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soleil, exercices physique, eau, régimes alimentaires » pour le « traitement des ...

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Paru sous le titre : :
Tourisme solaire : Néocolonialisme ou Eco-développement ? dans Cahiers
Internationaux du tourisme, 2009, 3, p. 53-74.


Néo-colonialisme solaire :


Tourisme blanc ou Dermo-politique ?


Bernard Andrieu


« La misère m'empêcha de croire que tout est bien
sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit
que l'histoire n'est pas tout »
Albert Camus, 1937, L'envers et L'endroit


« A vrai dire, peu d'adultes sont capables de voir la nature.
La plupart des gens ne voient que le soleil »
Ralph. W. Emerson, 1836, La nature.


Le désir d'ailleurs (F. Michel, J.D. Urbain, 2004) a justifié la
quête d'exotisme, à la manière de Victor Ségalen. La construction de
l'étranger (A. Rauch, 2002) ne fait pas toujours partie de la prise de
conscience du caractère colonial de la rencontre au soleil des autres
cultures. Lucien Febvre précisait déjà en 1922 combien une résurrection
compensatrice est recherchée par chaque être humain dans la sensibilité
corporelle : au culte de la Terre-Mère, une « résurrection, non moins
universelle, d'une sorte de culte du Soleil nourricier et guérisseur :
nudisme et camping, glissements éperdus dans l'air et l'eau » (L. Febvre,
1953, 230). Georges Hébert définissait en 1912 le bronzage dans une
perspective solaire pour l'Ecole des marins fusiliers, voyageurs
coloniaux : « l'air et la lumière constituent les premiers aliments
nécessaires à la peau.. Sous l'influence de l'air et de la lumière, la peau
perd sa rugosité et son aspect livide ; elle prend une teinte bronzée
caractéristique et devient extrêmement douce au toucher »(G. Hebert, 1912,
63)
L'hommage au Dieu Soleil structure les vacances par un culte
hédoniste et une recherche du loisir exotique. Le tourisme solaire serait
depuis le XIXe siècle la cause principale du développement économique des
stations balnéaires. La migration vers le sud, au regard des projections de
l'INED sur l'habitat et le vieillissement des populations, renforce la
conviction que la chaleur serait plus favorable à la santé. Comme l'indique
Albert Camus dans L'envers et l'endroit : « La pauvreté, d'abord, n'a
jamais été un malheur pour moi : la lumière y répandait ses richesses. Même
mes révoltes en ont été éclairées. Elles furent presque toujours, je crois
pouvoir le dire sans tricher, des révoltes pour tous, et pour que la vie de
tous soit élevée dans la lumière. Il n'est pas sûr que mon coeur fût
naturellement disposé à cette sorte d'amour. Mais les circonstances m'ont
aidé. Pour corriger une indifférence naturelle, je fus placé à mi-distance
de la misère et du soleil. La misère m'empêcha de croire que tout est bien
sous le soleil et dans l'histoire; le soleil m'apprit que l'histoire n'est
pas tout. Changer la vie, oui, mais non le monde dont je faisais ma
divinité. C'est ainsi, sans doute, que j'abordai cette carrière
inconfortable où je suis, m'engageant avec innocence sur un fil d'équilibre
où j'avance péniblement, sans être sûr d'atteindre le but. Autrement dit,
je devins un artiste, s'il est vrai qu'il n'est pas d'art sans refus ni
sans consentement. Dans tous les cas, la belle chaleur qui régnait sur mon
enfance m'a privé de tout ressentiment. Je vivais dans la gêne, mais aussi
dans une sorte de jouissance. Je me sentais des forces infinies : il
fallait seulement leur trouver un point d'application. Ce n'était pas la
pauvreté qui faisait obstacle à ces forces : en Afrique, la mer et le
soleil ne coûtent rien ».
Comment étudier le tourisme (M. Boyer, 2002, 400) dès lors que le
tourisme ethnique est présenté par l'éco-développement aujourd'hui comme
une alternative idéologique au tourisme raciste des néocolonisateurs. Car
c'est bien le tourisme, en l'occurrence ici solaire, qui est « un
excellent révélateur des transformations profonde de la conjoncture
économique » (M. Boyer 2000, 276). L'invention, en passant de l'été à
l'hiver, de la Côte d'Azur en 1887 par Stephane Liegeard (1830-1925)
synthétise cet intérêt économique par l'adition d'éléments comme « la mer
bleue, le soleil et les fleurs » (M. Boyer, 2002b,318). Partir au soleil
l'hiver, comme aujourd'hui au Maroc et en Tunisie, trouve dans la Côte
d'Azur un précédent néocolonial, les européens franchissant désormais la
Méditerranée.
Cette migration vers le soleil comme destin de l'homme blanc
occidental a été décrite par Henry D. Thoreau entre 1851 et 1860 dans sa
conférence « « Marcher » publié en 1862. Avocat de la Nature, de la
liberté absolue, Thoreau estime que l'être humain est d'abord un habitant
ou une partie intégrante de la nature plutôt que comme un membre de la
société. En vivant beaucoup dehors par l'exposition au soleil et au vent
une certaine rudesse de caractère pourra être acquise. Mais l'accent est
mis, dans cet éloge de la marche, sur l'attraction de l'humanité vers
l'Ouest : le soleil « semble migrer quotidiennement vers l'ouest et nous
invite à le suivre. Il est le Grand Pionnier Occidental que suivent les
nations » (H.D. Thoreau, 1862, 191-192). Mais la marche vers l'Ouest
devient aussi un nouveau pèlerinage, sinon nouvelle croisade vers le Sud,
le soleil devant une métaphore religieuse : « C'est ainsi que nous marchons
comme les pèlerins qui vont en Terre sainte jusqu'au jour où le soleil
brillera encore plus que jamais, illuminant peut-être nos c?urs et nos
esprits, déversant sur toutes nos vies une clarté qui nous réveillera,
aussi chaude, aussi sereine, aussi dorée que celle qu'on voit sur la berge
d'une rivière en automne » (H.D. Thoreau, 1862, 216).
Cette quête est confirmée en terme économique par Jean Viard comme une
nouvelle galaxie du tourisme : « L'attrait confirmé pour le soleil et
notamment le développement de la pratique de « la semaine d'hiver au
soleil » favorise pourtant « le tourisme aérien en raison de la distance
nécessaire à parcourir pour trouver le soleil et la durée relativement
courte de ces vacances » (J. Viard, 1998, 202). La Méditerranée devient un
enjeu politique et économique pour le tourisme.
Ainsi l'Union pour la Méditerranée (l'appellation officielle est
« Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée ») est une
organisation internationale intergouvernementale à vocation régionale. Elle
est fondée à l'initiative du président de la République française Nicolas
Sarkozy le 13 juillet 2008 dans le cadre de la présidence française de
l'Union européenne. Elle rassemble des États riverains de la mer
Méditerranée et l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Elle
compte 43 membres : les 27 de l'UE, l'Albanie, l'Algérie, la Bosnie-
Herzégovine, la Croatie, l'Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc,
la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, l'Autorité palestinienne, la Syrie,
la Tunisie et la Turquie. Cette organisation se coule dans la structure du
processus de Barcelone, un pacte EuroMed liant l'Europe aux pays riverains
de la Méditerranée mis sur pied en 1995 à l'initiative de Jacques Chirac.
L'Union de la Méditerranée et le développement touristique viennent
renouveler la Costa del Sol qui a pu au cours des années 70 constituer une
alternative à la Riviera. Le maître mot de l'Union pour la Méditerranée est
de rapprocher les deux rives en développant une zone de libre-échange comme
il en existe dans d'autres grands pôles géostratégiques sur la planète. En
Amérique latine avec le Mercosur ou en Asie avec l'ASEAN. Priorité donnée
au domaine environnemental et scientifique : lutte contre les aléas
climatiques, dépollution de la mer Méditerranée, agroalimentaire, énergie
solaire. Les pays du Sud sont des pays jeunes (à fort taux de populations
en dessous de 35 ans) aujourd'hui encore en pleine expansion démographique.
A lui seul, le Maghreb compte déjà 85 millions d'habitants. Elargi à la
totalité des pays du projet d'Union pour la méditerranée, la manne passe à
140 millions.






