Les Habits Noirs 3 - Rachel

La maison Boivin était un cabaret assez vaste et fréquenté, comme vous pouvez
le penser, par des gens complètement étrangers à l'étiquette des cours. ...... Et ici,
la physionomie du vieillard président cadrait merveilleusement avec le caractère
de la réunion, ainsi que la présence de cette charmante dame, gracieusement ...

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Les Habits Noirs III La rue de Jérusalem par Paul Féval BeQ
Paul Féval
(1816-1887) La Rue de Jérusalem Les Habits Noirs III La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 306 : version 1.01 Le cycle des Habits Noirs comprend
huit volumes :
Les Habits Noirs C?ur d'Acier La rue de Jérusalem L'arme invisible Maman Léo L'avaleur de sabres Les compagnons du trésor La bande Cadet La Rue de Jérusalem Envoi à madame la R. de C... C'est vous, madame, qui m'avez fait connaître cette vivante mine
d'anecdotes où j'ai puisé les deux premières séries des Habits Noirs. C'est
vous encore qui m'avez raconté l'étonnement des maçons démolisseurs quand
ils découvrirent, dans l'épaisseur d'une paroi de la tour Tardieu, au coin
de l'ancienne rue de Jérusalem, un trou de forme sinistre - le moule d'un
homme.
J'ai essayé de ne rien inventer dans cette histoire dont notre vieil ami
a rassemblé les éléments. Il eût été facile de lui donner l'unité
dramatique, mais j'aurais renoncé à l'écrire, s'il m'avait fallu supprimer
l'épisode du roi Habit-Noir et de sa Maintenon-à-barbe.
Veuillez accepter ce livre où vous trouverez tant d'emprunts faits à nos
causeries. et croyez à mes respectueux sentiments d'affection.
P. F. Première partie
Clampin dit Pistolet
I
Meurtre d'un chat C'était un palier d'aspect misérable, mais assez spacieux, éclairé d'en
haut par un tout petit carreau dormant que la poussière rendait presque
opaque. Trois portes délabrées donnaient sur ce palier où l'on arrivait par
un escalier tournant, vissé à pic et dont l'arbre médial suait l'humidité.
Les trois portes étaient disposées semi-circulairement.
À droite et à gauche de l'escalier étroit, il y avait en outre deux
recoins, contenant quelques débris de bois de démolition, des mottes et des
fagots.
Le jour allait baissant. On entendait aux étages inférieurs qui étaient
au nombre de trois, y compris le rez-de-chaussée, des bruits confus, où
dominaient les cliquetis de verres et d'assiettes. Une violente odeur de
cabaret montait l'escalier en spirale et n'avait point d'issue.
Sur le carré de ce dernier étage tout était relativement silencieux. Par
la porte de droite, sous laquelle il y avait une large fente, un murmure de
discrète conversation sortait avec une bonne odeur de soupe fraîche.
Derrière la porte du milieu, c'était un silence absolu. Ce qu'on entendait
derrière la porte de gauche n'aurait point pu être défini, et même
l'oreille la plus sûre aurait hésité sur la question de savoir si le
martèlement périodique et sourd qui faisait vibrer la cage de l'escalier
venait de là ou de plus loin.
Il semblait venir de là, mais c'était comme voilé et comme affaibli par
une large distance. Néanmoins, à chaque coup, la cage de l'escalier
subissait une profonde secousse.
Dans le recoin à main gauche de l'escalier, on ne voyait rien, sinon
l'amas confus des pauvres combustibles, jetés là au hasard. Dans le recoin
de gauche, un rayon pâle, pénétrant au travers des fagots, éclairait un
superbe chat de gouttière, pelotonné, commodément occupé à se lisser le
poil.
La première porte en montant à gauche portait le n° 7 et c'était sa
seule enseigne.
La porte du milieu, outre son n° 8, avait une carte collée à l'aide de
quatre pains à cacheter et sur laquelle était un nom, écrit à la plume :
Paul Labre.
La troisième porte, celle d'où semblait venir le bruit périodique et
inexplicable, était marquée du n° 9.
En bas, un coucou sonna cinq heures ; il se fit un imperceptible
mouvement dans le recoin de gauche ; à droite, le chat dressa l'oreille
dans son nid, derrière les fagots.
La conversation devint plus distincte à l'intérieur de la chambre n° 7
et le bruit des voix qui causaient se rapprocha.
La porte s'ouvrit, laissant échapper cette franche odeur de soupe dont
nous avons déjà parlé. La chambre était grande et beaucoup plus vivement
éclairée que le carré. On y voyait une table ronde avec sa nappe mise, et,
au fond, une cheminée, entourée d'ustensiles de cuisine, pendus à la
muraille. Un homme et une femme qui continuaient une conversation commencée
se montrèrent sur le seuil.
La femme, qui n'était plus jeune, portait un costume d'ouvrière fort
propre où se retrouvait je ne sais quel reflet d'habitudes et de goûts
campagnards. Elle avait dû être très belle, et l'expression de son visage
inspirait la confiance. Il y avait en elle de la gravité et de la bonté.
