Deux amis

Annexe 4 : Un exemple de note de synthèse rédigée : p. ... Corrigés des
exercices ... L'encre utilisée, noire ou bleu foncé, doit permettre au texte de se
détacher ..... Remarques : · On n'inclut pas dans la conclusion un point nouveau
qui ..... de manière anarchique aux abords de l'Ouvèze comme déjà sur les rives
du Borne.

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Guy de Maupassant : Deux amis. Texte publié dans Gil Blas du 5 février
1883, sous la signature de Maufrigneuse, puis publié dans le recueil
Mademoiselle Fifi.
Deux amis

Paris était bloqué, affamé et râlant. Les moineaux se faisaient bien rares
sur les toits, et les égouts se dépeuplaient. On mangeait n'importe quoi.
Comme il se promenait tristement par un clair matin de janvier le long du
boulevard extérieur, les mains dans les poches de sa culotte d'uniforme et
le ventre vide, M. Morissot, horloger de son état et pantouflard par
occasion, s'arrêta net devant un confrère qu'il reconnut pour un ami.
C'était M. Sauvage, une connaissance du bord de l'eau.
Chaque dimanche, avant la guerre, Morissot partait dès l'aurore, une canne
en bambou d'une main, une boîte en fer-blanc sur le dos. Il prenait le
chemin de fer d'Argenteuil, descendait à Colombes, puis gagnait à pied
l'île Marante. A peine arrivé en ce lieu de ses rêves, il se mettait à
pêcher; il pêchait jusqu'à la nuit.
Chaque dimanche, il rencontrait là un petit homme replet et jovial, M.
Sauvage, mercier, rue Notre-Dame-de-Lorette, autre pêcheur fanatique. Ils
passaient souvent une demi-journée côte à côte, la ligne à la main et les
pieds ballants au-dessus du courant; et ils s'étaient pris d'amitié l'un
pour l'autre.
En certains jours, ils ne parlaient pas. Quelquefois ils causaient; mais
ils s'entendaient admirablement sans rien dire, ayant des goûts semblables
et des sensations identiques.
Au printemps, le matin, vers dix heures, quand le soleil rajeuni faisait
flotter sur le fleuve tranquille cette petite buée qui coule avec l'eau, et
versait dans le dos des deux enragés pêcheurs une bonne chaleur de saison
nouvelle, Morissot parfois disait à son voisin: "Hein! quelle douceur!" et
M. Sauvage répondait: "Je ne connais rien de meilleur." Et cela leur
suffisait pour se comprendre et s'estimer.
A l'automne, vers la fin du jour, quand le ciel, ensanglanté par le soleil
couchant, jetait dans l'eau des figures de nuages écarlates, empourprait le
fleuve entier, enflammait l'horizon, faisait rouges comme du feu les deux
amis, et dorait les arbres roussis déjà, frémissants d'un frisson d'hiver,
M. Sauvage regardait en souriant Morissot et prononçait: "Quel spectacle!"
Et Morissot émerveillé répondait, sans quitter des yeux son flotteur: "Cela
vaut mieux que le boulevard, hein?"
Dès qu'ils se furent reconnus, ils se serrèrent les mains énergiquement,
tous émus de se retrouver en des circonstances si différentes. M. Sauvage,
poussant un soupir, murmura: "En voilà des événements!" Morissot, très
morne, gémit: "Et quel temps! C'est aujourd'hui le premier beau jour de
l'année."
Le ciel était, en effet, tout bleu et plein de lumière.
Ils se mirent à marcher côte à côte, rêveurs et tristes. Morissot reprit:
"Et la pêche? hein! quel bon souvenir!"
M. Sauvage demanda: "Quand y retournerons-nous?"
Ils entrèrent dans un petit café et burent ensemble une absinthe; puis ils
se remirent à se promener sur les trottoirs.
