends
.... en courant aussitôt emprunter deux parapluies chez le fermier Mitchell. ...... en
regardant Emma et Harriet alternativement ; enfin, il prit le cahier qui était sur la
...... compagnie afin de permettre à Mme Weston de prendre un peu d'exercice.

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Jane Austen


Emma



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BeQ
Jane Austen



















Emma



Traduit de l'anglais par Pierre de Puliga.











La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 868 : version 1.1








De la même auteure, à la Bibliothèque :



Persuasion

Orgueil et préjugés

Catherine Morland
















Emma








I




Emma Woodhouse, belle, intelligente, douée d'un heureux naturel,
disposant de larges revenus, semblait réunir sur sa tête les meilleurs dons
de l'existence ; elle allait atteindre sa vingt et unième année sans qu'une
souffrance même légère l'eût effleurée.

Fille cadette d'un père très affectueux et indulgent, elle s'était
trouvée de bonne heure, à la suite du mariage de sa s?ur aînée, investie du
rôle de maîtresse de maison. Encore en bas âge elle avait perdu sa mère et
ne conservait d'elle qu'un souvenir indistinct de lointaines caresses ; la
place de Mme Woodhouse fut occupée par une gouvernante qui avait entouré
l'enfant d'une affection quasi maternelle.

Mlle Taylor était restée seize ans dans la maison de M. Woodhouse, moins
en qualité d'institutrice que d'amie ; très attachée aux deux jeunes
filles, elle chérissait particulièrement Emma. Avant même que Mlle Taylor
eût cessé de tenir officiellement le rôle de gouvernante, la douceur de son
caractère lui permettait difficilement d'inspirer quelque contrainte ;
cette ombre d'autorité s'était vite évanouie et les deux femmes vivaient
depuis longtemps sur un pied d'égalité. Tout en ayant une grande
considération pour le jugement de Mlle Taylor, Emma se reposait
exclusivement sur le sien ! Les seuls écueils de la situation de la jeune
fille étaient précisément l'absence de toute influence et de tout frein, et
une prédisposition à avoir une confiance excessive en soi-même. Néanmoins,
pour l'instant, elle n'avait aucunement conscience des désavantages qui
menaçaient de ternir un jour son bonheur.

Le chagrin arriva sous une forme plutôt bénigne : Mlle Taylor se maria.
Pour la première fois, le jour du mariage de son amie bien-aimée, Emma fut
assaillie de pensées tristes de quelque durée. La cérémonie terminée et les
invités partis, son père et elle demeurèrent seuls, sans la perspective
d'un tiers pour égayer la longue soirée. M. Woodhouse s'assoupit après le
dîner, comme d'habitude, et Emma put mesurer l'étendue de son isolement.
Elle évoquait ces seize années d'infatigable affection : elle pensait avec
tendresse à celle qui avait dirigé ses jeux et ses études, apportant autant
d'ardeur à l'amuser qu'à l'instruire, et qui l'avait soignée avec un
dévouement absolu pendant les diverses maladies de l'enfance. De ce fait,
elle avait contracté vis-à-vis de Mlle Taylor une grande dette de
reconnaissance ; mais Emma conservait de la période de parfaite confiance
qui avait succédé, un souvenir encore plus doux.

Elle se demanda comment elle supporterait ce changement ? Malgré tous
ses avantages personnels et sa situation, elle allait se trouver isolée
intellectuellement ; son père en effet ne pouvait la suivre sur le terrain
d'une conversation sérieuse ou enjouée ; la grande disproportion de leurs
âges (M. Woodhouse ne s'était pas marié jeune) se trouvait augmentée par la
suite de la constitution et des habitudes de ce dernier ; dénué d'activité
physique et morale, il paraissait plus vieux qu'il ne l'était ; tout le
monde l'aimait pour la bonté de son c?ur et son aimable caractère, mais en
aucun temps il n'avait brillé par son esprit.

La s?ur d'Emma habitait Londres depuis son mariage, c'est-à-dire, en
réalité, à peu de distance ; elle se trouvait néanmoins hors de sa portée
journalière, et bien des longues soirées d'automne devraient être passées
solitairement à Hartfield avant que Noël n'amenât la visite d'Isabelle et
de son mari.

La petite ville d'Highbury dont Hartfield, malgré ses communaux, ses
bois et son nom, dépendait en réalité, ne pouvait fournir à Emma aucune
relation de son bord. Les Woodhouse étaient les gens importants de
l'endroit ; Emma avait de nombreuses connaissances car son père était poli
avec tout le monde mais il n'y avait personne qui fût en situation de
devenir pour elle une amie. En conséquence elle appréciait à sa valeur la
perte qu'elle venait de faire ; ses pensées étaient tristes mais elle prit
l'air gai dès que son père se réveilla ; c'était un homme nerveux,
facilement déprimé, très attaché à tous ceux qui l'entouraient, il
détestait toute espèce de changement et nourrissait une aversion
particulière pour le mariage - origine et principe de bouleversement dans
la famille - ; il n'avait pas encore pris son parti de celui de sa fille
aînée et continuait à parler d'elle avec un ton d'extrême compassion.

