99 mouvements involontaires de la mémoire et de l'imagination

Je ne corrige pas: sans voix, heureuse, je contemple la couleur que tu donnes à
... des exemples, commence même de composer quelques phrases d'exercice.

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99 mouvements involontaires du désir et autres mnémonies.
L'Amante présente l'album sans ordre de 99 baisers.
Imagine des petites cartes, comme les anciennes fiches des anciens
catalogues. En haut, à gauche, une perforation permet de les attacher par
une ficelle, qui sera facilement dénouée pour que l'ordre soit changé,
toujours, au gré et aux vagues du souvenir. Ô mon lecteur.
Tu me regardes sans rien dire, rien ne bouge. Ô mon bien-aimé.
Tu sais où tu vas et marches vite, sans me voir. Même de dos et de
loin, je sais que c'est toi et me réjouis de ta présence au monde. Ô mon
arpenteur de rues.
Nous étions au restaurant et derrière toi, de l'autre côté de la vitre,
de l'autre côté de la rue, spectacle joyeux d'une jeune fille en l'air par
la fenêtre de son deuxième étage, occupée à laver sincèrement ses carreaux.
Sans y penser, je te l'indique et vos regards à tous deux se croisent, se
saluent. Tu lui fais signe en souriant. Ô mon bon salueur.
Encore, nous sommes au restaurant, sans compagnie. Tu me demandes si
cela me plaît. Oui, tout me plaît, tu me plais, le repas me plaît. Ô mon
douteur.
Quelque chose ne va pas, je le lis à tes sourcils. En fait, il n'est
pas inutile de te demander, mais je ne veux pas t'interroger. Une douleur?
une déception? une inquiétude? Je voudrais prendre, tu ne voudrais pas
partager, propager, encourager. Ô mon discret.
Si! Je t'embrasse dans la rue, près de chez toi, presque devant
l'Université. Si! Je n'ai pas pu y tenir. Tu joues l'innocent et te plaques
contre un mur. Ô mon espiègle.
Tu fais ton marché, il pleut légèrement et ton cabas est encore vide.
Nous nous voyons et tu souris en t'approchant. Ô ma surprise.
Cela ressemble à un sourire mais n'en est pas un; c'est le petit
pincement du chagrin réveillé par une confidence ou une pensée. Aussi,
c'est le sourire lorsque je dis, au café de la bibliothèque municipale, que
ton article sur l'ami Melcom se trompait de genre. Ô mon sensible.
Tu es passé devant la vitrine d'une galerie et t'es arrêté devant ce
tableau ancien et étrange. Tu tournes la tête, le cou, le corps , approches
ton regard, te recules. Ô mon regardeur.
D'un coup, tu t'endors profondément, avec un petit sursaut, et je
comprends alors que notre conversation avait atteint une conclusion. Ô mon
maître d'éloquence.
Tu prends sans hésiter le livre dont tu parlais, là, dans la
bibliothèque. Tes doigts savent exactement où et comment aller. Le livre
semblait t'attendre. Ô mon philobiblon.
Tu joins tes mains, comme pour applaudir théâtralement, lorsque tu
m'aperçois de loin. Ô mon bonheur.
Tu ouvres la porte sombre du 19 Donkersteeg et soudain la lumière
rebondit partout, le seuil efface les frontières, le monde tourne vite et
loin. Légèrement en retrait, légèrement penché, tu salues d'un civil
hochement de tête qu'accompagne sans heurt ni délai une main tendue. La
politesse de cet accueil m'est si familière qu'elle en devient, justement,
intime. Il suffira que je touche ta main pour être chez toi. Ô maître de ma
maison.
Ah, tu es tout soudain traversé par l'idée d'une taquinerie, tu lèves
un peu les épaules et plisses les yeux. Peut-être crois-tu que tu ne souris
pas mais lorsque tu commences à parler, tu dois retenir tes lèvres de rire,
ce que tu fais avec une irrésistible grâce. Ô mon garçon.
Tu rames, sur l'étendue toute parallèle et camaïeu du Kaag. Parfois, tu
regardes en arrière pour t'assurer que tu mènes la barque où tu veux. Tu ne
vois pas les cent tourbillons qui suivent le bout des avirons, tes yeux
vont droit devant, il semble que les cercles des rames, des vaguelettes et
de l'horizon étaient là, de toute éternité, et demeureront à jamais. Il
faudra une mouette, un port, un bateau pour me tirer du temps parallèle et
plat. Ô mon éternel rameur.
Tu t'es endormi, au fond de la salle. Les verres de tes lunettes
protègent à peine le secret de ce sommeil en société. Tu restes droit,
malgré l'abandon à la fatigue et aux digestions. Je crois que je suis la
seule à deviner que tu somnoles et, curieusement, cette pensée me rend
heureuse, comme si je partageais ton oubli. Ô mon rêveur.
Tu remplis d'eau ta sophistiquée cafetière électrique. Tu es attentif à
ce petit geste. Quand tu vois que je t'observe, tu souris et je me demande
si tu es un peu gêné de l'insistance de mon regard (tu sais que ces images
entrent à jamais) ou si tu te demandes quelle amante serait ainsi fascinée
par un geste de la vie pédestre des cuisines. Peut-être aussi goûtes-tu,
comme moi, la liberté de ce regard. Ô mon étonné.
