Le ventriloque I - La Bibliothèque électronique du Québec

Ce troisième témoin, valet de charrue à la ferme des Étiaux, était un jeune .....
privée, très enthousiaste dans l'exercice de ses fonctions, quelque peu
emphatique, .... XII. Le maire de Rocheville ne lisait jamais que le Fanal de la ....
séduit par les crimes bien noirs dont chaque page était amplement truffée, ...... Il
loge au 104.

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Xavier de Montépin

Le ventriloque I



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BeQ


Xavier de Montépin
(1823-1902)






Le ventriloque

I

L'assassin de Mariette





La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1229 : version 1.0






Du même auteur, à la Bibliothèque :



La porteuse de pain















Le ventriloque




I




L'assassin de Mariette





Édition de référence :

Paris, E. Dentu, Libraire-éditeur, 1876.

Deuxième édition.







I




Rocheville, chef-lieu de canton de huit à neuf cents âmes, est un bourg
charmant situé à vingt kilomètres de la station de Malaunay, en plein pays
normand, dans une vallée riante et pittoresque qu'arrose un ruisseau clair
où se pêchent des truites de belle taille et des écrevisses presque aussi
grosses que celles de la Meuse.

Cette vallée s'élargit brusquement et s'arrondit en forme de cirque pour
permettre au village d'étaler ses maisons basses aux toits moussus, ses
pommiers dont la récolte produit un joli cidre pétillant vanté à dix lieues
à la ronde, et ses herbages plantureux où paissent de grands b?ufs roux
dignes de la vallée d'Auge.

À quatre cents mètres environ de la dernière maison de Rocheville, un
grand jardin ou plutôt un parc de quatre à cinq hectares étage ses vieux
tilleuls, ses marronniers géants et ses pelouses d'un vert d'émeraude, sur
les versants faiblement inclinés de la colline couronnée de roches qui
donne son nom au village.

Une muraille bien entretenue, haute de deux mètres et demi, entoure ce
parc.

Une grille de fer peinte en bronze, prétentieusement ouvragée et donnant
accès sur la route, laisse entrevoir, au bout d'une longue avenue gazonnée
bordée d'un double rang de pommiers énormes, une maison carrée de
construction ancienne, à deux étages, à toit pointu, flanquée d'un
pigeonnier en façon de tourelle que surmonte une girouette représentant un
chasseur faisant feu sur un lièvre.

Rien en somme de moins seigneurial que l'aspect de cette demeure bâtie
en briques rouges et en galets noirs, avec des portes et des volets gris. -
On l'a cependant toujours appelée, on l'appelle encore le château, et il
est certain qu'elle appartenait jadis aux seigneurs de Rocheville, dont la
famille est éteinte aujourd'hui.

Les dépendances assez vastes, mais presque entièrement cachées derrière
les massifs d'une végétation luxuriante, se devinent à peine depuis le
dehors.

Le 25 septembre 1874, par une de ces admirables matinées d'automne, où
les rayons un peu voilés du soleil inondent d'une lumière tiède les
campagnes jaunissantes, un fort gaillard de vingt-cinq ans, très brun,
moustachu, portant une barbe de huit jours, vêtu d'une blouse grise, coiffé
d'un chapeau de paille à larges bords, chaussé de gros souliers de cuir
fauve et de longues guêtres montant jusqu'aux genoux, ayant sur l'épaule
gauche une carnassière qui semblait lourde, sur l'épaule droite un vieux
fusil double de gros calibre, et suivi d'un grand chien braque
particulièrement efflanqué, fit halte devant la grille du parc, saisit la
chaîne qui mettait en branle une cloche de taille imposante, et l'agita
d'une main vigoureuse.

Huit heures sonnaient en ce moment au clocher de l'église qui fait face
au château sur le versant opposé de la colline, par conséquent de l'autre
côté du village.

Disons tout de suite que depuis trois ans le domaine de Rocheville
appartenait à M. Domerat, riche armateur du Havre, veuf, sans enfants, et
ayant reporté toutes ses affections sur son neveu et sur sa nièce,
orphelins l'un et l'autre et sans fortune, Léontine et Georges Pradel.

Tout au plus M. Domerat, très absorbé par ses grandes affaires, avait-il
passé chaque année quelques semaines à Rocheville depuis qu'il en était
devenu possesseur.

La garde du château, du parc et des jardins, était confiée en son
absence à Jacques Landry, un ancien loup de mer devenu régisseur,
jardinier, homme de confiance, factotum en un mot, et à Mariette Landry sa
fille, une belle et bonne créature, filleule de M. Domerat.

Georges Pradel, le neveu de l'armateur, avait vingt-cinq ans, - il était
lieutenant de zouaves, et, depuis 1871, résidait en Afrique, avec son
régiment, dans la province d'Alger.

Léontine, beaucoup plus jeune que son frère car elle atteignait à peine
sa dix-septième année, venait d'achever son éducation dans un grand
pensionnat de Paris et, joyeuse de son émancipation de fraîche date, tenait
la maison de son oncle, à Ingouville, d'où M. Domerat ne s'éloignait guère.

