PUBLIER Madame Bovary, 1857, Gustave FLAUBERT. I ? La ...

Pour toutes les ?uvres de Flaubert, il manque un dernier chaînon génétique : L
es épreuves corrigées, que l'imprimeur a dû détruire. Dans la cinquième livraison
, la scène du fiacre (Troisième partie, chapitre I.) a été censurée. Flaubert a exigé
de Maxime Du Camp l'insertion d'une note ainsi conçue : « La direction s'est ...

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PUBLIER Madame Bovary, 1857, Gustave FLAUBERT.
I - La publication de Madame Bovary.
Pendant les années où Flaubert rédige Madame Bovary, il ne semble pas se
poser la question de sa publication : Il écrit pour lui, sans souci
apparent d'un lectorat. Maxime Du Camp, directeur de la Revue de Paris, lui
a promis que sa place serait prête dans son périodique le moment venu, mais
Flaubert s'est éloigné de son ancien ami, à qui il reproche de trahir
l'idéal de l'Art au profit d'une littérature industrielle soumise au goût
du jour.
Plus tard, Flaubert dira que sans Bouilhet il n'aurait pas fait imprimer
son premier roman : C'est sans doute l'auteur de Melaenis, conte romain
dédié à Flaubert et publié dans la revue de Du Camp, qui a joué en effet le
rôle d'intermédiaire.
Madame Bovary paraît en feuilletons dans la Revue de Paris, du
1er octobre au 15 décembre 1856, à raison d'une livraison tous les quinze
jours.
( 1er octobre, p. 5-55 : Toute la première partie.
( 15 octobre, p. 200-248 : Deuxième partie, chapitres I à VII.
( 1er novembre, p. 403-456 : Deuxième partie, chapitres VIII à XII.
( 15 novembre, p. 539-561 : Deuxième partie, chapitres XIII à XV.
( 1er décembre, p. 35-82 : Troisième partie, chapitre 1 à VI.
( 15 décembre, p. 250-290 : Troisième partie, chapitres VII à XI
(Numérotés par erreur VIII à XII dans la Revue de Paris.). Pour toutes les ?uvres de Flaubert, il manque un dernier chaînon
génétique : Les épreuves corrigées, que l'imprimeur a dû détruire.
Dans la cinquième livraison, la scène du fiacre (Troisième partie,
chapitre I.) a été censurée. Flaubert a exigé de Maxime Du Camp l'insertion
d'une note ainsi conçue : « La direction s'est vue dans la nécessité de
supprimer ici un passage qui ne pouvait convenir à la rédaction de la Revue
de Paris ; nous en donnons acte à l'auteur. M.D. » (1er décembre 1856,
p. 45).
La dernière livraison a également fait l'objet de censures. Flaubert
proteste dans une note : « Des considérations que je n'ai pas à apprécier
ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans le numéro du
1er décembre. Ses scrupules s'étant renouvelés à l'occasion du présent
numéro, elle a jugé convenable d'enlever encore plusieurs passages. En
conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent ;
le lecteur est prié de n'y voir que des fragments et non pas un ensemble.
Gustave Flaubert. »
Après le procès, le roman paraît en deux volumes chez Michel Lévy le
16 avril 1857. L'édition est annoncée le 18 avril dans le Journal de la
librairie, mais Le Journal des Débats et Le Siècle du 17 indiquent déjà que
« le roman de Flaubert vient de paraître » (voir René Dumesnil et
D. L. Demorest, Bibliographie de Gustave Flaubert, Giraud-Badin, 1939,
p. 26). Flaubert a disposé de ses exemplaires d'auteur quelques jours
auparavant puisque la première lettre de remerciement date du 16 et le
premier article du 21.
L'édition Michel Lévy de 1857 connaît de nombreux tirages, à partir de
1858 dans une édition corrigée.
Deux autres éditions originales paraissent chez le même éditeur en 1862
et 1869. Après sa brouille avec son premier éditeur, Flaubert confie une
nouvelle édition à Charpentier, en 1874, dite « Edition définitive »,
« suivie des réquisitoires, plaidoirie et jugement du procès intenté à
l'auteur devant le tribunal correctionnel de Paris, audiences des
31 janvier et 7 février 1857 ». Flaubert s'est trompé de date pour le
procès, qui a eu lieu en fait le 29 janvier.
Une dernière édition originale paraît chez Lemerre en 1874. Elle n'est
pas suffisamment fiable pour qu'on la considère comme le texte de
référence, ainsi qu'il est d'usage avec le dernier texte publié du vivant
de l'auteur. C'est pourquoi le texte de Madame Bovary est établi le plus
souvent d'après l'édition Charpentier. II- Le procès de Madame Bovary (29 janvier-7 février 1857). L'année 1857 est restée célèbre dans les annales des procès intentés à
la littérature : A quelques mois d'intervalle, Flaubert et Baudelaire
comparaissent devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la
Seine, sous le chef d'inculpation d'outrage à la morale publique et
religieuse et aux bonnes m?urs, et en face du même procureur impérial,
Ernest Pinard. Madame Bovary est acquitté et Les Fleurs du mal condamné,
mais dans les deux jugements se retrouvent identiquement le blâme pour
excès de réalisme.
Pendant la rédaction de son roman, Flaubert mesure l'effet social de son
?uvre : Il est très conscient d'écrire un livre qui scandalisera une partie
de son public. Le procès à venir s'ouvre déjà dans le roman lui-même, par
les discussions entre Charles et sa mère, qui veut interdire à Emma les
« mauvais livres », et menace « d'avertir la police, si le libraire
persistait dans son métier d'empoisonneur ».
