Nous voici arrivés en 1914, à cette année fatale où commença cette ...

Nos journées, en dehors des exercices et sermons de la retraite, étaient
occupées par ... Tante Louise et Bonne-Maman vinrent seules à la cérémonie,
tante Germaine ..... on envoie alors les devoirs du concours au journal où ils sont
notés et corrigés comme à l'examen. .... Ensuite nous avons été à l'église et au
cimetière.

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Nous voici arrivés en 1914, à cette année fatale où commença cette guerre
qui bouleversa de fond en comble la vieille Europe et s'attaqua sans
ménagements à l'intimité des foyers, à la tranquillité sereine des familles
pour semer partout le deuil et la désolation.
La première moitié de cette année est marquée par ma première communion.
Je me souviens un peu de la retraite qui précéda ce grand jour. Nous étions
deux, Hélène et moi, qui faisions notre communion solennelle, et il y avait
Suzanne Ducomet, Geneviève Delachair et Lucie Vecteur qui se préparaient au
renouvellement. Nos journées, en dehors des exercices et sermons de la
retraite, étaient occupées par des lectures pieuses et des jeux innocents
dans le jardin tout en fleurs de madame Loth. Nous ne faisions plus rien
comme travail de classe. Cela était réellement délicieux. Quant à mon état
d'esprit à ce moment, les souvenirs qui m'en restent sont assez vagues et
incertains. J'étais heureuse, certes, mais calme et je m'en étonnais. Il
faudrait que j'eusse beaucoup vécu. Quoiqu'il en soit, cette journée fut
belle et heureuse, certainement. Si ce n'est qu'à une illusion que je dus
ce bonheur passager, mais profond, que bénie soit cette illusion et le
réconfort qu'elle donne ! De toutes les façons, elle est belle et noble,
puisqu'elle offre à l'âme une des joies les plus pures, les plus
désintéressées et les plus élevées qui soient ! Tout n'est-il pas
illusion ? Et, s'il faut dire l'impression réelle de mon âme à l'heure
qu'il est, j'affirmerai que c'est peut-être là le moins illusoire de tous
les bonheurs. Tante Louise et Bonne-Maman vinrent seules à la cérémonie,
tante Germaine étant déjà venue à Louviers à Pâques avec mon oncle Paul. Il
n'y eut pas à ma maison de fête ou de réjouissance extraordinaire et je
n'ai pas lieu de m'en plaindre. Après être restée quelques jours avec nous,
ma tante et ma grand-mère reprirent le chemin du Nord qu'elles devaient
bientôt quitter à nouveau ! Elles ne s'en doutaient guère à ce moment, et
les derniers jours s'écoulèrent tranquillement.
11 juin 1914 - 17 juin - Les derniers jours de juillet - 31 juillet - 1er
août 1914....
Oh ! L'angoisse mortelle qui plana sur tous les Français aux derniers
jours de ce mois de juillet 1914 ! Je n'ai pas la prétention d'écrire ici
l'Histoire de la guerre, d'autant plus qu'elle n'a eu sur moi qu'une
influence, en somme, assez indirecte, mais je ne puis me dispenser
d'évoquer l'anxiété terrible à laquelle nos esprits étaient en proie la
veille de la guerre. Pour moi, personnellement, j'éprouvais des sentiments
assez complexes ; peu de temps auparavant, encore, je souhaitais voir une
guerre, une vraie guerre, ailleurs que dans les pages de mon Histoire de
France et, jusqu'au moment où elle se présenta devant moi comme une réalité
palpable, je n'étais réellement pas fâchée en songeant que bientôt je
verrai un conflit que, plus tard (cela surtout me charmait !) je pourrais
raconter à mes arrière-neveux... D'autres part, j'avais toujours compté sur
des hostilités future avec L'Allemagne ; il me paraissait impossible que la
revanche de 70 n'eût pas lieu dans un temps assez court. De la sorte, les
premiers bruits de guerre ne m'étonnèrent pas plus qu'ils ne m'effrayèrent.
En réalité, de telles pensées n'avaient d'autre excuse que celle de mes
onze ans ; je dois ajouter que dès la fin de juillet, je cessai de prendre
plaisir à voir réalisé mon souhait imprudent. Je fus aussi épouvantée en
voyant le grand orage se déchainer sur l'Europe que si j'en avais été la
cause directe.
Quand j'étais enfant, le mot de guerre ne correspondait dans mon esprit à
aucune réalité. Les guerres appartenaient à l'histoire c'est à dire à des
époques révolues et jamais ma pensée ne s'attardait à les évoquer, en
dehors de leçons que je jugeais fastidieuses. Je pensais qu'il y avait une
coupure totale entre l'histoire et la vie courante ; entre l'histoire,
suite d'événements incompréhensibles, dont les dates m'obligeaient à un
exercice pénible de mémoire, et la mythologie peuplée d'agréables récits,
de créatures simples et biens définies, dont les aventures s'enchainaient
avec logique, faciles à identifier dans les ?uvres d'art toutes mes
préférences allaient à la mythologie, et je comprenais mieux la guerre de
Troie que celle de 1870.
