La_nation_chez_Alexi.. - Raison publique
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Le concept de nation chez Alexis de Tocqueville Résumé Cet article tente de lever le voile sur un concept très peu étudié
chez Alexis de Tocqueville, à savoir la nation. Une lecture herméneutique
de ses écrits permettra de présenter la nation comme un instrument
d'identification et de liberté nécessaire au bon gouvernement. Pour ce
faire, les concepts de patriotisme réfléchi et irréfléchi seront revisités
et inscrits dans une théorie plus globale de l'auteur axée sur la recherche
d'un point d'équilibre entre la liberté et l'égalité. C'est dans ce cadre
que le libéralisme de Tocqueville et son attachement à l'idée nationale
prendront alors tout leur sens. Abstract This article attempts to shed some light on one of the less studied
part of Alexis de Tocqueville's theory: the concept of nation. A
hermeneutical reading of his writings will lead to a specific view of the
nation as a means of identification and liberty sine qua non to a good
government. Both his conceptions of patriotism will be redefined and
transposed to a broader theory aiming to bridge the conceptual gap between
liberty and equality. It is in this new framework that the national
question in Tocqueville's liberalism will reach its full expression. Selon Pierre Manent (2001, 70), « Tocqueville présuppose le fait
national, il ne l'analyse pas ». Les présupposés ont chez Tocqueville un
rôle tout particulier à jouer. En effet, il considère que tout individu
doit encadrer sa pensée de présupposés et que ces derniers deviennent des
points de repère dans le monde des idées et des croyances (1981, 16). Les
philosophes sont également touchés par cette règle puisqu'il n'y en a pas
de si grand « dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi
d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.
Ceci est non seulement nécessaire mais désirable » (Tocqueville, 1981, 16).
Cette « servitude salutaire (qui( permet de faire un bon usage de la
liberté » est une constante dans les écrits de Tocqueville (1981, 16).
Manent laisserait-il alors envisager que la Nation fait partie de ces
concepts que l'auteur prend pour acquis, qu'il présuppose sans analyser ? C'est ce que semble croire de nombreux analystes. Françoise Mélonio
parle ainsi de la cécité de Tocqueville par rapport au fait national et
regrette que l'auteur n'attaque jamais ce concept de front (1993, 107). De
la même manière dans son ouvrage intitulé Le Vocabulaire de Tocqueville,
Anne Amiel qui reprend les concepts chers à l'auteur pour en rappeler la
définition, n'a pas jugé intéressant ou même utile d'y faire figurer le mot
« Nation ». Et, plus significatif encore, l'auteur est souvent pointé du
doigt pour ses définitions généralement floues (Capdeville, 2007) et ce
notamment lorsqu'il traite de la démocratie « sans la définir jamais avec
rigueur » (Aron, 1960, 164). Selon Laurence Guellec (2004, 241), ce manque
de rigueur s'expliquerait par un principe issu de la tradition des
encyclopédistes qui voudrait que la meilleure définition qui puisse être
donnée à un concept en soit son analyse, à l'instar d'une de sources
d'inspiration reconnue de Tocqueville, le baron de Montesquieu. Alors, pour
comprendre et définir un tout, l'auteur n'hésite pas à le déconstruire en
parties et à analyser ces dites parties les unes après les autres. Il
serait aisé d'en rester là. En effet, Tocqueville n'a pas écrit de grands
chapitres sur le concept de nation, et encore moins d'ouvrage sur le sujet.
