Sans famille - La Bibliothèque électronique du Québec

Se dit aussi d'une personne anémique dont le visage n'a pas de couleur. ......
toque à trois pointes que le prêtre doit porter dans le choeur selon le cérémonial
romain. ...... les aperçus les attire-garçons les attireux les bajottes les balançoires
...... viagère et alimentaire, composée des articles suivants, quatre cents livres de
 ...

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Hector Malot


Sans famille


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BeQ
Hector Malot

1830-1907











Sans famille


roman











La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 9 : version 1.2




Du même auteur, à la Bibliothèque :

En famille

Romain Kalbris

Ghislaine

Une femme d'argent

Baccara

Anie
















Sans famille





Édition de référence

Le Livre de Poche.







À Lucie Malot.



Pendant que j'ai écrit ce livre, j'ai constamment pensé à toi, mon
enfant, et ton nom m'est venu à chaque instant sur les lèvres. - Lucie
sentira-t-elle cela ? - Lucie prendra-t-elle intérêt à cela ? Lucie,
toujours. Ton nom, prononcé si souvent, doit donc être inscrit en tête de
ces pages : je ne sais la fortune qui leur est réservée, mais quelle
qu'elle soit, elles m'auront donné des plaisirs qui valent tous les succès,
- la satisfaction de penser que tu peux les lire, - la joie de te les
offrir.




Hector Malot.

















Première partie








I





Au village




Je suis un enfant trouvé.

Mais, jusqu'à huit ans, j'ai cru que, comme tous les autres enfants,
j'avais une mère, car, lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me
serrait si doucement dans ses bras en me berçant, que mes larmes
s'arrêtaient de couler.

Jamais je ne me couchais dans mon lit sans qu'une femme vint
m'embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les
vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle
restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve
encore dans ma mémoire l'air et quelques paroles.

Quand j'avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait
conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles
pour me consoler ou me donner raison.

Par tout cela et par bien d'autres choses encore, par la façon dont elle
me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la
douceur qu'elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu'elle était ma
mère.

Voici comment j'appris qu'elle n'était que ma nourrice.

Mon village, ou, pour parler plus justement, le village où j'ai été
élevé, car je n'ai pas eu de village à moi, pas de lieu de naissance, pas
plus que je n'ai eu de père et de mère, le village enfin où j'ai passé mon
enfance se nomme Chavanon ; c'est l'un des plus pauvres du centre de la
France.

Cette pauvreté, il la doit non à l'apathie ou à la paresse de ses
habitants, mais à sa situation même dans une contrée peu fertile. Le sol
n'a pas de profondeur, et pour produire de bonnes récoltes il lui faudrait
des engrais ou des amendements qui manquent dans le pays. Aussi ne
rencontre-t-on (ou tout au moins ne rencontrait-on à l'époque dont je
parle) que peu de champs cultivés.

C'est dans un repli de terrain, sur les bords d'un ruisseau qui va
perdre ses eaux rapides dans un des affluents de la Loire, que se dresse la
maison où j'ai passé mes premières années.

Jusqu'à huit ans, je n'avais jamais vu d'homme dans cette maison ;
cependant ma mère n'était pas veuve, mais son mari, qui était tailleur de
pierre, comme un grand nombre d'autres ouvriers de la contrée, travaillait
à Paris, et il n'était pas revenu au pays depuis que j'étais en âge de voir
ou de comprendre ce qui m'entourait. De temps en temps seulement, il
envoyait de ses nouvelles par un de ses camarades qui rentrait au village.

« Mère Barberin, votre homme va bien ; il m'a chargé de vous dire que
l'ouvrage marche fort, et de vous remettre l'argent que voilà ; voulez-vous
compter ? »

Et c'était tout. Mère Barberin se contentait de ces nouvelles : son
homme était en bonne santé ; l'ouvrage donnait ; il gagnait sa vie.

De ce que Barberin était resté si longtemps à Paris, il ne faut pas
croire qu'il était en mauvaise amitié avec sa femme. La question de
désaccord n'était pour rien dans cette absence. Il demeurait à Paris parce
que le travail l'y retenait ; voilà tout. Quand il serait vieux, il
reviendrait vivre près de sa vieille femme, et avec l'argent qu'ils
auraient amassé ils seraient à l'abri de la misère pour le temps où l'âge
leur aurait enlevé la force et la santé.

Un jour de novembre, comme le soir tombait, un homme, que je ne
connaissais pas, s'arrêta devant notre barrière. J'étais sur le seuil de la
maison occupé à casser une bourrée. Sans pousser la barrière, mais en
levant sa tête par-dessus en me regardant, l'homme me demanda si ce n'était
pas là que demeurait la mère Barberin.