Ceci posé, revenons à la grille du parc.

Le gaillard moustachu, à mine de braconnier, qui se nommait Sylvain, -
ce nom singulier n'est pas rare en Normandie, - mit la cloche en branle,
avons-nous dit, puis, s'adossant à l'un des montants de pierre, il attendit
qu'on lui vînt ouvrir.

Son grand chien efflanqué s'étendit dans la poussière à ses pieds et,
posant son museau sur ses pattes allongées, ferma les yeux et parut
s'endormir.

Mais tout à coup, saisi d'une inquiétude que rien ne semblait justifier,
il se leva d'un bond, aspira l'air dans toutes les directions et plus
particulièrement dans celle du château, se dressa contre la grille et passa
sa tête entre les barreaux trop rapprochés pour livrer passage à son maigre
corps. Son poil se hérissa sur le dos, - symptôme irrécusable de colère et
d'épouvante, - et il poussa un hurlement rauque, prolongé, d'un effet
sinistre.

Sylvain tressaillit. - Ses sourcils se contractèrent et, le chien ayant
hurlé de nouveau, il le châtia d'un coup de pied en lui criant avec un
juron : - Tonnerre du diable, vieux Ravageot, tu vas te taire et plus vite
que ça ! ! - Qu'est-ce qui m'a fichu un animal bête qui hurle à la mort en
plein soleil ? - A-t-on jamais vu ! ! - Hue, carcan ! derrière, ou je
cogne ! !

Le chien obéit à la parole et surtout au geste menaçant, et vint
s'aplatir auprès de son maître, le museau toujours tourné vers la grille,
le poil plus hérissé que jamais, les naseaux frémissants, l'?il fixe,
n'osant hurler, mais gémissant sourdement.

Une minute s'écoula.

Nul mouvement dans l'avenue des pommiers n'annonçait qu'on eût entendu
au château le vibrant appel de la cloche.

- Ah çà, - murmura Sylvain avec impatience, - Jacques et Mariette font
donc la grasse matinée, tous les deux ! ! - J'ai pourtant carillonné plus
fort qu'il ne faudrait pour réveiller des sourds ! !... ah bah ! tant pis,
je recommence...

Et, saisissant de nouveau la chaîne, il l'agita pour la seconde fois
avec un redoublement d'énergie.

Tandis qu'il menait ainsi grand tapage, un groupe composé de trois
personnes se dirigeait vers la grille.

Ces trois personnes étaient un jeune garçon de quinze ans à peu près,
ceint d'un grand tablier blanc de boucher et portant une corbeille en
équilibre sur sa chevelure inculte. - À deux pas de lui marchait une jeune
fille qui tenait de la main gauche un panier et de la main droite un filet
dont les mailles laissaient entrevoir de beaux poissons aux écailles
bleuâtres et argentées.

Le facteur rural fermait la marche. - On reconnaissait sans peine cet
honorable fonctionnaire à sa boîte de cuir, d'une forme particulière, et au
collet rouge de sa blouse bleue.

Ces nouveaux venus rejoignirent Sylvain qui, voyant son second appel
rester sans résultat comme le premier, frappait du pied avec impatience.

Ils s'arrêtèrent à quatre pas de lui.

- Paraîtrait que vous avez affaire par ici de bon matin, monsieur le
chasseur, - dit la jeune fille en riant. - Mais pourquoi donc que vous
faites une mine de l'autre monde ? Nous vous entendions de bien loin jurer
et sacrer comme un païen...

- Pourquoi ? - répondit Sylvain d'un ton bourru, - parce que je drogue
depuis cinq minutes, et que ça me vexe !... - La petite Gervaise, qui aide
au château pour les gros ouvrages, est venue hier soir à la maison
commander du gibier de la part de Mariette. - Dès le patron-minette, je me
suis mis en chasse. -J'apporte un lièvre et cinq perdreaux... - J'ai promis
à Gervaise que j'arriverais à huit heures... il est huit heures... Je sonne
à tout confondre, et on me laisse rager à la porte ! ! Croyez-vous que
c'est drôle ?

- Tiens, - reprit la jeune fille, qui s'appelait Colette, - Gervaise a
passé chez papa, pour du poisson, en sortant de chez vous, et papa a posé
ses nasses et jeté l'épervier... - Voilà une tanche de trois livres et deux
truites toutes frétillantes, et j'ai dans mon panier quatre douzaines
d'écrevisses comme on n'en attrape pas souvent !... Elles vous ont des
pattes à couper le petit doigt... - C'est Mariette qui sera contente...

- Moi je porte sur ma tête un gigot de six livres, un filet de b?uf qui
en pèse quatre et huit côtelettes, - fit à son tour avec un légitime
orgueil le jeune garçon au tablier blanc. - La petite Gervaise a dit au
patron que mamzelle Mariette avait dit qu'il n'y aurait rien de trop beau
ni de trop cher, et qu'il fallait des morceaux de choix.

- Ah ! tonnerre