[L']oeuvre fantastique [Document électronique]

Quand elles étoient mêlées avec du gingembre & avec le fruit acide d'une plante
assez semblable à notre oseille, elles donnoient une liqueur forte, qui étoit l'
unique boisson ...... [5] #Des hommes de ce caractère, livrés à un exercice
continuel, nourris tous les jours de viande fraîche, connoissent peu les infirmités.

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[L']oeuvre fantastique [Document électronique]. I. Nouvelles / Théophile
Gautier ; éd. critique par Michel Crouzet Nouvelles La cafetière J'ai vu sous de sombres voiles Onze étoiles, La lune, aussi le soleil, Me faisant la révérence, En silence, Tout le long de mon sommeil. La vision de Joseph. I L'année dernière, je fus invité, ainsi que deux de mes camarades d'atelier,
Arrigo Cohic et Pedrino Borgnioli à passer quelques jours dans une terre au
fond de la Normandie. Le temps, qui, à notre départ, promettait d'être superbe, s'avisa de
changer tout à coup, et il tomba tant de pluie, que les chemins creux où
nous marchions étaient comme le lit d'un torrent. Nous enfoncions dans la bourbe jusqu'aux genoux, une couche épaisse de
terre grasse s'était attachée aux semelles de nos bottes, et par sa
pesanteur ralentissait tellement nos pas que nous n'arrivâmes au lieu de
notre destination qu'une heure après le coucher du soleil. Nous étions harassés; aussi, notre hôte, voyant les efforts que nous
faisions pour comprimer nos bâillements et tenir les yeux ouverts, aussitôt
que nous eûmes soupé, nous fit conduire chacun dans notre chambre. La mienne était vaste; je sentis, en y entrant, comme un frisson de fièvre,
car il me sembla que j'entrais dans un monde nouveau. En effet, l'on aurait pu se croire au temps de la Régence, à voir les
dessus de porte de Boucher représentant les quatre Saisons, les meubles
surchargés d'ornements de rocaille du plus mauvais goût, et les trumeaux
des glaces sculptés lourdement. Rien n'était dérangé. La toilette couverte de boîtes à peignes, de houppes
à poudrer, paraissait avoir servi la veille. Deux ou trois robes de
couleurs changeantes, un éventail semé de paillettes d'argent, jonchaient
le parquet bien ciré, et, à mon grand étonnement, une tabatière d'écaille
ouverte sur la cheminée était pleine de tabac encore frais. Je ne remarquai ces choses qu'après que le domestique, déposant son
bougeoir sur la table de nuit, m'eut souhaité un bon somme, et, je l'avoue,
je commençai à trembler comme la feuille. Je me déshabillai promptement, je
me couchai, et, pour en finir avec ces sottes frayeurs, je fermai bientôt
les yeux en me tournant du côté de la muraille. Mais il me fut impossible de rester dans cette position: le lit s'agitait
sous moi comme une vague, mes paupières se retiraient violemment en
arrière. Force me fut de me retourner et de voir. Le feu qui flambait jetait des reflets rougeâtres dans l'appartement, de
sorte qu'on pouvait sans peine distinguer les personnages de la tapisserie
et les figures des portraits enfumés pendus à la muraille. C'étaient les aïeux de notre hôte, des chevaliers bardés de fer, des
conseillers en perruque, et de belles dames au visage fardé et aux cheveux
poudrés à blanc, tenant une rose à la main. Tout à coup le feu prit un étrange degré d'activité; une lueur blafarde
illumina la chambre, et je vis clairement que ce que j'avais pris pour de
vaines peintures était la réalité; car les prunelles de ces êtres encadrés
remuaient, scintillaient d'une façon singulière; leurs lèvres s'ouvraient
et se fermaient comme des lèvres de gens qui parlent, mais je n'entendais
rien que le tic-tac de la pendule et le sifflement de la bise d'automne. Une terreur insurmontable s'empara de moi, mes cheveux se hérissèrent sur
mon front, mes dents s'entre- choquèrent à se briser, une sueur froide
inonda tout mon corps. La pendule sonna onze heures. Le vibrement du dernier coup retentit
longtemps, et, lorsqu'il fut éteint tout à fait... Oh! non, je n'ose pas dire ce qui arriva, personne ne me croirait, et l'on
me prendrait pour un fou. Les bougies s'allumèrent toutes seules; le souffler, sans qu'aucun être
visible lui imprimât le mouvement, se prit à souffler le feu, en râlant
comme un vieillard asthmatique, pendant que les pincettes fourgonnaient
dans les tisons et que la pelle relevait les cendres. Ensuite une cafetière se jeta en bas d'une table où elle était posée, et se
dirigea, clopin-clopant, vers le foyer, où elle se plaça entre les tisons. Quelques instant après, les fauteuils commencèrent à s'ébranler, et,
agitant leurs pieds tortillés d'une manière surprenante, vinrent se ranger
autour de la cheminée. II Je ne savais que penser de ce que je voyais; mais ce qui me restait à voir
était encore bien plus extraordinaire. Un des portraits, le plus ancien de tous, celui d'un gros joufflu à barbe
grise, ressemblant, à s'y méprendre, à l'idée que je me suis faite du vieux
sir John Falstaff, sortit, en grimaçant, la tête de son cadre, et, après de
grands efforts, ayant fait passer ses épaules et son ventre rebondi entre
les ais étroits de la bordure, sauta lourdement par terre. Il n'eut pas plutôt pris haleine, qu'il tira de la poche de son pourpoint
