Analyse et critique du discours argumentatif - CNRS

D'une façon générale, comment construire les instruments d'une critique du ....
force le texte ? dans ce cas, ou elle est fausse, ou le texte n'est même pas faux.
.... Il n'y a pas plus de marqueur linguistique du discours vrai que de marqueurs
... Plantin 1997a) ; il existe sans nul doute des cadres communicationnels qui ...

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Christian Plantin
CNRS - Université Lyon 2
plantin@univ-lyon2.fr Analyse et critique du discours argumentatif La logique, qu'on dit mère de l'argumentation (à moins que ce ne soit
l'inverse), est la science du transfert correct de la vérité d'énoncé à
énoncé. Elle distingue des discours enchaînés de façon valide et des
discours douteux comme "Je suis incompris. Les grands artistes sont
toujours incompris (soupir)", que l'on peut soupçonner de viser de façon
non valide la conclusion "Je suis un grand artiste".
Par généralisation ou par analogie, on peut se demander ce que devient
cette notion de validité lorsqu'on passe au discours ordinaire : la théorie
de l'argumentation fournit-elle les critères qui permettent d'opposer
discours "valide" et discours "non valide" ? Mais que signifie alors ce
terme ? Faut-il le prendre au sens purement logique, ou bien au sens large
de fallacieux, sophistique, mensonger, manipulatoire, pervers... ? D'une
façon générale, comment construire les instruments d'une critique du
discours argumentatif, instruments sans lesquels "l'esprit critique" risque
fort de tourner à vide ? La question revêt des aspects multiples, et peut
facilement donner lieu à malentendu.
Etant donné la diversité des conceptions de l'argumentation, il convient
d'abord de préciser la conception de l'argumentation qui sous-tendra la
discussion : elle est fondée sur l'interaction de discours en opposition
(§1). Les approches critiques existantes font appel à divers systèmes de
règles normatives pour donner une première définition du fallacieux ; mais
elles souffrent de limitations en ce qu'elles posent un idéal de discours
exprimé dans un langage "extra-ordinaire" (enrégimenté), décontextualisé,
alexithymique (§2). Par ailleurs, la notion de discours manipulateur est
loin d'être claire (§3). Nous montrerons en conclusion que la notion de
"discours contre" permet de gérer la dimension critique du discours
argumentatif sans postuler un système de normes extra-discursives (§4). Les
paragraphes suivant s'interrogent sur la relation entre position politique
de l'analyse de discours (AD) et position critique de l'analyse de
l'argumentation, dont les histoires récentes se sont construites dans
l'ignorance mutuelle durant les années 70 (§5) ; le §7 soutient que leur
jonction ne peut s'effectuer qu'autour de notions opératoires partagées. 1. L'interaction argumentative Selon l'approche adoptée ici, une situation langagière donnée commence à
devenir argumentative lorsqu'il s'y manifeste une opposition de discours.
L'interaction est pleinement argumentative lorsque cette différence est
problématisée en une Question, et que se dégagent nettement les trois rôles
actanciels de Proposant (soutenant pleinement une Proposition), d'Opposant
(rejetant cette Proposition) et de Tiers (s'interrogeant sur elle).
L'opposition de discours recouvre le refus de ratifier une proposition, la
simple différence de jugement ou divergence d'appréciation, comme le
désaccord, le litige, le différend, le conflit...
L'argumentation n'est donc localisée ni "dans la langue" ; ni comme une
simple posture énonciative, par laquelle le locuteur met en scène et gère
dans un discours monologique des images du monde, des objets, des
interlocuteurs et de leurs discours ; mais comme une forme d'interaction
problématisante formée d'interventions orientées par une question.
La notion de rôle argumentatif entraîne une distinction fondamentale entre
les actants (Proposant, Opposant et Tiers) et les acteurs de la
communication argumentative, qui sont les individus concrets engagés dans
la communication. Ces acteurs peuvent occuper successivement chacune des
trois positions argumentatives (ou rôles actanciels). Réciproquement, la
même position d'actant argumentateur peut être occupée par plusieurs
acteurs, c'est-à-dire par plusieurs individus alliés.
La distinction actants / acteurs permet de revenir sur le fameux slogan
bizarrement tant prisé "l'argumentation c'est la guerre", ainsi que la
famille de métaphores belliqueuses qu'on se plaît parfois à lui rattacher.
Il importe en effet de ne pas confondre l'opposition entre discours - entre
actants - et les éventuelles collaborations ou conflits entre personnes -
entre acteurs. La situation d'argumentation telle qu'elle vient d'être
définie n'est conflictuelle que lorsque les acteurs s'identifient aux rôles
argumentatifs. Dans le cas le plus évident, celui de la délibération
intérieure, le même acteur peut parcourir pacifiquement tous les rôles
actanciels. Si un groupe fortement lié par un intérêt commun examine une
question mettant en jeu cet intérêt commun, il arrive aussi que ses membres
examinent successivement les différentes réponses possibles à cette
question et les arguments qui les soutiennent. Au cours de ce processus,
ils parcourent de façon méthodique les différentes positions actancielles,
sans identification nette à l'une de ces positions, et sans qu'apparaissent
forcément des antagonismes d'acteurs.
