Quand je pense à ma vie passée, je me demande parfois si je l'ai ...

Au cours des deux dernières années de sa vie, ses forces physiques et mentales
ont décliné; ... La photo de la page couverture : Jean Rocan, à l'âge de 90 ans.

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Survivre Une biographie de Jean Rocan
par Nicole Boudreau Avant-propos
En 1997, Jean Rocan m'a confié la tâche de rédiger l'histoire de sa
vie. Comme j'avais déjà travaillé à ses côtés pendant plus de 14 ans, je
fus honorée de me voir confier ce travail.
Nous nous sommes rencontrés à Montréal à plusieurs reprises; Jean
Rocan m'a raconté avec philosophie son existence et j'ai procédé à la
rédaction du présent document depuis l'enregistrement des propos qu'il m'a
confiés.
Il était alors âgé de 86 ans, toujours en pleine possession de sa
mémoire et de son jugement. L'histoire de sa vie nous révèle un homme
studieux, actif, toujours à la recherche de projets intéressants et maître
de lui-même. Il était également un homme doté d'un grand sens de la
sociabilité, un homme du monde respectueux, souvent enjoué, aimant la
musique et les plaisirs de la fête et recherchant l'équilibre nécessaire
entre le travail intellectuel et physique. Il s'est construit une
philosophie de vie bien à lui, qu'il a toujours défendue avec conviction et
à laquelle il est demeuré fidèle jusqu'à la fin de sa vie. Il a lui-même
révisé et approuvé le contenu du présent document.
Il est décédé le 7 juin 2002, à l'âge de 91 ans, à Ham Nord. Au cours
des deux dernières années de sa vie, ses forces physiques et mentales ont
décliné; il s'est éteint avec sérénité, épuisé par sa vie bien remplie et
sans le support médical des allopathes qu'il a tant décriés.
Son enseignement continue de nous inspirer. Mais, ce qu'il faut
surtout retenir à mes yeux, c'est que cet homme a fait le bien. Il s'est
consacré à améliorer le sort de la santé de ses semblables, souvent avec
fougue, parfois au détriment de sa vie de famille.
Je souhaite que chaque lecteur s'inspire de la vie de Jean Rocan pour
simplement chercher à mieux vivre.
Bonne lecture, Nicole Boudreau
Rédactrice et biologiste
La photo de la page couverture : Jean Rocan, à l'âge de 90 ans Table des matières La rencontre de mes parents 5
La petite enfance 6
La confession 7
Les jouets inventés 9
Je vais à l'école 11
J'ai sept ans 12
La famille est démantelée 13
Le retour sur la rue Garnier 15
Mon chien Boule 15
L'orphelinat 16
Le collège 18
La maladie 19
Le retour à l'orphelinat 19
L'hôpital 20
La santé 21
La lumière 22
Prépare-toi à mourir 22
Un accueil plutôt froid 23
Papa 23
La pharmacie Leduc 24
Les vertus de la chasteté 26
La trompette 27
Gérard Morin 28
Je quitte tante Antonia 30
Le retour à la campagne 31
Une histoire de cinéma 33
Mes premiers émois amoureux 37
Je roule en moto 41
Je change d'emploi 42
Je découvre Shelton 44
Jeanne Vanier 46
Des visiteurs allemands 47
Je me lance en affaires 48
La déclaration d'amour 49
Le mariage 50
La vie continue 51
L'industrie de guerre 52
Une décision douteuse 56
Un avion miniature téléguidé 57
Mon premier moulin à scie 58
Un moulin à scie à Lachute 59
La bombe explose à Hiroshima 62
Les années noires 63
Un cochon nommé Crésus 65
Un nouvel emploi de machiniste 67
J'achète la maison sur la rue Quintal 69
Je veux étudier la médecine 69
Je retourne sur les bancs d'école 71
Le refus 72
La vie de famille 73
Mon père 76
La vie est un oignon qu'on épluche en pleurant 77
Ma carrière de professeur 77
Le Collège St-Denis 79
La mort de papa 81
Le Collège Marie-Victorin 82
L'accident de Jeanne 84
La retraite obligatoire 88
La mort de Jeanne 90
La retraite de l'enseignement 91
La maison de jeûne 91
Herminie 92
Le changement de nom 93
La Ferme Rocan prend de l'ampleur 93
La mort de Roger Fréchette 96
L'enquête du coroner 97
Un mort ambulant 97
La réussite du travail d'équipe 98
Quand je pense à ma vie passée, je me demande parfois si je l'ai vraiment
vécu ou si je l'ai rêvée. La vie passe si vite.
La rencontre de mes parents C'est l'été 1914; je me balance dans la cour arrière de la maison
familiale de la rue Garnier à Montréal, sur une planche de bois attachée
par deux câbles à la branche d'un arbre. Les poules caquètent autour de moi
et la vache du voisin broute paisiblement.
J'entends soudain un grondement sourd et menaçant qui semble surgir du
ventre de la terre sous mes pieds. « Maman, le gros train a passé sous la
maison! » dis-je à ma mère en courant à la maison.