Dans le cas présent, son aimable égoïsme et son incapacité d'imaginer
chez les autres des sentiments différents des siens le prédisposaient à
juger que Mlle Taylor avait agi contre ses propres intérêts aussi bien que
contre ceux de ses amis ; il ne doutait pas qu'elle n'eût été plus heureuse
en restant à Hartfield.

Emma lui sourit et se mit à causer avec animation pour éviter qu'il ne
pensât à ces pénibles conjonctures ; néanmoins, quand on servit le thé, il
répéta exactement ce qu'il avait dit au dîner : « Pauvre Mlle Taylor ! Que
n'est-elle encore avec nous ! Quel malheur que M. Weston ait pensé à elle !

- Il m'est impossible, papa, de partager votre avis, M. Weston est un si
aimable, si excellent homme qu'il méritait bien de trouver une femme
accomplie ; et vous ne pouviez pas souhaiter que Mlle Taylor demeurât avec
nous toute sa vie à supporter mes caprices alors qu'il lui était loisible
de posséder une maison à elle ?

- Une maison à elle ! Quel avantage y voyez-vous ? Celle-ci n'est-elle
pas trois fois plus grande, et vous n'avez jamais de caprices, ma chère.

- Nous irons les voir très souvent et de leur côté, ils viendront
continuellement à Hartfield ; nous ne tarderons pas à leur faire la
première visite.

- Ma chère, comment voulez-vous que j'arrive jusque-là ? Randalls est à
une telle distance ! Je ne puis marcher si longtemps.

- Aussi papa, n'est-il pas question que vous alliez à pied. Nous irons
en voiture, naturellement.

- En voiture ! Mais James n'aimera pas atteler pour si peu ; et les
pauvres chevaux, que deviendront-ils pendant que nous ferons notre visite ?

- On les mettra dans l'écurie de M. Weston : c'est une affaire entendue.
Quant à James vous pouvez être sûr qu'il sera toujours enchanté d'aller à
Randalls où sa fille est femme de chambre. J'appréhende même qu'il ne
consente plus désormais à nous conduire ailleurs ! C'est vous, papa, qui
avez eu la pensée de proposer Anna pour cette bonne place.

- James vous en est si reconnaissant ! Je suis sûr qu'elle deviendra une
excellente domestique : c'est une fille polie, de bonnes manières ; chaque
fois que je la rencontre elle me tire la révérence et me demande très
gracieusement de mes nouvelles. Quand vous l'avez fait venir ici pour
travailler, j'ai remarqué qu'elle ouvrait toujours la porte avec précaution
et qu'elle prenait soin de la soutenir en la fermant. Ce sera une
consolation pour cette pauvre Mlle Taylor d'avoir auprès d'elle un visage
familier. Chaque fois que James ira voir sa fille, il donnera de nos
nouvelles.

Emma s'efforça d'entretenir ce courant d'idées plus gaies et espéra
qu'avec l'aide du jacquet elle parviendrait à faire franchir heureusement à
son père le cap de la soirée. On apporta la table, mais à ce moment un
visiteur fut introduit et la rendit inutile.

M. Knightley était un homme de trente-sept ans, le frère aîné du mari
d'Isabelle et en même temps un très ancien et intime ami de la famille. Il
habitait à une demi-lieue d'Hartfield où il venait souvent et où il était
toujours le bienvenu ; ce soir là, il fut particulièrement fêté car il
arrivait de Londres et venait de faire une visite à leurs parents communs.
C'était une heureuse diversion qui tint M. Woodhouse de bonne humeur
pendant quelque temps ; après avoir obtenu tous les renseignements
possibles sur la santé de sa fille et de ses petits-enfants, M. Woodhouse
ajouta avec reconnaissance :

- C'est bien aimable à vous, M. Knightley, d'être sorti à cette heure
tardive pour nous faire une visite et d'avoir bravé l'obscurité et le
froid.

- Je puis vous assurer, monsieur, qu'il y a un magnifique clair de lune
et le temps est si doux qu'il faut que je m'éloigne de votre grand feu.

- Mais la route doit être détrempée.

- Regardez mes bottines : vous voyez ! Il n'y a pas une tache de boue.

- C'est étonnant, car, ici, la pluie n'a cessé de tomber. J'avais même
proposé de remettre le mariage.

- À propos, je ne vous ai pas encore offert mes félicitations ; du
reste, je me rends compte du genre de satisfaction que vous devez
éprouver ! J'espère que tout s'est passé aussi bien que possible. Comment
vous êtes-vous comportés ? Qui est-ce qui a versé le plus de larmes ?

- Ah ! pauvre mademoiselle Taylor ! C'est une triste affaire.

- Dites plutôt : pauvres M.