V. La sociocritique

[44] Ainsi, Greg s'éloigne de l'idée du texte de base ?parfait? et bien qu'il veuille
corriger les erreurs évidentes, il permet des corrections (comme par ex. le
remplacement d'une ponctuation ...... Lanson, Gustave, « La méthode de l'histoire
littéraire », Essais de méthode de critique et d'histoire littéraires, Paris, Hachette,
1965.

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Préface
L'entreprise que nous avons lancée il y a un an et que la contribution
des fonds européens nous ont permis de mener à bien se justifie par les
besoins des étudiants francophones en lettres au cours de leur cursus
universitaire dans le nouveau système de Bologne. Les lycéens ne sont
formés ni en théorie ni en pratique pour analyser les textes littéraires ou
même pour approcher des textes tout court. C'est la raison pour laquelle
nous avons trouvé nécessaire de proposer une formation de base des le début
en BA, formation qu'il faudrait continuer et perfectionner lors du MA
aussi, éventuellement.
Nous avons constaté également que les manuels de théorie littéraire
ou les quelques introductions aux études littéraires qui sont disponibles
en hongrois négligent sensiblement les écoles francaises de critique
littéraire, bien que la plupart des tendances dont le structuralisme, la
déconstruction, la critique thématique ou la psychocritique, pour ne citer
que quelques exemples, ont été remarquablement développées, pratiquées ou
meme fondées en France. Il nous semblait que l'importance de Roland
Barthes, de Julia Kristeva, de Jacques Derrida ou de Gilles Deleuze, entre
autres, est sous-estimée dans les manuels de langue hongroise disponibles
en Hongrie et il y a des courants importants a faire connaître non
seulement parmi les étudiants francophones, mais auprès d'un public
francophone plus large aussi.
L'objectif de notre manuel était donc de donner une synthèse des
courants francais qui ont joué un rôle considérable dans les nouvelles
approches théoriques des études littéraires lors des deux derniers siècles.
En vue de fonder une conception du texte et de l'oeuvre littéraires, nous
avons commencé par les approches plus traditionnelles de la littérature,
notamment par une vue d'ensemble de l'histoire littéraire et de la
sociocritique (deux chapitres rédigés par Péter Balázs), ainsi que par un
tour d'horizon de la problématique de la notion du texte (Ilona Kovács).
Cette dernière concerne tous les problèmes des manuscrits, de l'édition des
textes et des théories modernes du texte, avant tout la conception
barthienne du texte. Les chapitres qui suivent ce fondement théorique
visant a définir globalement le texte, se proposent de donner une vue
d'ensemble des courants importants plus récents qui sont pratiquement
inconnus chez nous, notamment la critique de la conscience et la critique
thématique, ainsi que l'esthétique de la réception (chapitres rédigés par
Ilona Kovács).
Il fallait impérativement compléter ce tableau par un tour d'horizon
des dernières tendances modernes de la critique littéraire, y compris les
développements de la critique psychanalitique en France, mais surtout le
tournant que l'auteur des deux derniers chapitres, Timea Gyimesi, traite
comme une évolution qui mène du tournant linguistique au tournant
discursif. Elle y analyse les courants les plus récents et les tendances
post-modernes aussi, plus particulièrement la déconstruction et les
théories deleuziennes.
Dans l'espoir de voir sortir ce manuel sous forme imprimée aussi,
nous attendons les critiques et les remarques qui nous permettront de
développer cette introduction en vue d'en faire un manuel pratique
facilitant l'analyse des textes littéraires dans le nouveau cursus
universitaire. Szeged, le 15 novembre Balázs Péter, Gyimesi Tímea, Kovács Ilona
I. LA NOTION DU TEXTE ET LES MANUSCRITS. L'HISTORIQUE DES EDITIONS
SCIENTIFIQUES ET LA PLACE DE LA CRITIQUE GENETIQUE DANS LA THEORIE DU TEXTE I La notion du texte.
Oralité et écriture.
Le concept du texte (et par conséquent celui de l'?uvre) semble être lié à
l'écriture, puis le mot même (étym. texte: lat. tissu) désigne un tissu de
signes. Pourtant, l'oralité constitue une forme substantielle des ?uvres et
la survie est assurée par la tradition orale (le bouche-à-oreille). Il ne
faut pas oublier que toutes les cultures humaines ont commencé leur vie
sans les moyens de transmission fournis par l'écriture et plus tard, les
médias. Dans toutes les sociétés, à l'origine, le stockage se faisait par
la mémoire individuelle et collective et il existe toujours des sociétés
(en Afrique par ex.) qui n'utilisent pas l'écriture pour transmettre leurs
connaissances de générations en générations. Avant l'invention et la
diffusion des écritures ou sans le moyen de celles-ci, les sociétés forment
des méthodes qui constituent la tradition orale. Celle-ci concerne des
systèmes socioculturels comprenant des faits culturels très divergents et
très différents, mais les modes de communication et de mémorisation qui ont
été héritées pendant des siècles ont certains traits communs. Il faut
pourtant toujours tenir compte du fait que les recherches sont limitées
dans ce domaine et les connaissances actuelles s'avèrent bien
conjecturales.