Morissot s'arrêta soudain: "Une seconde verte, hein?" M. Sauvage y
consentit: "A votre disposition." Et ils pénétrèrent chez un autre marchand
de vins.
Ils étaient fort étourdis en sortant, troublés comme des gens à jeun dont
le ventre est plein d'alcool. Il faisait doux. Une brise caressante leur
chatouillait le visage.
M. Sauvage, que l'air tiède achevait de griser, s'arrêta: "Si on y allait?
- Où ça?
- A la pêche, donc.
- Mais où?
- Mais à notre île. Les avant-postes français sont auprès de Colombes. Je
connais le colonel Dumoulin; on nous laissera passer facilement."
Morissot frémit de désir: "C'est dit. J'en suis." Et ils se séparèrent pour
prendre leurs instruments.
Une heure après, ils marchaient côte à côte sur la grand'route. Puis ils
gagnèrent la villa qu'occupait le colonel. Il sourit de leur demande et
consentit à leur fantaisie. Ils se remirent en marche, munis d'un laissez-
passer.
Bientôt ils franchirent les avant-postes, traversèrent Colombes abandonné,
et se trouvèrent au bord des petits champs de vigne qui descendent vers la
Seine. Il était environ onze heures.
En face, le village d'Argenteuil semblait mort. Les hauteurs d'Orgemont et
de Sannois dominaient tout le pays. La grande plaine qui va jusqu'à
Nanterre était vide, toute vide, avec ses cerisiers nus et ses terres
grises.
M. Sauvage, montrant du doigt les sommets, murmura: "Les Prussiens sont là-
haut!" Et une inquiétude paralysait les deux amis devant ce pays désert.
"Les Prussiens!" Ils n'en avaient jamais aperçu, mais ils les sentaient là
depuis des mois, autour de Paris, ruinant la France, pillant, massacrant,
affamant, invisibles et tout-puissants. Et une sorte de terreur
superstitieuse s'ajoutait à la haine qu'ils avaient pour ce peuple inconnu
et victorieux.
Morissot balbutia: "Hein! si nous allions en rencontrer?"
M. Sauvage répondit, avec cette gouaillerie parisienne reparaissant malgré
tout:
"Nous leur offririons une friture."
Mais ils hésitaient à s'aventurer dans la campagne, intimidés par le
silence de tout l'horizon.
A la fin, M. Sauvage se décida: "Allons, en route! mais avec précaution."
Et ils descendirent dans un champ de vigne, courbés en deux, rampant,
profitant des buissons pour se couvrir, l'oeil inquiet, l'oreille tendue.
Une bande de terre nue restait à traverser pour gagner le bord du fleuve.
Ils se mirent à courir; et dès qu'ils eurent atteint la berge, ils se
blottirent dans les roseaux secs.
Morissot colla sa joue par terre pour écouter si on ne marchait pas dans
les environs. Il n'entendit rien. Ils étaient bien seuls, tout seuls.
Ils se rassurèrent et se mirent à pêcher.
En face d'eux, l'île Marante abandonnée les cachait à l'autre berge. La
petite maison du restaurant était close, semblait délaissée depuis des
années.
M. Sauvage prit le premier goujon. Morissot attrapa le second, et d'instant
en instant ils levaient leurs lignes avec une petite bête argentée
frétillant au bout du fil: une vraie pêche miraculeuse.
Ils introduisaient délicatement les poissons dans une poche de filet à
mailles très serrées, qui trempait à leurs pieds. Et une joie délicieuse
les pénétrait, cette joie qui vous saisit quand on retrouve un plaisir aimé
dont on est privé depuis longtemps.
Le bon soleil leur coulait sa chaleur entre les épaules; ils n'écoutaient
plus rien; ils ne pensaient plus à rien; ils ignoraient le reste du monde;
ils pêchaient.
Mais soudain un bruit sourd qui semblait venir de sous terre fit trembler
le sol. Le canon se remettait à tonner.
