Madame de Dreux - Bibliothèque électronique

Blanche fut cependant très habile dans son innocence ; grâce à la coquetterie ... Guy était le premier et le dernier mot de cette âme naïve ; elle le para de ... La seconde année lui apporta une nouvelle joie, un nouvel orgueil : elle eut un fils. ... aux jours de leur enfance, quand elles apprenaient leur leçon dans le même livre, ...

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Henry Gréville

Madame de Dreux


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Henry Gréville


Madame de Dreux


roman





















La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 709 : version 1.0








Henry Gréville, pseudonyme de Alice Marie Céleste Durand née Fleury
(1842-1902), a publié de nombreux romans, des nouvelles, des pièces, de la
poésie ; elle a été à son époque un écrivain à succès.







De la même auteure, à la Bibliothèque :



Suzanne Normis

L'expiation de Savéli

Dosia

La Niania

Idylles

Chénerol

Un crime

La seconde mère

Angèle

Nikanor

Les Koumiassine

Cité Ménard

Le moulin Frappier
















Madame de Dreux






Édition de référence :

Paris, E. Plon et Cie, 1882. Treizième édition.








I




- C'est ainsi, messieurs, par la concentration de nos efforts, que nous
concourrons tous au bonheur et à la prospérité de notre glorieuse France !

Un joli bruit d'applaudissements de bonne compagnie, qui ressemblait au
son d'une pluie d'orage sur les feuilles, se fit entendre de toutes parts,
accompagné de bravos discrets ; plus lentes à comprendre, les grosses mains
des horticulteurs du cru battirent à leur tour, au moment où les mains
gantées cessaient de manifester leur approbation ; les gens comme il faut,
ne voulant pas se montrer moins chaleureux, reprirent de plus belle, et le
tout se termina par un tutti bien nourri. L'orateur faillit s'incliner,
comme on doit le faire au théâtre ; mais le sentiment de la situation le
sauva de ce léger ridicule, et prenant d'une main assurée la liste des
récompenses, il la lut de sa voix riche et sonore.

- Mes compliments, ma chère, votre mari parle fort bien, aussi bien
qu'il cause. Il a en lui l'étoffe d'un orateur, je vous affirme ! C'est une
improvisation ?

Madame de Dreux se troubla légèrement ; une rougeur fugitive passa sur
ses joues délicates, et elle répondit avec un peu d'hésitation à la vieille
dame qui lui parlait :

- Je ne sais... je suppose...

- Oh ! c'est une improvisation, cela se voit tout de suite ! Un discours
appris par c?ur n'aurait pas cette aimable rondeur, ce ton à la fois digne
et enjoué... M. de Dreux est un privilégié du destin !

- Ce n'est pas moi qui contredirai à cette assertion, fit un grand jeune
homme un peu chauve, heureux époux, heureux père, heureux président de la
Société d'horticulture de Rémecy-sur-Luise...

Madame de Dreux sourit, et la gaieté reparut sur son visage.

- Toujours moqueur, dit-elle ; mais vos railleries ne m'atteignent pas,
monsieur.

- Elles ne font ainsi que se conformer à mes intentions, madame ; je
serais désolé, croyez-le...

- D'être obligé de vous taire ! conclut la jeune femme en lui coupant la
parole.

Ils riaient tous trois ; un « chut ! » indigné se fit entendre, et un
habitant de Rémecy-sur-Luise, qui, debout sur une chaise, se faisait un
cornet de sa main pour mieux entendre les noms proclamés là-bas, à l'autre
bout de la tente, se retourna vers les rieurs, d'un air courroucé. Sa bonne
grosse figure rougeaude changea d'expression lorsqu'il aperçut le fier
visage de madame de Dreux ; il s'empressa de descendre et balbutia :

- Oh ! madame, si j'avais pu penser que c'était madame...

La jeune femme lui sourit avec un petit signe de tête, et le brave
boulanger, remis de sa frayeur de perdre une si bonne clientèle, rétablit
sa main en cornet le long de sa grande oreille, mais avec un geste
respectueux pour son noble voisinage ; bientôt il s'écarta discrètement,
sentant que sa place n'était pas au milieu de gens si distingués.

- Vous êtes la reine du pays, dit le grand jeune homme chauve.

- La reine de mes fournisseurs plutôt, répliqua madame de Dreux. Mais je
vous en supplie, monsieur, laissez-moi entendre les noms des lauréats...

- Vous les connaissez ! N'êtes-vous pas dans le secret des dieux ?

- Moi ? pas le moins du monde !

- Votre mari ne vous consulte pas sur ses résolutions ? Ce n'est pas
vous qui, virtuellement, présidez aux réunions de la Société
d'horticulture, de la Société de tempérance, de la Société pour l'élève des
colimaçons, et en général de toutes les sociétés dont monsieur votre époux
est plus ou moins le président ?

