Bulletin du Comité de Madagascar - 1895-5
LES ÉVÉNEMENTS DE MADAGASCAR ...... C'était plus qu'il n'en fallait pour
donner une leçon aux 1.200 Malgaches qui prétendaient nous envelopper et
nous réduire à merci. ...... de la conquête pour l'exercice du protectorat ; voici qu'à
son tour le correspondant du Temps, .... Quelques rares coquilles ont été
corrigées.
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Bulletin
du
Comité
de Madagascar
1re ANNÉE - N° 5 - Août 1895
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LES ÉVÉNEMENTS DE MADAGASCAR
MAI
Parmi les papiers abandonnés par les Hovas dans le rova de Mevatanana,
le général Duchesne a trouvé une lettre écrite au crayon par Randrianarivo,
7e Hr, aide de camp de Ramasombazaha ; elle était adressée à Ravelo, 7e Hr,
qui faisait partie du corps de troupes chargé de la défense de Mevatanana,
et à sa famille.
Cette lettre est ainsi conçue :
Mahatombo, 7 mai 1895.
Je viens vous faire visite par cette lettre. Comment allez-vous ? En
ce qui me concerne, je suis bien, grâce à Dieu, monsieur et mesdames. Voici
ce que je vous fais savoir :
Nous sommes arrivés à Amparihilava avec Ramasombazaha, 14e Hr, D. P.
M., le dimanche 28 avril 1895. Le jeudi 2 mai 1895, les Français, ainsi que
Rasalimo, prince, et ses gens (un grand nombre d'entre eux conduisaient
beaucoup de chevaux et de chiens) ont attaqué le village d'Amparihilava.
Grâce à la protection divine, nous avons échappé à un enveloppement de
l'ennemi qui se serait certainement emparé de Ramasombazaha 14e Hr et de
tous ses gens, car Ramasombazaha, 14e Hr ne voulait pas quitter le
village ; il disait qu'il préférait mourir là avec toutes ses troupes
plutôt que d'avoir à affronter la honte non seulement du peuple, mais
encore de la reine et du premier ministre.
L'ennemi était au sommet, au nord du village, lorsque les siens l'ont
forcé à partir ; les obus et la mitraille pleuvaient alors sur les gens qui
étaient dans le village et il est impossible de fixer le nombre des morts ;
les cadavres étaient amoncelés, la mitraille faisait toujours des ravages
tandis qu'on évacuait le village. La conduite de Ramasombazaha, dans cette
journée a été des plus fermes. Quant au nombre de personnes, hommes ou
femmes, petits et grands, qui ont été englouties dans la rivière profonde,
il est impossible de l'évaluer ; d'un côté, l'eau faisait ses victimes,
tandis que la mitraille, comme le riz que l'on sème, pleuvait sur ceux qui
étaient dans la rivière, leur seule voie de retraite, car ils étaient
enveloppés de toutes parts ; seuls ceux qui avaient un bon destin ont
échappé à la mort...
Les Français se sont emparés dans le village, de trois canons, de deux
petits canons en cuivre se chargeant par la bouche et d'un canon à sept
coups. Nous avons perdu cinq canons dans la rivière et nous n'avons rien pu
reprendre de notre matériel de guerre.
Les Vazaha sont établis à Marovoay.
Quant à mes objets personnels, Naivo a tout abandonné : tentes,
matelas, marmites, assiettes, verres. Il n'a emporté qu'une petite boîte ;
il a prétexté qu'il avait peur des obus. Je dois vous dire en outre que
Naivo m'a abandonné tout à fait et durement ; je ne le tiens plus. D'autre
part, je suis très occupé par mes fonctions qui m'empêchent de quitter
Ramasombazaha 14e Hr, même pour un seul jour. Naivo n'a pas encore reparu,
mais il est resté au camp de Marovoay où il a suivi une femme, et la
détresse où je me trouve est vraiment très grande. Je n'ai même pas
quelqu'un pour faire cuire mes aliments, et cependant nous venons
d'échapper, à Amparihilava, à de grands périls.
Envoyez-moi quelqu'un soit Ramimarohaly, soit Raînanambina et remettez
lui 10 piastres (50 fr.), une marmite, des assiettes, une tente en étoffe
légère ; et pressez-le, car j'ai perdu mon argent qui était dans ma
ceinture qui a disparu en même temps que mon lamba et mon fusil ; j'ai
remplacé mon fusil par celui d'un soldat qui est mort devant moi.
Les officiers tués dans le combat sont : Rabibivato 11e Hr, ainsi
qu'un grand nombre des artilleurs récemment recrutés et beaucoup de
soldats. Il n'a pas été possible de connaître le nombre des morts ni des
prisonniers, hommes et femmes, fait par l'ennemi. Rainiketaka, 8e Hr, a été
tué dans le village. Le combat commencé à six heures du matin n'a cessé
qu'à trois heures du soir.
Nous allons maintenant retourner à Ambolomaty opérer notre jonction
avec Randriantavy, 13e Hr, car nous nous étions croisés avec lui en
chemin ; nous étions passés par l'Est, tandis qu'il avait pris la route de
l'Ouest.
Voilà le récit des malheurs qui m'ont frappé et je vous en fais part,
monsieur.