« Ce n'est pas le gros train que tu as entendu; c'est un tremblement
de terre. La terre a tremblé : le sol a bougé » m'a expliqué ma mère. Puis,
elle m'a rassuré, comme elle l'avait fait quand j'avais rêvé qu'une poule
se cachait dans le garde-robe en face de mon lit et que j'avais eu très
peur. Herminie, ma mère, une femme brune, altière, au visage sévère, se
destinait dans son jeune temps à la vie religieuse. Elle avait entrepris
son noviciat chez les S?urs Franciscaines de Marie à Québec, afin de se
dévouer à la prière et aux bonnes ?uvres. Mais une rencontre foudroyante
allait changer ses plans.
Napoléon Hébert, le père de ma mère, avait fondé une fanfare qui se
produisait le dimanche après-midi dans les parcs de Montréal. Herminie, en
congé du couvent de Québec, assistait au concert de la fanfare paternelle
quand son regard se posa sur le cornettiste mince et moustachu qui jouait
avec conviction. C'était un homme droit, de petite taille, aux traits
réguliers, avec un petit air espagnol tant ses cheveux étaient noirs.
Napoléon Hébert fit les présentations : Hermine Hébert, sa fille
novice, et Eugène Bastien, imprimeur et cornettiste, eurent le coup de
foudre. Napoléon maugréait : Eugène Bastien était un parti sans lustre et
sans fortune.
De retour au couvent, Herminie tomba malade; elle avait rencontré un
homme qui lui plaisait, mais était-ce une raison valable pour renoncer à la
vie religieuse?
Son médecin confident lui fit une prescription : elle devait épouser
l'homme qu'elle aimait. Napoléon Hébert contesta l'ordonnance médicale : sa fille méritait
mieux qu'un imprimeur aux revenus plutôt modestes. Mais la fièvre
d'Herminie ne s'apaiserait qu'à genou, devant l'autel.
Le mariage fut célébré à l'église du Sacré-C?ur de Montréal, le 17 mai
1904. Herminie avait dix-huit ans. Eugène, son mari, avait dix ans de plus.
Ils s'installèrent dans le « faubourg à m'lasse », un quartier ouvrier de
Montréal et c'est dans la maison sise au coin des rues Plessis et de
Montigny que naquirent leurs premiers enfants : Antoine, Édouard, Cécilien
et moi, Aimé. Je suis né le 20 mai 1911, à la maison. Le médecin qui assistait maman
a annoncé ma venue avec fierté : « Madame Hébert, c'est un garçon en santé,
beau et bien pris!
- Un garçon? »
Herminie avait déjà trois garçons et avait prié tous les saints du
ciel pour avoir enfin une fille. Elle avait cousu des robes de dentelle
pour accueillir sa première fille et se demandait, pendant que le médecin
me lavait, ce qu'elle ferait du trousseau de fillette qu'elle avait
préparé.
Herminie résolut vite son dilemme : l'esprit de bonté et de charité de
sa vie de noviciat l'habitait toujours puisqu'elle était tertiaire de St-
François et, sous l'affable influence de son directeur de conscience, le
père Aimé, elle me nomma Joseph Ulric Aimé Bastien et m'habilla avec du
linge de fille. Ainsi serait honoré le père Aimé, un saint homme, et serait
recyclé le linge du trousseau. Son garçon Aimé deviendrait peut-être
franciscain un jour, se consola Herminie.
Mes trois frères aînés, Antoine, Édouard et Cécilien dormaient
ensemble dans la chambre commune. Moi, le nouveau-né, je dormais dans un
berceau dans la chambre de papa et maman.
La petite enfance En 1912, papa a construit sa propre maison : en bon fils de menuisier,
il a érigé au 757 de la rue Garnier une demeure de quatre pièces : une
cuisine, un salon et deux chambres à coucher. C'est dans cette maison que
j'ai vécu mon enfance.
Nous vivions aux confins de la ville de Montréal, au nord de la rue
Laurier et du petit lac naturel appelé aujourd'hui le parc Lafontaine. Le
parc Laurier était à cette époque une carrière : la carrière Laurier.
Notre vie citadine ressemblait en fait à la vie rurale. Nous avions
l'eau courante et système d'égouts, fraîchement construit par la ville mais
nous n'avions pas le téléphone, la radio, l'électricité, ni la gaz.
Maman faisait un jardin et élevait des poules dans la cour arrière de
la maison; elle cousait tous nos vêtements et nous concoctait le meilleur
spaghetti en ville. Mon père, imprimeur chez C.R. Corneil dans le bas de la
ville, travaillait six jours par semaine; il prenait le tramway tous les
matins, son lunch sous le bras, pour se rendre au travail. Nous n'avions
pas assez d'argent pour avoir un cheval et une carriole. Sa journée
terminée, il revenait pour souper puis repartait, son cornet sous le bras,
jouer de la musique dans les parcs publics et les patinoires. Il rentrait
tard le soir; nous étions tous endormis, bien couvés par la présence
rassurante de maman.
Après ma naissance, maman a mis au monde trois autres enfants : deux
filles, Irène et Hermine, et un garçon, Raymond. Les s?urs de maman,
surtout Maria, venaient l'aider à chaque accouchement. Or, Maria avait ses
idées bien à elle sur l'origine des bébés.
« Ce sont les sauvages qui apportent les bébés » expliquait tante
Maria.
. Ils sont méchants, les sauvages? m'inquiétais-je.
. Ils sont très méchants avec les enfants qui ne sont pas tranquilles