Deuxième partie: principes dynamiques et ... - Hal-SHS

La carte et le croquis à main levée de la carte deviennent alors l'outil et l'exercice
central d'une géographie qui cherche à combiner l'approche intuitive et l'exercice
...... À gauche, elle alimente les canaux de Craponne et des Alpilles, qui vont
irriguer les Bouches-du-Rhône et ramener un peu de verdure sur la Crau, vaste ...

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Francis MANZANO
Université Rennes-2 Haute Bretagne
Laboratoire "Ethnotextes, variations et pratiques dialectales"
(C.E.L.L.A.M.) SUR LES MÉCANISMES DU PAYSAGE
SOCIOLINGUISTIQUE ET IDENTITAIRE
D'AFRIQUE DU NORD.[1]
Première partie : Genèse du système tripolaire
1. Avant-propos[2].
Les soubresauts récents au Maghreb, ceux de l'Algérie en particulier,
font apparaître souvent de manière violente une série de tensions
identitaires et sociolinguistiques très typiques des personnalités
collectives d'Afrique du Nord.
Pour comprendre ce qui se passe et ce qui pourrait se passer bientôt,
il est bon de s'interroger sur la dynamique globale du système des langues
en présence, à condition de se donner des moyens de contrôle en profondeur.
De ce point de vue, il est probable qu'un regard trop synchronique conduit
à produire des simplifications que l'on pourrait considérer comme
politiquement légitimes, mais scientifiquement critiquables. L'une de ces
simplifications constantes dans la littérature technique ou émotionnelle
depuis une quarantaine d'années, consiste à enfermer les conflits
sociolinguistiques dans un déroulement historique et politique récent:
celui de la colonisation française, puis de la décolonisation. Un
emboîtement binaire qui présente plusieurs défauts. Il conduit en effet à
un débat réduit et piégé sur des dichotomies du type national/non-national,
local/véhiculaire, imposé/choisi, authentique/non authentique, et pose ces
différentes paires comme fondées par la colonisation française, en masquant
la permanence historique du contact des langues en Afrique du Nord. Il
conduit ensuite à un deuxième emboîtement, logé dans le précédent, celui de
l'affrontement direct entre arabe et français, ce qui amène à évacuer ou
marginaliser de facto le berbère. Autre piège, et non des moindres, celui
qui enferme les locuteurs dans les cadres préalables qui précèdent. Tout
acteur du paysage linguistique maghrébin (surtout durant les deux décennies
1960-1980) est presque obligé d'admettre comme légitimes les dialectiques
colonisation/décolonisation, français/arabe. Ne pas le faire reviendrait à
se mettre en position de déviance, position toujours délicate dans les
groupements nord-africains où la pression sociale est particulièrement
forte. Il s'en suit alors une forme de névrose très perceptible quand les
gens parlent des langues au Maghreb. Peuvent alors se croiser propos
positifs et propos négatifs : on aime et on déteste, on accueille et on
rejette à quelques mots de distance, mais cela concerne toutes les langues
en présence. 2. Faiblesses d'une structuration binaire: trois pôles et non deux.
L'organisation binaire qui vient d'être suggérée rend très mal compte
des réalités historiques des langues, comme on va le voir. Elle interdit en
outre toute perception dynamique du système d'interaction au sein du marché
linguistique dès lors qu'elle conduit à privilégier certains couples là où
les relations sont en fait plus complexes. Il est certes difficile
d'échapper aux travers d'une modélisation. Du moins peut-on s'efforcer
d'avoir une vue d'ensemble qui permette en même temps de rendre compte des
mouvements du passé et de contrôler les principales tendances à l'oeuvre à
la fin du XXème siècle. 2-1. La question du français et du pôle roman.
On fait généralement comme si le français était une langue importée,
par une sorte d'irruption imprévisible, comme en Afrique subsaharienne ou
en Asie par exemple. Il ne s'agit pas de remettre ici en question le rôle
évident de la colonisation (Algérie) ou des protectorats (Maroc, Tunisie)
dans l'implantation statutaire du français; mais il convient de préciser
que l'influence de cette langue est en réalité antérieure à l'implantation
strictement politique de la France et que l'installation du français
s'inscrit dans un processus beaucoup plus profond. Tout d'abord, certaines
études tendent à montrer que le français était utilisé avant l'acte
politique de la colonisation[3]. Dans les élites et la bourgeoisie
commerçante certainement, plus généralement au sein de groupes et chez des
individus en contact avec la France et l'Europe.
D'autre part, réduire la francisation à la colonisation fait perdre de
vue que le contact avec la Romania, avec des hauts et des bas, n'a jamais
été interrompu. De ce point de vue, le Maghreb, de longue date et
aujourd'hui encore, est situé sur une ligne de faille entre famille romane
et famille chamito-sémitique. Cette ligne se déplace et la francisation
n'est jamais qu'une concrétisation relativement récente d'un pôle roman
constitutif du paysage maghrébin.