Morissot tourna la tête, et par-dessus la berge il aperçut, là-bas, sur la
gauche, la grande silhouette du Mont-Valérien, qui portait au front une
aigrette blanche, une buée de poudre qu'il venait de cracher.
Et aussitôt un second jet de fumée partit du sommet de la forteresse; et
quelques instants après une nouvelle détonation gronda.
Puis d'autres suivirent, et de moment en moment, la montagne jetait son
haleine de mort, soufflait ses vapeurs laiteuses qui s'élevaient lentement
dans le ciel calme, faisaient un nuage au-dessus d'elle.
M. Sauvage haussa les épaules: "Voilà qu'ils recommencent", dit-il.
Morissot, qui regardait anxieusement plonger coup sur coup la plume de son
flotteur, fut pris soudain d'une colère d'homme paisible contre ces enragés
qui se battaient ainsi, et il grommela: "Faut-il être stupide pour se tuer
comme ça!"
M. Sauvage reprit: "C'est pis que des bêtes."
Et Morissot, qui venait de saisir une ablette, déclara: "Et dire que ce
sera toujours ainsi tant qu'il y aura des gouvernements."
M. Sauvage l'arrêta: "La République n'aurait pas déclaré la guerre..."
Morissot l'interrompit: "Avec les rois on a la guerre au dehors; avec la
République on a la guerre au dedans."
Et tranquillement ils se mirent à discuter, débrouillant les grands
problèmes politiques avec une raison saine d'hommes doux et bornés, tombant
d'accord sur ce point, qu'on ne serait jamais libres. Et le Mont-Valérien
tonnait sans repos, démolissant à coups de boulet des maisons françaises,
broyant des vies, écrasant des êtres, mettant fin à bien des rêves, à bien
des joies attendues, à bien des bonheurs espérés, ouvrant en des coeurs de
femmes, en des coeurs de filles, en des coeurs de mères, là-bas, en
d'autres pays, des souffrances qui ne finiraient plus.
"C'est la vie", déclara M. Sauvage.
"Dites plutôt que c'est la mort", reprit en riant Morissot.
Mais ils tressaillirent effarés, sentant bien qu'on venait de marcher
derrière eux; et ayant tourné les yeux, ils aperçurent, debout contre leurs
épaules, quatre hommes, quatre grands hommes armés et barbus, vêtus comme
des domestiques en livrée et coiffés de casquettes plates, les tenant en
joue au bout de leurs fusils.
Les deux lignes s'échappèrent de leurs mains et se mirent à descendre la
rivière.
En quelques secondes, ils furent saisis, attachés, emportés, jetés dans une
barque et passés dans l'île.
Et derrière la maison qu'ils avaient crue abandonnée, ils aperçurent une
vingtaine de soldats allemands.
Une sorte de géant velu, qui fumait, à cheval sur une chaise, une grande
pipe de porcelaine, leur demanda, en excellent français: "Eh bien,
Messieurs, avez-vous fait bonne pêche?"
Alors un soldat déposa aux pieds de l'officier le filet plein de poissons,
qu'il avait eu soin d'emporter. Le Prussien sourit: "Eh! eh! je vois que ça
n'allait pas mal. Mais il s'agit d'autre chose. Ecoutez-moi et ne vous
troublez pas.
Pour moi, vous êtes deux espions envoyés pour me guetter. Je vous prends et
je vous fusille. Vous faisiez semblant de pêcher, afin de mieux dissimuler
vos projets. Vous êtes tombés entre mes mains, tant pis pour vous; c'est la
guerre.
Mais comme vous êtes sortis par les avant-postes, vous avez assurément un
mot d'ordre pour rentrer. Donnez-moi ce mot d'ordre et je vous fais grâce."
Les deux amis, livides, côte à côte, les mains agitées d'un léger
tremblement nerveux, se taisaient.
L'officier reprit: "Personne ne le saura jamais, vous rentrerez
paisiblement. Le secret disparaîtra avec