Son compagnon était un homme de trente-cinq à quarante ans, petit, mais
bien pris dans sa courte taille. Sa figure énergique avait quelque chose de
débonnaire et de méfiant à la fois, comme il peut arriver pour les gens
dont la fonction contrarie le caractère. Sa joue rasée était bleue de
barbe, ses yeux très noirs et abrités sous des sourcils touffus regardaient
droit, mais regardaient trop. Il avait le sourire honnête. Ses vêtements
étaient ceux d'un petit-bourgeois.
- Comme ça, dit la femme, après avoir interrogé le palier du regard et
en parlant très bas, le général est à Paris ? Ne me cachez rien, monsieur
Badoît, ajouta-t-elle en voyant que son compagnon hésitait. Vous savez bien
que je ne suis pas bavarde.
- Je sais que vous êtes la meilleure des bonnes, maman Soulas, répondit
M. Badoît, mais ça brûle, voyez-vous, et il y a là-dessous une manigance à
faire dresser les cheveux ! Je sens Toulonnais-l'Amitié à une lieue à la
ronde, moi.
- M. Lecoq ! Les Habits Noirs ! murmura Thérèse Soulas avec plus de
curiosité encore que de crainte.
Elle ajouta doucement :
- Mou ! mou ! mou ! Ce minet devient presque aussi mauvais sujet que M.
Mégaigne. Viens, trésor !
Badoît lui tendit la main.
- À tout à l'heure, dit-il. Je serai là pour le potage, six heures
tapant... C'est drôle tout de même que les dames ont généralement des idées
pour les mauvais sujets.
Il y avait là-dedans un reproche. Thérèse Soulas se mit à rire bonnement
et retint la main qu'on lui donnait.
- Savez-vous pour qui j'ai une idée ? murmura-t-elle, c'est pour le
pauvre grand garçon qui est si pâle. J'ai... j'ai eu une fille qui aurait
presque cet âge-là.
Elle regardait d'un air triste la porte du milieu, marquée du n° 8.
- Ah ! Ah ! répliqua Badoît avec bonne humeur, je ne suis pas jaloux de
M. Paul ! S'il avait du goût pour l'éclat, celui-là, il irait loin. Son
affaire avec le général l'avait planté du premier coup... mais ça se ronge
de honte et de préjugés. À vous revoir, madame Soulas ; je suis sur une
piste, et j'ai un diable dans le corps !
Il descendit lentement l'escalier. Mme Soulas resta un instant pensive
sur le pas de sa porte.
- Le général ! se dit-elle. Ma fille est heureuse dans sa maison. Je
sais qu'il l'aime autant que son autre fille. C'est singulier ; moi, je ne
connais pas son autre enfant, et je l'aime presque autant que ma fille !
Elle fit sa voix toute douce pour appeler encore :
- Mou, mou ! mou ! libertin ! mou ! mou !
Mais l'obstiné matou se gobergeait sous ses fagots et faisait la sourde
oreille.
Mme Soulas rentra et referma sa porte. Pendant tout le temps qu'elle
avait été sur le palier, le bruit régulier et sourd avait cessé dans la
chambre n° 9. Aussitôt que Mme Soulas eut disparu, le bruit recommença.
Elle était maintenant assise auprès de sa cheminée, regardant fixement
une grande marmite de cuivre, où bouillait le pot-au-feu.
- Moi, pensait-elle, il ne sait plus que j'existe, et qu'importe ? Je ne
lui ai jamais rien demandé pour moi.
Elle avait pris sous le revers de son fichu une petite boîte qu'elle
ouvrit. La boîte contenait le portrait d'un fort beau cavalier portant le
costume de lancier et les insignes de chef d'escadron. Sous le portrait, on
pouvait lire ces mots : « À Thérèse. »
Mme Soulas le regarda. Il eût été malaisé de traduire l'émotion de son
sourire. Ce n'était en aucune façon de l'amour.
- Ils disent que les révolutions ont changé le monde, murmura-t-elle. Un
homme beau, riche, puissant, passe dans un pauvre pays ; il trouve une
femme belle, il lui prend sa conscience et son repos : il s'en va heureux,
elle reste misérable. Quand mettront-ils autre chose à la place de
cela ?... Ah ! j'ai eu bien de la tendresse et bien de la colère ! Mais je
n'ai plus rien, sinon la pensée de ma fille. Ysole est heureuse chez lui ;
tout ce que je pourrais faire pour lui, je le ferais de bon c?ur.
La marmite bouillait copieusement, jetant à profusion ces effluves qui
offensent les estomacs rassasiés et ravissent jusqu'à l'extase l'humble
appétit du poète.
Mme Soulas se leva pour mettre en ordre le couvert : une demi-douzaine
d'assiettes dont chacune avait sa bouteille coiffée d'une serviette en
turban.
Nous som