C'est ce que nous montrerons dans un premier temps.
2-1-a. La Romania primitive.
On doit rappeler que le Maghreb a constitué pour les romanistes une
section importante de la "Romania perdue"[4]. On désignait ainsi l'ensemble
des régions fortement romanisées et progressivement perdues par les langues
romanes, ou gagnées par d'autres groupes de langues: langues slaves à
l'est, langues germaniques au nord, langues chamito-sémitiques au sud.
Les débuts du latin en Afrique du Nord datent de la deuxième moitié du
IIème siècle av. J.-C. La chronologie de cette latinisation ne peut être
établie très précisément, et on se contentera ici de délimiter de grands
cadres.
Ce fut semble-t-il une latinisation plutôt élitaire jusqu'au IIème
siècle de l'ère chrétienne. Il est intéressant de noter que durant cette
période le latin bute visiblement sur le punique (ou phénicien) dans les
villes et les circuits commerciaux, le berbère (ou libyque) dans les
campagnes. Il avance alors par le biais d'un mouvement d'acculturation des
classes hautes, lesquelles semblent rester longtemps bi- ou trilingues pour
échanger avec leur peuple. Situation de pluriglossie donc, attestée bien
plus tard par des témoignages comme celui d'Augustin[5].
Du IIème au IVème siècle ap. J.-C., le mouvement s'approfondit. Le
latin touche désormais les classes populaires, car il est étroitement lié à
la propagation du christianisme. Nous avons de cela des preuves
convergentes. Se multiplient les matériaux d'évangélisation (fragments
bibliques en latin populaire), les épitaphes chrétiennes révélatrices des
mutations en cours au sein du latin vulgaire[6], les oeuvres littéraires
"africaines" dans l'inspiration comme dans la forme[7]. On peut donc
concevoir cette période comme une phase de fixation de la Romania
d'Afrique, avec dégagement probable de latins locaux ou régionaux.
Comme ailleurs dans la Romania, cette localisation était en passe de
déboucher sur la production d'idiomes romans spécifiques à l'arrivée des
arabes (VIIème siècle).
La plupart du temps, on tient à ce sujet un raisonnement très
caractéristique du réductionnisme dont nous avons parlé. Ce serait une
Romania mort-née, éradiquée rapidement par l'arabisation, d'autant plus
facilement que la latinisation serait toujours restée superficielle.
Cet argument de la superficialité est réfuté par l'abondance des
preuves antérieures (épigraphie, littérature).
Il l'est également par des preuves actuelles. En effet, les systèmes
macro- et microtoponymiques actuels (Algérie orientale et Tunisie surtout,
à un degré moindre Algérie occidentale et Maroc) conservent la trace de
mutations phonétiques proto-romanes en cours aux VIIème siècle, dans la
prolongation des épitaphes des premiers siècles de l'ère. Ces traces
peuvent être repérées sur de la toponymie d'origine latine et, ce qui est
plus significatif encore, sur des matériaux non romans relevant le plus
souvent du fond libyco-berbère. Si l'arabe a transmis en l'adaptant cette
toponymie, il faut bien admettre que celle-ci fut apprise et reprise de
populations romanes: le latin, le roman étaient donc indigènes, bien au-
delà des villes[8].
Enfin, la réduction et disparition de cette Romania primitive s'est
nécessairement étalée sur plusieurs siècles. La rareté des matériaux ne
permet pas de fixer la mort proprement dite. Jusqu'au XIIème siècle au
moins des communautés chrétiennes sont régulièrement signalées par des
hommes de lettres arabes. La plupart ne mentionnent, c'est assez naturel,
que la chrétienté de ces groupes (donc l'aspect cultuel), groupes de moins
en moins nombreux. Certains, comme El Idrisi (XIIème siècle), attestent
directement la langue[9]. Cet auteur nous dit en effet qu'à son époque on
parle encore le latin d'Afrique à Gafsa (Tunisie). Comme chez d'autres
écrivains arabes, ces chrétiens sont qualifiés d'Afariqs (Africains) ou
descendants directs de l'Afrique romaine.
Ce type de témoignage rejoint les travaux d'archéologues et
d'historiens. Ainsi Amor Mahjoubi (1966) a-t-il montré qu'une communauté
chrétienne existait à Kairouan (Tunisie) au XIème siècle et qu'elle avait
sa propre épigraphie. Avant lui, Charles Courtois s'était également
consacré à l'étude de ces communautés chrétiennes du Moyen Age[10].
Plus tard encore des communautés chrétiennes semblent s'être
maintenues, par exemple dans le Nefzaoua tunisien jusqu'au XIVème siècle et
à Tozeur (Tunisie) jusqu'au XVIIIème siècle[11].
Compte-tenu des observations précédentes, on voit mal de tels group