MONTAIGNE - Les Essais - livre III
Fonctions réelles d'une variable réelle (4 Séances) ... Bornes supérieurs. Bornes
...... de la programmation linéaire (dualité comprise), La méthode du simplexe.
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La page de Trismégiste Michel de MONTAIGNE
LES ESSAIS - Livre III
Version HTML d'après l'édition de 1595 [pic] Table des matières du livre III |Chapitr|I |De l'utile et de |
|e | |l'honeste |
|Chapitr|II |Du repentir |
|e | | |
|Chapitr|III|De trois commerces |
|e | | |
|Chapitr|IV |De la diversion |
|e | | |
|Chapitr|V |Sur des vers de Virgile |
|e | | |
|Chapitr|VI |Des coches |
|e | | |
|Chapitr|VII|De l'incommodité de la |
|e | |grandeur |
|Chapitr|VII|De l'art de conferer |
|e |I | |
|Chapitr|IX |De la vanité |
|e | | |
|Chapitr|X |De mesnager sa volonté |
|e | | |
|Chapitr|XI |Des boyteux |
|e | | |
|Chapitr|XII|De la physionomie |
|e | | |
|Chapitr|XII|De l'experience |
|e |I | |
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Table des matières Chapitre précédent Chapitre suivant CHAPITRE I
De l'utile et de l'honeste PERSONNE n'est exempt de dire des fadaises : le malheur est, de les dire
curieusement :
Næ iste magno conatu magnas nugas dixerit.
Cela ne me touche pas ; les miennes m'eschappent aussi nonchallamment
qu'elles le valent : D'où bien leur prend : Je les quitterois soudain, à
peu de coust qu'il y eust : Et ne les achette, ny ne les vends, que ce
qu'elles poisent : Je parle au papier, comme je parle au premier que je
rencontre : Qu'il soit vray, voicy dequoy.
A qui ne doit estre la perfidie detestable, puis que Tybere la refusa à si
grand interest ? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le
defferoit d'Ariminius par poison. C'estoit le plus puissant ennemy que les
Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui
seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là. Il fit
responce, que le peuple Romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis
par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette : il
quitta l'utile pour l'honeste. C'estoit (me direz vous) un affronteur. Je
le croy : ce n'est pas grand miracle, à gens de sa profession. Mais la
confession de la vertu, ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la
hayt : d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la
veult recevoir en soy, aumoins il s'en couvre, pour s'en parer.
Nostre bastiment et public et privé, est plein d'imperfection : mais il n'y
a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesmes, rien ne s'est
ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est
simenté de qualitez maladives : l'ambition, la jalousie, l'envie, la
vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si
naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes : Voire
et la cruauté, vice si desnaturé : car au milieu de la compassion, nous
sentons au dedans, je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté
maligne, à voir souffrir autruy : et les enfans la sentent :
Suave mari magno turbantibus æquora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem.
Desquelles qualitez, qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les
fondamentales conditions de nostre vie : De mesme, en toute police : il y a
des offices necessaires, non seulement abjects, mais encores vicieux : Les
vices y trouvent leur rang, et s'employent à la cousture de nostre
liaison : comme les venins à la conservation de nostre santé. S'ils
deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoing, et que la
necessité commune efface leur vraye qualité : il faut laisser jouer cette
partie, aux citoyens plus vigoureux, et moins craintifs, qui sacrifient
leur honneur et leur conscience, comme ces autres anciens sacrifierent leur
vie, pour le salut de leur pays : Nous autres plus foibles prenons des
rolles et plus aysez et moins hazardeux : Le bien public requiert qu'on
trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre : resignons cette commission à
gens plus obeissans et plus soupples.
Certes j'ay eu souvent despit, de voir des juges, attirer par fraude et
fauces esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son fait,
et y employer la piperie et l'impudence : Il serviroit bien à la justice,
et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'autres moyens
plus selon moy. C'est une justice malicieuse : et ne l'estime pas moins
blessee par soy-mesme, que par autruy. Je respondy, n'y a pas long temps,
qu'à peine trahirois-je le Prince pour un particulier, qui serois tres-
marry de trahir aucun particulier, pour le Prince : Et ne hay pas seulement
à piper, mais je hay aussi qu'on se pipe en moy : je n'y veux pas seulement
fournir de matiere et d'occasion.
En ce peu que j'ay eu à negocier entre nos Princes, en ces divisions, et
subdivisions, qui nous deschirent aujourd'huy : j'ay curieusement evité,
qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gens du
mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les
plus moyens, et les plus voysins qu'ils peuvent : moy, je m'offre par mes
opinions les plus vives, et par la forme plus mienne : Tendre negotiateur
et novice : qui ayme mieux faillir à l'affaire, qu'à moy. C'a esté pourtant
jusques à cette heure, avec tel heur, (car certes fortune y a la
principalle part) que peu ont passé demain à autre, avec moins de soupçon,
plus de faveur et de privauté. J'ay une façon ouverte, aisee à s'insinuer,
et à se donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité
pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur opportunité et
leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse,
qui besongnent sans aucun leur interest : Et peuvent veritablement employer
la responce de Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son
parler : Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais si je le suis,
sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires. Ma liberté m'a
aussi aiséement deschargé du soupçon de faintise, par sa vigueur
(n'espargnant rien à dire pour poisant et cuisant qu'il fust : je n'eusse
peu dire pis absent) et en ce, qu'elle a une montre apparente de simplesse
et de nonchalance : Je ne pretens autre fruict en agissant, que d'agir, et
n'y attache longues suittes et propositions : Chasque action fait
particulierement son jeu : porte s'il peut.
Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou amoureuse,
envers les grands : ny n'ay ma volonté garrotee d'offence, ou d'obligation
particuliere. Je regarde nos Roys d'une affection simplement legitime et
civile, ny emeuë ny demeuë par interest privé, dequoy je me sçay bon gré.
La cause generale et juste ne m'attache non plus, que moderément et sans
fiévre. Je ne suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et
intimes : La colere et la hayne sont au delà du devoir de la justice : et
sont passions servans seulement à ceux, qui ne tiennent pas assez à leur
devoir, par la raison simple : Utatur motu animi, qui uti ratione non
potest. Toutes intentions legitimes sont d'elles mesmes temperees : sinon,
elles s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict
marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur ouvert.
A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois facilement au
besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son serpent, suivant le
dessein de la vieille : Je suivray le bon party jusques au feu, mais
exclusivement si je puis : Que Montaigne s'engouffre quant et la ruyne
publique, si besoing est : mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré
à la fortune qu'il se sauve : et autant que mon devoir me donne de corde,
je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au
juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet
universel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez ?
Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé : Et en telle sorte de
besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas ambitieux à s'ingerer
et convier soy-mesmes : De se tenir chancelant et mestis, de tenir son
affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en une
division publique, je ne le trouve ny beau, ny honneste : Ea non media, sed
nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua
applicent.
Cela peut estre permis envers les affaires des voysins : et Gelon tyran de
Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre
les Grecs ; tenant une Ambassade à Delphes, avec des presents pour estre en
eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre
l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece
de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels
necessairement il faut prendre party : mais de ne s'embesongner point, à
homme qui n'a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, je le trouve
plus excusable (et si ne practique pour moy cette excuse) qu'aux guerres
estrangeres : desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne
veut. Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent,
avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur
teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu
Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en cognois entre ceux qui y
ouvrent valeureusement à cette heure, de moeurs ou si equables, ou si
douces, qu'ils seront, pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et
cheute que le ciel nous appreste. Je tiens