Pour des raisons théoriques et empiriques, la polémicité n'est donc pas
inhérente à l'argumentation. Elle survient fatalement, semble-t-il, lorsque
les acteurs étant stabilisés sur des positions d'actants, les discours
jouent un rôle essentiel dans la structuration des personnes des
argumentateurs.[1] 2. Théorie de l'argumentation comme critique des paralogismes L'idée de critique du discours argumentatif s'est incarnée depuis vingt-
cinq siècles dans l'idée de critique des sophismes et des paralogismes
(fallacies), question sur laquelle se manifeste une différence profonde
entre les approches "continentales" et les approches "anglo-saxonnes" de
l'argumentation. La recherche de langue anglaise s'est d'abord développée
comme une théorie des paralogismes, à la suite de l'ouvrage fondamental de
Hamblin, Fallacies (1970). Partant de l'examen des conditions de validité
du syllogisme, vu comme l'instrument de la science, la démarche s'est
généralisée à la critique logico-épistémique du discours ordinaire.[2] Elle
apporte une réponse à la première question critique: "Peut-on, par
l'analyse linguistique et argumentative, montrer qu'un discours en langue
naturelle est un discours fallacieux ?". Cette problématique reste
étrangère aux approches en langue française, qu'elles se rattachent à la
linguistique de la langue, aux sciences cognitives ou rhétoriques.
Intérêt Avant de montrer sur un exemple développé l'intérêt de cette approche
prenons un exemple plaisant et récent :
De toutes façon, des baisses [de la Bourse] de 10% on n'en aura pas
pendant 10 jours (Entendu à la radio)
si la bourse baisse de 10% pendant 10 jours, il reste évidemment au
boursicoteur 34,86% de sa fortune. Autrement dit : l'argumentation en
langue naturelle doit aussi être en règle avec l'arithmétique, la
géométrie, l'algèbre et la physique, ni plus ni moins "naturelles" que la
logique. C'est un point sur lequel il convient d'insister. Les ouvrages sur les paralogismes mentionnent régulièrement l'existence
d'un paralogisme des quantificateurs, qui consiste en la permutation
fautive des quantificateurs "Il existe" et "Pour tout". Ainsi Woods &
Walton (1994 : 91) proposent d'analyser l'argumentation suivante comme un
paralogisme d'ambiguïté :
Tout a une cause / Chacun de nous a un père
donc Quelque chose est la cause de toute chose / Il existe un individu
qui est notre père à tous
Il n'est pas impossible d'attribuer au texte suivant, dans lequel on
reconnaîtra une variante de l'argument du Premier Moteur, une telle
structure.
Et tous les génies de la science, Copernic, Képler, Galilée, Descartes,
Leibnitz, Buler, Clarke, Cauchy, parlent comme lui [= Newton]. ils ont
tous vécu dans une véritable adoration de l'harmonie des mondes et de
la main toute puissante qui les a jetés dans l'espace et qui les y
soutient.
Et cette conviction, ce n'est pas par des élans, comme les poètes,
c'est par des chiffres, des théorèmes de géométrie qu'ils lui donnent
sa base nécessaire. Et leur raisonnement est si simple que des enfants
le suivraient. Voyez en effet : (1) Ils établissent d'abord que la
matière est essentiellement inerte ; que, par conséquent, si un élément
matériel est en mouvement, c'est qu'un autre l'y a contraint ; (2) car
tout mouvement de la matière est nécessairement un mouvement
communiqué. (3) Donc, disent-ils, (3a) puisqu'il y a dans le ciel un
mouvement immense, qui emporte dans les déserts infinis des milliards
de soleils d'un poids qui écrase l'imagination, (3b) c'est qu'il y a un
moteur tout puissant. Ils établissent en second lieu que ce mouvement
des cieux suppose résolus des problèmes de calcul qui ont demandé
trente années d'études [...]
Abbé Ém. Bougaud, Le Christianisme et le temps présent, T. 1, La
religion et l'irréligion. 5e édition. Paris : Poussielgue Frères,
1883.[3]
Le premier paragraphe argumente sur l'autorité experte des « génies de la
science », et le second paragraphe donne une preuve indépendante de
l'existence de la Main toute puissante. Le dispositif satisfait donc à une
exigence de base de l'argumentation d'autorité : les experts sont d'accord,
et il existe une preuve indépendante (Woods & Walton).
La charpente logico-rhétorique des énoncés cruciaux (1)-(3b), qui affiche
une claire intention argumentative, est la suivante :
(1) Ils établissent d'abord que P ; que, par conséquent, si Q, c'est
que R ;
(2) car