L'époque de me jeunesse fut celle du patriotisme et du panache ; le mot
de revanche était employé avec prodigalité l'Allemagne apparaissait comme
un pays entre tous haïssable et, dans tous les romans de l'époque, les
allemands jouaient un rôle grotesque ou antipathique. Mais, ceci mis à
part, je ne pouvais imaginer avant 1914 que je serais contemporaine de
nouveaux conflits. C'est donc avec un intérêt très vif et même une espèce
de fierté que, dans cet été de 1914, je vis venir les signes avant-coureurs
de la catastrophe mondiale. J'avais 11 ans, pour moi une guerre ne pouvait
être que victorieuse ; les visages consternés autour de moi, l'air soucieux
de mes parents me surprenaient beaucoup : je me préparais à assister à la
guerre comme à quelque spectacle de choix.
Comment peu à peu ce mot de guerre qui me semblait exaltant arriva-t-il à
perdre son prestige ? Il me fallut du temps pour réaliser.
La plus grande particularité de mon état d'esprit au cours de la lutte
entre les principales puissances du monde est que jamais, à aucun moment,
je n'ai douté de la victoire finale de la France. Il me semblait
monstrueux, déraisonnable, insensé de songer qu'elle eût pu être vaincue
et, même au moment les plus critiques des hostilités, ma certitude absolue
ne m'a jamais abandonnée. La Grande Guerre : mobilisation générale Je me rappelle bien les débuts de la guerre. D'abord, le 26 juillet 1914,
nous avons appris la fameuse note de l'Autriche à la Serbie. Consternation
générale !
Pour moi, je ne comprenais pas beaucoup ce que cela voulait dire. Je
n'étais encore qu'une gamine de dix ans, et je me souciais beaucoup plus
des vacances qui venaient de commencer que des questions de politique. La
guerre n'était qu'un mot pour moi, et même... quand je pense qu'à ce moment-
là, je la désirais presque à cause de l'Alsace-Lorraine. Maintenant qu'elle
y est, je me console de tous nos malheurs parce que c'est la « Revanche ».
Mais, enfin, elle n'y serait pas que je la souhaiterais beaucoup moins
vivement qu'autrefois. En tous cas, j'allais bien consciencieusement
plusieurs fois par jour à la Société Générale où étaient affichés les cours
de la Bourse. J'ignorais leur signification, aussi n'était-ce pas pour moi
que j'y allais, mais pour Papa et Maman. *** Et le jour de la mobilisation, donc !
C'était un samedi, nous étions allés pendant l'après-midi chez madame
Simon. Nous revenons le soir, et nous rencontrons monsieur Simon tout
effaré :
Ça y est ! On l'affiche !
Il parlait de la « mobilisation »
Cette fois, nous nous sommes mis à courir pour arriver plus tôt !
Quelques centaines de mètres plus loin, nous rencontrons le tambour
municipal qui clame de toutes ses forces l'épouvantable nouvelle, et,
ensuite, un afficheur qui colle à la hâte les morceaux de papier, ornés de
deux petits rubans tricolores, partout sur les murs. Tout le long du
chemin, nous croisons des groupes éplorés, des femmes en larmes, des
garçons attendris. Cela était tout à fait triste, mais il y eut des moments
encore plus émouvants.
La guerre était inévitable, mais après tout, elle n'était pas encore
déclarée, et la Russie tentait encore des arrangements, quand le lundi :
crac ! L'Allemagne lui déclare la guerre. Le mardi, c'était à nous, et puis
en même temps la note à la Belgique. Le mercredi, l'Angleterre déclare la
guerre à l'Allemagne et la Belgique refuse de donner passage aux démons
d'Alboches, comme l'on disait dans ce temps-là.
Brave petite Belgique ! Il n'y a pas à dire, mais elle a fait crânement
son devoir, celle-là ! Elle s'est chiquement conduite et je l'aime beaucoup
la Belgique !
Vraiment les événements n'ont pas traînés et, si j'avais écrit mon
journal dans ce temps-là, j'en aurais eu à raconter ! J'ai oublié beaucoup
de choses et, si j'écris tout cela aujourd'hui, c'est pour ne pas en
oublier davantage.
Ensuite, il y eut le siège de Liège, et sa chute après une défense si
magnifique ! Après Liège, il y eut Anvers, Bruges, Namur, Bruxelles et bien
d'autres villes sont prises par les Boches, et voilà les ennemis qui
menacent le Nord de la France. *** Dans notre famille, nous n'avions aucun parent qui fût en âge de partir,
à l'exception de quelques parents éloignés et des trois frères de tante
Germaine dont l'aîné avait 30 ans et le plus jeune 21. Mon oncle Paul, en
tant que pharmacien, ne nous inspirait pas d'inquiétudes ; mon oncle Henri
ne faisait plus partie de l'armée active ; quant à papa, son infirmité nous
enlevait toute crainte à son sujet.
Les premiers jours de la guerre s'écoulèrent avec assez de calme. Nous
allions sur les boulevards pour voir passer les principaux habitants de
Louviers qui avaient été réquisitionnés pour conduire des chevaux d'une
ville à une autre et qui défilaient en caravanes, dirigeant chacun leurs
chevaux.
Puis Louviers eut l'honneur d'héberger pendant quelques jours le 41ème
régiment d'artillerie dont la garnison était Douai. L'un des meilleurs amis
de papa, le capitaine Henri Wibault, en faisait partie. Aussi vint-il loger
à la maison avec son ordonnance. Je me souviens un peu de lui : il était
gai et aimable ; il jouait avec nous. Il fut, malheureusement tué au cours
de la guer