Comme notre presque habitude, car ce n'est pas un rite encore, je
m'exclame sur les motifs et les couleurs de ta chemise. tu penches la tête
pour voir laquelle et souris, tant à moi qu'à la chemise, en acquiesçant. Ô
mon élégant.
Tu es déjà assis lorsque j'arrive à la Grande Ourse, avec une nuance de
retard comme il se doit - mais à la vérité, comme je n'ai pu l'éviter. Tu
lèves les yeux et te lèves. D'un coup, je suis incroyablement heureuse et à
l'heure. Je n'ai pas vraiment faim, je me rends compte que je te souris. Ô
mon ponctuel.
J'allais t'embrasser et me suis retenue. Tu me dis "Mais fais-le!" Ô
mon irrésistible.
Tu regardes cette édition en hébreu de près puis de loin. Tu lis, tu
admires, tu aimes. Tu as mis tes deux mains derrière ton dos, l'une tenant
l'autre. Peut-être serres-tu ce lien de toi-même, que tu noues sans y
penser, pour ne pas toucher la vitrine. Ô mon curieux.
Tu hausses un peu les épaules juste avant de rire de ta plaisanterie,
bien montée, à laquelle je me suis laissée prendre. Ô mon rusé.
Tu m'as écoutée, parfois tristement, et ne sais comment prendre congé.
Tu es maladroit dans ta manière de vouloir dire que tu es là et que tu dois
partir dans la même phrase. Plus que tous tes mots, cet embarras me
console. Ô mon bien-aimant.
Tu parles de ton école primaire et je t'imagine jeune garçon, petit
garçon, ou plutôt, j'imagine un garçon qui pourrait être toi et je
reconnais cet enfant dans ton visage. J'ai un peu perdu le fil de la
conversation, émue presque jusqu'à t'embrasser. Heureusement, je crois m'y
retrouver (tu parles de cours de français, ou de l'école suivante) et, dans
tous les cas, tu ne me demandes pas de répéter ce que tu viens de dire. Ô
mon mémorable.
C'est une histoire d'embrouilles, de roueries, de ridicules,
d'impostures aussi. Tu la racontes bien, en riant pour ponctuer, en faisant
danser tes mains au bon moment et en les claquant entre chaque épisode. Je
ris de ton histoire, sans pleurer de t'y voir figurer. Toi non plus ne
pleures ni ne te plains. Ô mon impassible.
Tu demandes "Que vont-elles penser des adultes?" et je suis émue que tu
nous considères comme des adultes, que tu croies que les grandes filles
pourraient être tentées de nous regarder comme des modèles, ou du moins,
des êtres achevés, que nos errances ont pour elles une existence qui
dépasserait les questions de qui, où, quoi, quand, posées plus par
curiosité que par contemplation des mystères du c?ur humain. Ta crédulité
fait honneur à ton sens moral. Ô mon bon élève.
Par ton récit, tu allumes la lumière d'un grenier-entrepôt que nous
passons dans une rue sombre. Tu mets là un ensemble de musique de chambre,
des couples, des enfants, des idées, des livres. Et tu fais le tonnerre du
théâtre de marionnettes. Ô mon magicien.
Cette autre fois, trop de ridicule dans le récit des "affaires",
l'imposture est insupportable. Je t'arrête et, comme docilement, tu changes
de sujet. Ô mon magnanime.
Tu m'as montré ce film qui est le tien puis t'es endormi. Ô mon
étourdi.
Han, je regarde machinalement ma montre pour arranger la séance de
bibliothèque et, stupéfaite, me rends compte que notre déjeuner a mangé
l'après-midi. Ce déraillement des mesures me sidère et je me sens en faute
(par rapport à toi? au travail? aux convenances?) de cet excès de
compagnie. Je regarde le haut de l'écran Skype, au moment où tu as jeté
l'?il sur ta montre, j'avais pensé te dire bonsoir et nous avons parlé plus
d'une heure, très tard pour toi. Très vite, comme si tu me voyais penser,
tu m'arrêtes gentiment sur la pente de la culpabilité. Cette attention me
touche profondément. Ô mon écouteur.
Tu m'as un peu intimidée - ce n'est pas très difficile- et je me sens
bête, comme une pelote d'inhibitions et de complications insensées.
Doucement, tendrement, posément, tu me tends la main. Ô mon doux ami.
Je t'ai raconté d'un trait sans respirer une longue histoire qui
s'insérait dans une longue épopée dont tous les détails soudain me
paraissaient cruciaux et dont il me semblait qu'il importait au plus au
point que tu les connaisses. Tu ne fais pas de commentaire poli mais tu
salues de la tête la fin du récit. Ô mon camarade de jeux.
Tu me touches et soudain le monde bat, l'air respire, le ciel tourne.
J'entrouvre les paupières pour ton sourire, sans lunettes et ton visage me
bouleverse. Je sais que je ne l'oublierai pas, il est gravé au c?ur de moi.
Ô mon amant.
Tu prends ce texte, ce fichier, ce livre en disant "Je lirai plus
tard". Et tu te défends de ne pas vouloir de lecture obligée. Ta curiosité
viendra à bout de cette résistance! J'ai envie de t'embrasser en faisant
semblant de me vexer. Ô mon capricieux.
Tu t'es engagé sur le passage à niveau. Nous sommes encore loin de la
voie ferrée quand la barrière de sécurité s'ébranle. C'est une bonne
vieille barrière avec des franges métalliques qui se plient aux rencontres
de véhicules trop