La RSE vue sous l'angle du développement durable - Papyrus

Pourtant, pour qu'un tel concept puisse avoir un avenir, il est nécessaire de s'
assurer de son appréhension par les mécanismes juridiques[5]. ...... se trouble
quand sont évoqués la stratégie la plus récente de la Commission (1), l'effectivité
de la protection de l'environnement (2) et le bilan de l'action européenne (3)[106]
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La responsabilité sociale des entreprises vue sous l'angle du développement
durable ou quand le monde des entreprises change*
Ivan TCHOTOURIAN Docteur en droit
Maître de conférences (Université de Nantes)
Chercheur associé à la Chaire de droit des affaires et de commerce
international (C.D.A.C.I.)
Ancien titulaire de la Bourse de recherche Lavoisier (EGIDE)
Membre de l'European Corporate Governance Institute et de l'Academy of
Management (Division SIM)
Courriel : tchout@yahoo.com
Résumé
L'actualité juridique européenne et française en matière de développement
durable conduit à un paradoxe. D'un côté, il ne peut être nié que le
développement durable imprègne tant le droit européen que français.
Illustration prise des évolutions récentes du droit français des affaires,
force est de constater que le développement durable est devenu une réalité
incontournable sur la scène juridique. D'un autre côté, le développement
durable est source d'interrogations. Premièrement, sa place sur l'échiquier
européen se révèle incertaine. Deuxièmement, cette notion s'entoure de
brume lorsqu'il s'agit de la définir précisément. Malgré ces interrogations
qui demeurent, le développement durable est omniprésent et contribue chaque
à faire évoluer le droit et ce, au point qu'il est possible d'affirmer que
le siècle qui s'annonce est bel et bien celui du développement durable. « L'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra.
Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le
profit,
alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être »
(Henri Ford) Consacrée dans les textes internationaux[1], omniprésente sur le plan
politique[2], terme à la mode pour certains auteurs[3], la « (...) notion
contradictoire en perpétuel porte-à-faux »[4] de développement durable n'en
est pas plus claire au regard du droit européen et français. Pourtant, pour
qu'un tel concept puisse avoir un avenir, il est nécessaire de s'assurer de
son appréhension par les mécanismes juridiques[5]. Ainsi que le note le
professeur Javillier, le droit doit être nécessairement « rencontré »
puisque « (...) l'appropriation d'une norme juridique (...) est sans doute
le chemin privilégié de toute effectivité durable, singulièrement en
présence de complexes et changeantes situations économiques,
environnementales comme sociales »[6]. Or, répondre de manière affirmative
à cette question de la rencontre du droit et du développement durable et,
corrélativement, de la place de ce dernier dans la reconfiguration du
paysage juridique qui s'opère est plus que délicat. Les institutions communautaires s'intéressent effectivement au
développement durable et tentent de construire une politique dont il est
devenu la pierre angulaire. De manière identique, le droit français « pense
» le développement durable[7] comme l'atteste l'adoption de la Charte de
l'environnement[8] ou encore les (trop nombreuses ?) réformes législatives
de ces dernières années intervenues dans des domaines aussi variés que le
droit des sociétés, le droit des marchés financiers, le droit de la
responsabilité civile, le droit des entreprises en difficultés, le droit de
l'immobilier, le droit des contrats ou le droit des marchés publics[9].
Ainsi, si le droit français a pendant longtemps ignoré le développement
durable, tel n'est plus le cas à l'heure actuelle. Bien au contraire, le
droit contribue activement à ce nouveau paradigme en l'intégrant en son
sein[10] et en lui offrant une tribune publique. «Le développement durable
est partout présent dans le droit [français] »[11]. Au vu de la convergence de ces constats européens et français, il apparaît
plus que jamais pertinent de mesurer la portée de ce mouvement. Sans nous
hasarder dans la démarche d'affirmation de l'existence d'un droit du
développement durable - affirmation dangereuse tant elle suscite des
réserves[12] -, c'est à travers une comparaison des évolutions
caractérisant le droit européen et le droit français que la place dans le
monde juridique des paradigmes que sont le développement durable et la
responsabilité sociale sera discutée (I et II). Cette première analyse
permettra de dresser un bilan de la construction juridique européenne et
française et de se rendre compte que les outils juridiques mis en place
progressivement amènent le développement durable à prendre corps.