Pour commencer, il faut délimiter le champ couvert par la tradition
orale qui englobe des phénomènes aussi hétérogènes que les généalogies, le
savoir sur les droits de propriété, la poésie (ou en général la littérature
orale) et les rituels de toutes sortes, puis les techniques et méthodes
acquises par les générations successives. Ainsi, la tradition orale renvoie
toujours et nécessairement au passé et assure le lien entre les générations
qui se relayent. Il existe une notion restreinte de cette oralité qui ne
comprend que les énoncés qui se rapportent explicitement au passé: mythes
de fondation, légendes historiques, contes et poèmes sur l'origine et les
chroniques qui fixent la succession des familles et des dynasties. Selon
une notion plus vaste de la tradition orale, cette restriction n'est pas
pertinente, étant donné que l'héritage légué par les chants et par la
parole ne distingue pas entre contes et faits historiques, mythes, rites et
coutumes, il faut donc prendre l'expression dans une acception très large.
Il est impossible d'approcher la problématique de la tradition orale
sans une pluridisciplinarité fondamentale, puisque bon nombre de sciences
contribuent à apporter là-dessus des connaissances et des hypothèses qui
sont parfois contradictoires entre elles et il n'existe pas de synthèse
admise sur les caractéristiques communes de ces cultures. Les disciplines
de base pour l'étude des sociétés ayant une tradition orale sont
l'ethnographie ou l'ethnologie, l'histoire, l'anthropologie structurale, la
linguistique et la théorie littéraire qui apportent des éléments qui ne
sont toutefois pas intégrés dans une théorie unique ou unifiée.
Les recherches sont orientées selon deux grandes voies principales,
l'une se concentre sur le processus de transmission de certaines
connaissances et pratiques, l'autre étudie les produits du processus qui
composent la culture de telle ou telle communauté. Selon Pascal Boyer[1] ce
deuxième type de recherches a été jusqu'ici privilégié par les ethnologues
et les historiens, ce qui a mené à une situation paradoxale: "...alors
qu'on dispose d'hypothèses nombreuses, riche et variées quant au contenu et
à l'organisation des traditions orales, il n'existe que fort peu de travaux
sur le phénomène même de la transmission orale ainsi, les spécialistes qui
formulent des hypothèses universelles sur des phénomènes tels que
l'universalité de certaines structures narratives n'ont pas essayé de les
relier systématiquement aux contraintes de la transmission orale des
récits."[2]
Du point de vue littéraire, c'est le manque de toute version
« originale » (par conséquent unique et authentique) qui importe le plus,
puisque la multiplicité des variantes et l'existence plurielle domine par
cette diversité des versions dont aucune ne prévaut sur les autres. Cette
optique qui contredit toute notion de texte statique, immuable, ne se
faisait pas valoir dans l'Europe du XIXe siècle quand on a commencé à noter
le folklore, qu'il s'agisse de chant, de poèmes épiques et lyriques ou de
danse. Par conséquent, les épopées notées à cette époque-là ont privilégié
une seule version de l'?uvre qui existait pourtant dans la réalité à
travers une variance infinie. En principe, ces éditions doivent donc être
reconsidérées de nos jours, même s'il est devenu entre-temps impossible de
remonter aux sources et de les transcrire différemment.
L'usage même du terme « littérature » est problématique concernant
l'ensemble des compositions qu'on désigne par le terme « littérature
orale » et qui va des mythes d'origines aux épopées et à la poésie lyrique,
y compris les paroles des poèmes chantés, les proverbes, les énigmes et les
formules incantatoires. Il faudrait faire abstraction de l'idée de l'écrit
qui implique des lettres (des caractères) pour leur assurer une survie et
qui implique une projection rétrospective de l'écriture sur la parole, dans
tous les sens du mot. Il faudrait réexaminer également la pertinence des
notions élaborées pour les cultures écrites, telles que « littérarité »,
auteur, ?uvre, style, genres, etc. Il est probable, mais reste à
démontrer, ce que Pascal Boyer formule ainsi : "La plupart des catégories
fondamentales de l'analyse littéraire perdent, en effet, leur pertinence
lorsqu'on aborde la littérature orale."[3]
Ainsi il faut sûrement renoncer à la relative stabilité supposée par
le terme d'?uvre qui suggère une forme achevée, attribuée la plupart du
temps à un auteur connu et nommé. On a affaire là à des formes