Je lui dis d'entrer.

Au bruit de nos voix, mère Barberin accourut et, au moment où il
franchissait notre seuil, elle se trouva face à face avec lui.

« J'apporte des nouvelles de Paris », dit-il.

C'étaient là des paroles bien simples et qui déjà plus d'une fois
avaient frappé nos oreilles ; mais le ton avec lequel elles furent
prononcées ne ressemblait en rien à celui qui autrefois accompagnait les
mots : « Votre homme va bien, l'ouvrage marche. »

« Ah ! mon Dieu ! s'écria mère Barberin en joignant les mains, un
malheur est arrivé à Jérôme !

- Eh bien, oui, mais il ne faut pas vous rendre malade de peur ; votre
homme a été blessé, voilà la vérité ; seulement il n'est pas mort. Pourtant
il sera peut-être estropié. Pour le moment il est à l'hôpital. J'ai été son
voisin de lit, et, comme je rentrais au pays, il m'a demandé de vous dire
la chose en passant. »

Mère Barberin, qui voulait en savoir plus long, pria l'homme de rester à
souper.

Il s'assit dans le coin de la cheminée et, tout en mangeant, il nous
raconta comment le malheur était arrivé : Barberin avait été à moitié
écrasé par des échafaudages qui s'étaient abattus, et comme on avait prouvé
qu'il ne devait pas se trouver à la place où il avait été blessé,
l'entrepreneur refusait de lui payer aucune indemnité.

« Pourtant, dit-il en terminant son récit, je lui ai donné le conseil de
faire un procès à l'entrepreneur.

- Un procès, cela coûte gros.

- Oui, mais quand on le gagne ! »

Mère Barberin aurait voulu aller à Paris, mais c'était une terrible
affaire qu'un voyage si long et si coûteux.

Le lendemain matin, nous descendîmes au village pour consulter le curé.
Celui-ci ne voulut pas la laisser partir sans savoir avant si elle pouvait
être utile à son mari. Il écrivit à l'aumônier de l'hôpital où Barberin
était soigné, et, quelques jours après, il reçut une réponse, disant que
mère Barberin ne devait pas se mettre en route, mais qu'elle devait envoyer
une certaine somme d'argent à son mari, parce que celui-ci allait faire un
procès à l'entrepreneur chez lequel il avait été blessé.

Les journées, les semaines s'écoulèrent, et de temps en temps il arriva
des lettres qui toutes demandaient de nouveaux envois d'argent ; la
dernière, plus pressante que les autres, disait que, s'il n'y avait plus
d'argent, il fallait vendre la vache pour s'en procurer.

Ceux-là seuls qui ont vécu à la campagne avec les paysans savent ce
qu'il y a de détresses et de douleurs dans ces trois mots : « vendre la
vache ».

Pour le naturaliste, la vache est un animal ruminant ; pour le
promeneur, c'est une bête qui fait bien dans le paysage lorsqu'elle lève au-
dessus des herbes son mufle noir humide de rosée ; pour l'enfant des
villes, c'est la source du café au lait et du fromage à la crème ; mais
pour le paysan, c'est bien plus et mieux encore. Si pauvre qu'il puisse
être et si nombreuse que soit sa famille, il est assuré de ne pas souffrir
de la faim tant qu'il y a une vache dans son étable. Avec une longe ou même
avec une simple hart nouée autour des cornes, un enfant promène la vache le
long des chemins herbus, là où la pâture n'appartient à personne, et le
soir la famille entière a du beurre dans sa soupe et du lait pour mouiller
ses pommes de terre ; le père, la mère, les enfants, les grands comme les
petits, tout le monde vit de la vache.

Nous vivions si bien de la nôtre, mère Barberin et moi, que jusqu'à ce
moment je n'avais presque jamais mangé de viande. Mais ce n'était pas
seulement notre nourrice qu'elle était, c'était encore notre camarade,
notre amie, car il ne faut pas s'imaginer que la vache est une bête
stupide, c'est au contraire un animal plein d'intelligence et de qualités
morales d'autant plus développées qu'on les aura cultivées par l'éducation.
Nous caressions la nôtre, nous lui parlions, elle nous comprenait, et de
son côté, avec ses grands yeux ronds pleins de douceur, elle savait très
bien nous faire entendre ce qu'elle voulait ou ce qu'elle ressentait.

Enfin nous l'aimions et elle nous aimait, ce qui est tout dire.

Pourtant il fallut s'en séparer, car c'était seulement par « la vente de
la vache » qu'on pouvait satisfaire Barberin.

I