une clef d'une petitesse remarquable; il souffla dedans pour s'assurer si
la forure était bien nette, et il l'appliqua à tous les cadres les uns
après les autres. Et tous les cadres s'élargirent de façon à laisser passer aisément les
figures qu'ils renfermaient. Petits abbés poupins, douairières sèches et jaunes, magistrats à l'air
grave ensevelis dans de grandes robes noires, petits-maîtres en bas de
soie, en culotte de prunelle, la pointe de l'épée en haut, tous ces
personnages présentaient un spectacle si bizarre, que, malgré ma frayeur,
je ne pus m'empêcher de rire. Ces dignes personnages s'assirent; la cafetière sauta légèrement sur la
table. Ils prirent le café dans des tasses du Japon blanches et bleues, qui
accoururent spontanément de dessus un secrétaire, chacune d'elles munie
d'un morceau de sucre et d'une petite cuiller d'argent. Quand le café fut pris, tasses, cafetière et cuillers disparurent à la
fois, et la conversation commença, certes la plus curieuse que j'aie jamais
ouïe, car aucun de ces étranges causeurs ne regardait l'autre en parlant:
ils avaient tous les yeux fixés sur la pendule. Je ne pouvais moi-même en détourner mes regards et m'empêcher de suivre
l'aiguille, qui marchait vers minuit à pas imperceptibles. Enfin, minuit sonna; une voix, dont le timbre était exactement celui de la
pendule, se fit entendre et dit: - Voici l'heure, il faut danser. Toute l'assemblée se leva. Les fauteuils se reculèrent de leur propre
mouvement; alors, chaque cavalier prit la main d'une dame, et la même voix
dit: - Allons, messieurs de l'orchestre, commencez! J'ai oublié de dire que le sujet de la tapisserie était un concerto italien
d'un côté, et de l'autre une chasse au cerf où plusieurs valets donnaient
du cor. Les piqueurs et les musiciens, qui, jusque-là, n'avaient fait aucun
geste, inclinèrent la tête en signe d'adhésion. Le maestro leva sa baguette, et une harmonie vive et dansante s'élança des
deux bouts de la salle. On dansa d'abord le menuet. Mais les notes rapides de la partition exécutée par les musiciens
s'accordaient mal avec ces graves révérences: aussi chaque couple de
danseurs, au bout de quelques minutes, se mit à pirouetter, comme une
toupie d'Allemagne. Les robes de soie des femmes, froissées dans ce
tourbillon dansant, rendaient des sons d'une nature particulière; on aurait
dit le bruit d'ailes d'un vol de pigeons. Le vent qui s'engouffrait par-
dessous les gonflait prodigieusement, de sorte qu'elles avaient l'air de
cloches en branle. L'archet des virtuoses passait si rapidement sur les cordes, qu'il en
jaillissait des étincelles électriques. Les doigts des flûteurs se
haussaient et se baissaient comme s'ils eussent été de vif-argent; les
joues des piqueurs étaient enflées comme des ballons, et tout cela formait
un déluge de notes et de trilles si pressés et de gammes ascendantes et
descendantes si entortillées, si inconcevables, que les démons eux-mêmes
n'auraient pu deux minutes suivre une pareille mesure. Aussi, c'était pitié de voir tous les efforts de ces danseurs pour
rattraper la cadence. Ils sautaient, cabriolaient, faisaient des ronds de
jambe, des jetés battus et des entrechats de trois pieds de haut, tant que
la sueur, leur coulant du front sur les yeux, leur emportait les mouches et
le fard. Mais ils avaient beau faire, l'orchestre les devançait toujours de
trois ou quatre notes. La pendule sonna une heure; ils s'arrêtèrent. Je vis quelque chose qui
m'était échappé: une femme qui ne dansait pas. Elle était assise dans une bergère au coin de la cheminée, et ne paraissait
pas le moins du monde prendre part à ce qui se passait autour d'elle. Jamais, même en rêve, rien d'aussi parfait ne s'était présenté à mes yeux;
une peau d'une blancheur éblouissante, des cheveux d'un blond cendré, de
longs cils et des prunelles bleues, si claires et si transparentes, que je
voyais son âme à travers aussi distinctement qu'un caillou au fond d'un
ruisseau. Et je sentis que, si jamais il m'arrivait d'aimer quelqu'un, ce serait
elle. Je me précipitai hors du lit, d'où jusque-là je n'avais pu bouger, et
je me dirigeai vers elle, conduit par quelque chose qui agissait en moi
sans que je pusse m'en rendre compte; et je me trouvai à ses genoux, une de
ses mains dans les miennes, causant avec elle comme si je l'eusse connue
depuis vingt ans. Mais, par un prodige bien étrange, tout en lui parlant, je marquais d'une
oscillation de tête la musique qui n'avait pas cessé de jouer; et, quoique
je fusse au comble du bonheur d'entretenir une aussi belle personne, les
pieds me brûlaient de danser avec elle. Cependant je n'osais lui en faire la proposition. Il paraît qu'elle comprit
ce que je voulais, car, levant vers le cadran de l'horloge la main que je
ne tenais pas: - Quand l'aiguille sera là, nous verrons, mon cher Théodore. Je ne sais comment cela se fit, je ne fus nullement surpris de m'entendre
ainsi appeler par mon nom, et nous continuâmes à causer. Enfin, l'heure
indiquée sonna, la voix au timbre d'argent vibra encore dans la chambre et
dit: - Angéla, vous pouvez danser avec monsieur, si cela vous fait plaisir, mais
vous savez ce qui en résultera. - N'impo