Avant le procès proprement dit, un différend entre l'auteur et les
premiers éditeurs a déjà failli les conduire en justice, Flaubert se
trouvant alors dans le rôle du plaignant. Maxime Du Camp et Laurent Pichat,
directeurs de la Revue de Paris, jugeaient en effet indispensable de
pratiquer des coupures dans une ?uvre qui leur paraissait « embrouillée ».
Ils trouvaient trop longs la noce, les Comices, l'opération du pied-bot.
Conseillé par son ami Bouilhet, Flaubert avait déjà allégé volontairement
son texte et il n'était pas prêt à accepter les nouvelles corrections que
Laurent Pichat voulait lui imposer. Il obtint que tous les passages visés
soient rétablis dans la Revue de Paris. Le manuscrit du copiste porte les
multiples traces des interventions de l'auteur et de ses éditeurs-
censeurs : D'abord les corrections par Flaubert des erreurs commises par
ses copistes, puis les sacrifices volontaires de nombreux passages, enfin
les ratures pratiquées par Laurent Pichat, identifiables par les réactions
de Flaubert en marge, qui rétablit son texte en le recopiant (Parfois avec
des variantes.) quand il est devenu peu lisible sous les traits de biffure,
ou en intimant à l'imprimeur l'ordre de composer le texte. Malgré la parole
donnée à l'auteur, les éditeurs reculent au dernier moment devant la
publication de la scène du fiacre, par crainte de la police
correctionnelle. Sous la pression de cet argument, Flaubert finit par
s'exécuter, en obtenant toutefois que la suppression serait signalée dans
la Revue par une note (Livraison du 1er décembre 1856, p. 45).
Mais la publication de la dernière partie du roman, dans le numéro du
15 décembre, entraîne de nouvelles coupes : C'est alors que Flaubert
envisage d'intenter un procès aux directeurs de la Revue. Il se contente de
leur imposer la publication d'une note de protestation (p. 250).
Cette note a pu attirer l'attention du ministère de l'Intérieur, la Revue
de Paris étant surveillée en raison de ses positions républicaines : Elle
avait déjà fait l'objet de deux blâmes pour des articles politiques, et un
troisième entraînerait son interdiction (Elle disparaîtra d'ailleurs en
1858.). C'est Du Camp qui avertit son ami de l'ouverture d'une instruction
judiciaire, à la fin du mois de décembre 1856. Les lettres qui suivent
montrent comment Flaubert mobilise les relations politiques de sa famille
rouennaise, pendant que son avocat, maître Sénard, cherche des protections
à la Cour impériale. Flaubert tente également d'obtenir des recommandations
auprès d'écrivains et de critiques célèbres, Lamartine et Sainte-Beuve, qui
ont apprécié son roman. Il pense faire imprimer une sorte de mémoire,
composé du roman annoté et d'une préface comportant des « explications
esthético-morales ». Le mémoire fut interdit et la préface jamais écrite,
mais on en a retrouvé récemment un brouillon, publié dans La Censure et
l'?uvre.
Le procès eut lieu le 29 janvier 1857. Flaubert avait fait sténographier
le réquisitoire et la plaidoirie, qui nous sont donc parvenus. Le procureur
Ernest Pinard et l'avocat Jules Sénard, homme politique influent, partagent
les mêmes valeurs morales et la même conception utilitariste de la
littérature, qui doit servir à l'édification des lecteurs. Le premier
reproche à l'auteur de Madame Bovary la couleur « lascive » de son roman,
la « beauté de provocation » qui caractérise son héroïne et le mélange du
sacré et du profane. Le second plaide en faveur d'un fils de bonne famille
respectée dont le roman prêche par le contre-exemple : Le suicide d'Emma
montre suffisamment la punition du vice. Bien que Flaubert ait trouvé la
plaidoirie de son avocat « splendide », le lecteur d'aujourd'hui est peut-
être plus sensible au trouble à la fois moral et esthétique exprimé en son
temps par le procureur Pinard, choqué par la « domination » qu'exerce Emma
sur les hommes, et sensible à l'effet immoral produit par le procédé de
l'impersonnalité : L'auteur n'intervient jamais dans son ?uvre pour juger
la conduite de ses personnages, et il n'a pas pris la peine d'y introduire
une figure positive qui eût été le porte-parole du bon sens.
Le jugement est rendu huit jours après le procès, le 7 février 1857.
Flaubert est acquitté, mais blâmé pour son « réalisme vulgaire et souvent
choquant ». Le roman peut alors paraître en librairie, sans les coupures
imposées par les dernières livraisons de la Revue de Paris. Mais après être
passé par la double censure des coupures préventives et de la parole d'un
procureur, le texte se défait en fragments produisant des « effets
lubriques » que Flaubert ne sait pas toujours comment faire rentrer dans un
ensemble homogène. L'auteur est évidemment satisfait par le succès
foudroyant de son coup d'essai, mais il aurait préféré ne le devoir qu'à
l'art, et non au scandale judiciaire.
Le roman paraît chez Michel Lévy le 16 avril 1857. Dès qu'il est en
possession de ses volumes, Flaubert reporte sur un exemplaire les
71 corrections indiquées par Laurent Pichat sur le manuscrit du copiste ou
effectivement faites dans la Revue de Paris. Cet e