Médecine coloniale,civilisation blanche et poursuite du soleil

Olivier Siros t(1998, 75) précise comment le touriste aventurier est
pris sous deux ruses, vivre intensément et devenir un objet cosmique :
l'intensification sensorielle procure l'illusion qu'ailleurs au soleil la
vie sera meilleure ; en se rapprochant de la nature, le bronzé paraît
réintégrer le cosmos par l'action directe du soleil sur sa peau.

Par son aventure marine (J. Griffet, 1995, 69-94), Alain Gerbault
(1893-1941) ouvre la voie de cette poursuite du soleil à la fois comme En
1921, il décide de changer de vie et achète en Angleterre un vieux voilier
de course : le Firecrest (crête de feu, allusion probable au feu de Saint-
Elme), construit en 1892 qui est un bateau solide, très logeable et marin,
mais sans rouf ni cockpit et dont le gréement n'était pas du tout approprié
à la navigation solitaire. Après un entraînement de plusieurs mois en
Méditerranée, il réalise en 1923 la première traversée de l'Atlantique en
solitaire d'est en ouest, ralliant en 101 jours Gibraltar à New York.
repart en 1924 pour les mers du Sud, passant par les Bermudes, le canal de
Panama, les Galápagos, Tahiti, les îles Fidji, la Réunion, Le Cap, l'Île
Sainte-Hélène, les îles du Cap Vert et les Açores, pour rejoindre Le Havre