Adieu, soyez en parfaite santé, que Dieu vous protège.
P. S. - Ramena, commandant de Miadana, a été fait prisonnier ainsi que
sa troupe. Ils gardaient le village de Manjakatompo qui a été enveloppé par
l'ennemi.
15. - Le gouvernement malgache ayant fait défense à tous les étrangers
restés à Tananarive de correspondre avec l'extérieur, les journaux ayant
été supprimés et les lettres pour l'Europe étant, au préalable, soumises au
visa des autorités militaires hovas, ces mesures rigoureuses enlèvent tout
intérêt aux correspondances qui obtiennent la faveur d'un exequatur. C'est
ainsi que dans une lettre de Tananarive, datée du 15 mai et adressée à la
Pall Mall Gazette, on lit que le calme le plus absolu règne dans la
contrée, que la reine et le premier ministre ont assisté à l'inauguration
d'une nouvelle église à Analakely (place du Marché), et que Rainilaiarivony
est en parfaite santé.
Cette lettre parle également du fameux Kingdon ; sur l'ordre du
gouvernement, il aurait été reconduit à Mananjary avec une escorte de
tsimandoas, et des Anglais, en grand nombre, commerçants et missionnaires,
venaient de partir pour Vatomandry en route pour l'Europe. Il paraît aussi
que plusieurs Européens récemment arrivés à Tananarive, dont la présence
n'était pas désirable, avaient reçu l'ordre de se rendre sur la côte et de
sortir de Madagascar le plus rapidement possible. Le correspondant félicite
le gouvernement de cette énergie et il ajoute qu'il y a encore beaucoup de
personnes à Tananarive, soupçonnées d'entretenir des relations avec les
Français, qui devraient recevoir la même invitation.
16. - On écrit de Tananarive au Temps :
Un certain Ethelbert G. Woodford, que nous avions vu déjà à Tananarive
en 1891, est revenu de New-York le 16 avril dernier, avec la mission,
disent les uns, de terminer la liquidation de la New-Oriental Banking C°,
pour faire une enquête, disent les autres, sur les charges qui ont motivé
l'arrestation et la condamnation de son compatriote, l'ex-consul Waller.
Le monde officiel paraît attacher une grande importance à l'arrivée du
Castine, de la marine des États-Unis ; ce bateau de guerre a mouillé devant
Tamatave et il doit parcourir fréquemment la côte pour protéger les
citoyens américains que personne ne menace.
Après le mouvement de troupes du mois dernier, le calme est revenu :
plus de cris, plus de revues ; on sent bien l'anxiété de la population,
mais personne n'ose manifester publiquement ses alarmes. La reine se
prodigue, elle sort à peu près chaque jour et le premier ministre visite
fréquemment le corps des lavasatroka (chapeaux hauts de forme), qui
s'exercent au maniement de la sagaie et du bouclier dans ses jardins
d'Amboditsiry. C'est là sa troupe de prédilection et on croirait au soin
qu'il prend de leur instruction, qu'il a plus de confiance dans ces armes
primitives que dans les snyders et les hotchkiss de ses soldats.
Les Anglais, les British born, comme ils nous disent avec quelque
mépris, ont organisé une société de bienfaisance pour les défenseurs de la
patrie ; les patrons se réunissent souvent dans les églises pour y
prononcer de véhéments discours dans lesquels on compare les Malgaches aux
Spartiates ; ces parlottes se terminent toujours par une collecte. Dans une
réunion qui a eu lieu le 3 mai, à l'église d'Andohalo, le caissier de
l'?uvre a déclaré qu'il avait reçu 5.000 francs ; quatre Malgaches ont été
aussitôt désignés pour aller répartir cette forte somme parmi les soldats
les plus pauvres de la côte ; Andrianantoandro et Rosoamanana vont à
Majunga, Radaniela et Ratsimba, à Tamatave. Leur départ, fixé d'abord au 14
mai, a été ajourné sur l'ordre de la reine qui veut leur donner congé
solennellement. Il y aura, parait-il, un grand kabary royal à l'église
d'Amparibe.
Nous avons aperçu quelques figures nouvelles : je vous signalerai M.
E.-V. Knight, correspondant spécial du Times, qui est monté par Fort-
Dauphin ; il représente seul la presse anglaise à Tananarive, car M. Bennet-
Burleigh, du Daily Telegraph, nous a quittés le 25 avril.
Je ne chercherai pas à vous peindre l'effarement des British born et
la stupéfaction du monde officiel quand on apprit que M. Abraham Kingdon
avait débarqué à Mananjary le 12 avril dernier ! Quinze jours après nous
apprenions qu'il était dans le bas de la ville, à Tanjombato, où il avait
été reçu par un détachement de soldats qui l'obligèrent à rebrousser
chemin. Un Malgache l'a rencontré à Ambositra, en route pour Mananjary. On
avait dit que Kingdon était à pied et sans ressources, cela n'est pas
exact : le gouvernement lui a fourni des porteurs et il a tous ses bagages.
Le 10 mai, Ratomahenina, l'interprète du ministère des affaires
étrangères, s'est présenté chez M. James Lévy, dont la maison était