L'entreprise illustre cette transformation du droit et constitue un champ
exploratoire particulièrement riche. Cette dernière non seulement se situe
en première ligne lorsqu'est abordé le thème du développement durable[13],
mais encore est définie par les textes comme une des actrices de l'essor
d'une politique de développement durable[14]. Qui oserait en effet
contester le fait que le développement durable touche les institutions
économiques et, par voie de conséquence, nombre d'entreprises privées[15].
En ce domaine, la législation est vue comme un instrument certain de la
dynamique du développement durable[16]. L'Europe et la France instaurent un
cadre réglementaire complétant les démarches volontaires qui se multiplient
sous forme de codes de conduite, de principes ou de lignes directrices,
depuis un certain nombre d'années[17]. Ainsi, les mutations du droit des
sociétés par actions[18] marquent une remise en cause du système
insatisfaisant[19] de régulation privé qui était devenu prédominant et
s'inscrivent en droite ligne du courant de pensée juridique favorable[20] à
la reconnaissance de la citoyenneté des entreprises[21] et à une ouverture
de ces structures à leur environnement et à l'ensemble de leurs
partenaires[22]. Alors que l'immunité de fait des entreprises a souvent été
dénoncée jusqu'au début des années 2000[23], les évolutions du droit dans
la lignée du développement durable font entrer l'entreprise dans un réseau
de surveillance et de contrôle[24]. Parallèlement, les discussions
juridiques autour des interactions entre le développement durable et le
droit font directement échos aux débats scientifiques qui animent les
économistes[25] et les gestionnaires[26] quant à une redéfinition de
l'entreprise[27] et une orientation nouvelle de leur gouvernance[28].
Toutefois, la situation est sans doute plus complexe qu'elle ne paraît
prima facie. Des zones d'ombre entourent la définition du développement
durable[29]. Ces zones d'ombre conduisent les juristes, non à remettre en
cause l'existence même de l'intégration du développement durable dans la
sphère juridique, mais à s'interroger sur la valeur normative reconnue au
développement durable. Le développement durable est, en effet, « (...) un
fourre-tout intellectuel dont il est difficile de s'extraire »[30]. Celui-
ci devant permettre de répondre aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures à satisfaire les leurs, son champ
d'influence est extrêmement vaste. Alors que classiquement le développement
durable était vu comme reposant sur « (...) trois piliers interdépendants
qui se renforcent mutuellement »[31] qui étaient le développement
économique[32], le développement social[33] et la protection de
l'environnement[34], il se fait aujourd'hui ressentir sur bien d'autres
domaines qu'il suffise en cela de citer le domaine politique[35] ou le
domaine culturel[36]. De plus, le développement durable a intégré le corpus
de nombreux pays de l'Union européenne[37], des organisations
internationales[38], des organisations non gouvernementales[39], des
agences de notation[40] ou des multiples associations (professionnelles ou
non)[41] ... intégration qui complique sa lecture[42]. Conduisant le droit
à une approche systémique et globale[43], le développement durable se
révèle être une notion extrêmement difficile à cerner. Il est à
l'intersection entre la couverture des besoins fondamentaux de la personne
humaine née ou à naître et les conséquences intemporelles des trajectoires
de développement adoptées à un moment donné[44]. Si ces arguments tendent à
mettre en doute la construction juridique contemporaine et à rejeter toute
valeur normative (directe ou indirecte) attachée au développement durable,
des solutions seront proposées pour répondre à ces critiques et à
l'angoisse contemporaine[45] dans lequel le juriste est plongé lorsqu'il se
trouve face-à-face avec la « tour de babel » conceptuelle qu'est le
développement durable (III). I - Une actualité au niveau européen ... riche de contenu et d'incertitudes L'actualité juridique européenne atteste d'une prise de conscience des
données environnementales, économiques et sociales par le législateur
européen[46]. Telle est le « côté pile » du développement durable que le
droit prend en compte dans un effort de protection (A). Toutefois, cette
actualité consacre également un « côté face » qui place le développement
durable dans une situation discutable au regard du droit (B). A) « Côté pile » : « du zéro à l'infini »[47] L'Union européenne a favorisé - et favorise encore - des avancées certaines
en matière de développement durable. A ce titre, plusieurs initiatives
peuvent être signalées[48].