Toutefois, il semble intéressant de suivre le conseil de Françoise Mélonio
(1993, 296) quand elle laisse entendre que notre auteur, bien qu'étudié
depuis des décennies, a encore beaucoup à apprendre à celui qui prend le
temps de l'appréhender avec un regard nouveau. Alexis de Tocqueville est un auteur dont les analyses, parfois
prémonitoires, sont d'une grande finesse et ce grâce à une conscience
méthodologique particulièrement développée. L'auteur tient en horreur les
analyses superficielles et les généralités qu'il pense, par ailleurs, être
une des futures dérives de la société démocratique (Tocqueville, 1986,
253). Contrairement à ce qui est mis de l'avant par les auteurs précités,
il devient clair que Tocqueville est plus sérieux et attaché aux détails
que ce qu'il n'y paraît. Sa tendance à dire le complexe a par ailleurs
amené de nombreux analystes à le simplifier, tantôt en insistant sur sa
théorie de la liberté (Aron, 1960), tantôt sur son côté républicain
(Audier, 2004, 15). Soi-disant redécouvert, dans le paysage francophone du
moins, dans le courant des années 70, il aurait par ailleurs permis de
remplir le vide philosophique laissé par la chute de la pensée marxiste
(Audier, 2004, 7). Un point semble toutefois faire l'unanimité, c'est la
définition que Tocqueville se donne de lui-même, celle qui sera reprise
dans cet article, et qui revient à l'envisager comme un penseur « libéral
d'une espèce nouvelle » (Lettre de Alexis de Tocqueville à Eugène Stöffels,
24 Juillet 1836 dans Tocqueville, 2003a, 352). En effet, l'auteur est
conscient des changements en place dans la société qui l'entoure et
souligne la nécessité d'une « science politique nouvelle à un monde tout
nouveau » (Tocqueville, 1986, 43). Comment, en tant que penseur libéral, concilie-t-il l'universalisme
du libéralisme et le particularisme inhérent à la question nationale ? Dans
cet article, nous allons montrer que Tocqueville, bien qu'étant libéral,
n'envisage pas l'individu en dehors du cadre de la société ou dans un 'état
de nature' comme le dit l'expression consacrée. Cependant, l'auteur est
également le témoin de changements radicaux qui redéfinissent la société
dans laquelle il évolue. C'est cette marche providentielle vers la
démocratie, vers une égalisation croissante des conditions au sein de la
société qui se situe au centre de la pensée de Tocqueville et que nous
devons garder en tête lorsque l'on étudie sa conception de la nation. En
effet, et cela deviendra plus clair au fur et à mesure de notre
démonstration, égalisation et construction nationale sont concurrentes et
indissociables. Alors, nous rejoignons Laurence Guellec et mettrons de
l'avant l'idée que la Nation fut, à tort, considérée comme « l'impensé de
la théorie politique de Tocqueville » (2005, 27). De plus, nous tenterons
de démontrer que ce « libéral d'une espèce nouvelle » offre de nombreux
outils pour mieux analyser la relation entre le libéralisme politique et la
question nationale, sujet encore aujourd'hui d'actualité tant l'état nation
semble survivre dans un environnement libéral et universaliste que beaucoup
pensaient incompatible avec le particularisme inhérent à la nation. Dès lors, cette analyse de la question nationale chez Tocqueville va
se diviser en trois parties. Dans une première partie plus descriptive,
nous mettrons de l'avant le rôle de référent identitaire que la nation
prend dans une société où l'égalisation des conditions apporte de
nombreuses modifications sociales. Par la suite, nous allons nous pencher
sur les concepts de patriotismes réfléchi et irréfléchi chez l'auteur. Ces
deux concepts, trop souvent mal interprétés, sont essentiels pour
comprendre comment les particularismes de la nation deviennent primordiaux
au déclenchement et à l'entretien du patriotisme irréfléchi, lui-même
condition sine qua non à la participation politique et donc à la liberté.
La distinction entre ces deux formes de patriotismes et la thèse développée
ici selon laquelle non seulement ils cohabitent mais sont également
complémentaires nous permettra de materialiser, dans une troisième partie,
la conciliation de la liberté et de la nation chez Tocqueville. Cette
démonstration sera basée sur une étude herméneutique des écrits d'Alexis de
Tocqueville, étude complétée par les analyses, parfois critiques, d'auteurs
ayant travaillé sur ce dernier. Avant de se plonger dans l'univers de Tocqueville, une mise en garde
sous forme de digression sémantique semble toutefois nécessaire. En effet,
il a été mis de l'avant que l'auteur avait des problèmes de définition et
afin d'éviter au lecteur quelques désagréments, voici certaines précisions
à ce sujet. Les termes de nation, race, peuple, patrie, pouvoir central,
opinion publique ou de gouvernement semblent parfois utilisés de manière
aléatoire par l'auteur (Jacques, 1995, 86; Guellec, 2004, 269). Cependant,
il sera défendu ici l'idée que ces termes ont leur signification propre
même si cela implique parfois que leur usage peut-être interchangeable.
Ainsi, il est important de préciser que la notion de patrie symbolise un
lien purement politique entre les individus. Par opposition, la nation est
principalement un lien identitaire sans pour autant impliquer qu'il ne soit
pas lui aussi politique. Alors que les deux font référence au pouvoir
central et à l'opinion publique, et ce via le concept de souveraineté
nationale, la première serait caractéristique d'une société libre alors que
la seconde serait le symbole d'une société égalitaire sans pour autant
s'exclure l'une de l'autre. En effet, il est important de garder à l'esprit
que pour Tocqueville, et cela sera détaillé par la suite, une société
démocratique est une société libre et égalitaire. L'identité au sein d'une
patrie ne serait alors point similaire à l'identité du gouvernement mais
plutôt une associa