Madame de Dreux fit un petit signe négatif, assez hautain, mais poli,
cependant. Il avait fallu dix générations de femmes et d'hommes les mieux
élevés du monde pour donner cet air-là à cette jeune provinciale. Meillan
s'inclina mi-respectueux, mi-railleur, comme d'habitude.

- C'est grand dommage, madame, reprit-il, et si j'avais le bonheur...

Un léger mouvement de la jeune femme avertit Meillan de ne pas aller
plus loin ; il continua cependant, sans se troubler :

- ... d'avoir à portée de la voix un conseiller si sage, je ne me ferais
pas faute de le consulter...

Blanche de Dreux détourna la tête ; au même moment, la vieille comtesse
Praxis, sa voisine, lui dit en indiquant un groupe de son lorgnon :

- Mais voyez donc, ma chère enfant ! ils font une ovation à votre mari !

En effet, le jeune président de la Société d'horticulture avait quitté
la tribune et s'avançait, escorté du bataillon des heureux élus. Il
marchait lentement, se penchant sur les fleurs et les fruits artistement
groupés, adressant à qui de droit de flatteuses paroles.

- N'a-t-il pas l'air d'un ministre qui distribue des croix ? dit
Meillan, non plus à la jeune femme, mais à la comtesse Praxis, qui n'avait
nulle raison de lui imposer silence. Il s'essaie à son futur métier...
Encore un peu gauche, trop souriant, pas assez roide... Il ignore encore le
moyen de chatouiller l'amour-propre de l'électeur sans blesser celui du
beau-père et du gendre de ce même électeur, électeurs non moins que lui ;
mais cela viendra, et il sera député, n'est-ce pas, comtesse ? Et puis
voyez avec quelle grâce parfaite il respire le parfum du melon primé...
Ah ! mon Dieu ! voilà ce que je redoutais. Malimbré le lui offre, le melon
primé... Brave c?ur, Malimbré, mais pas assez de goût. C'était indiqué,
d'ailleurs ; j'espérais toutefois que la Providence nous épargnerait cette
épreuve... Malimbré ne peut pas garder éternellement son melon dans ses
bras, il pèse au moins vingt livres... Que veut-il en faire ? Oh ciel ! il
le dépose dans les mains de mon ami de Dreux !...

La comtesse riait à gorge déployée, sans pouvoir se retenir.

- Mais taisez-vous donc ! disait-elle au milieu de ses éclats de rire ;
vous n'avez pas le moindre sentiment...

- De quoi n'ai-je pas le moindre sentiment, chère comtesse ? N'ai-je
pas, au contraire, le sentiment de l'amitié porté au plus haut degré ? Dieu
soit loué ! Nous pouvons respirer, et de Dreux aussi. Un fidèle serviteur,
votre valet de pied, si je ne me trompe, madame, vient de s'emparer de
l'objet... Malimbré voudrait le faire figurer dans la procession triomphale
du président de la Société d'horticulture... de Dreux refuse, Malimbré
insiste... c'est mon ami qui l'emporte, c'est-à-dire c'est le domestique
qui emporte le melon... soyez sans crainte, madame, vous le retrouverez
dans votre voiture !

- Meillan ! dit la comtesse en s'essuyant les yeux, car elle pleurait à
force de rire, je vous défends de dire un mot de plus.

- Et pourquoi, chère comtesse ? Le rire n'est-il pas le propre de
l'homme, comme l'a dit le grand Tourangeau ? Voyez plutôt mon ami de Dreux
continuer sa promenade officielle... c'en est fait, Malimbré donne le
branle à l'élan généreux de la population rémeçoise, et voici les
corbeilles de fruits qui se précipitent aux pieds de votre époux, madame !
C'est une débandade générale ; les abricots éperdus, les pêches affolées,
les poires qui ne connaissent plus de mesure...

- Monsieur, pourquoi vous moquez-vous toujours de mon mari ? dit
doucement Blanche de Dreux en appuyant le bout de son ombrelle sur le
sable, de façon à y faire un petit trou assez profond. Est-ce pour me faire
plaisir ?

Meillan regarda les yeux bleus qui cherchaient les siens : ce n'étaient
pas des yeux bleus, à vrai dire, mais des yeux d'un gris doux, teinté de
violet, aux nuances changeantes... En ce moment ils étaient couleur
d'acier, froids et calmes comme un engin de guerre ; le jeune homme baissa
les siens.

- Si ce n'est pas pour me faire plaisir, pourquoi cherchez-vous à rendre
votre ami ridicule ?

- C'est une des particularités de ma nature, madame, répondit Meillan,
qui avait repris son sang-froid. Vous avez les yeux gris de fer, et moi,
j'ai besoin de railler mon prochain...

- Je vous le demande, monsieur, ne raillez pas mon mari en ma présence ;
cela me fait souffrir dans ma dignité... et dans mes affections.

Elle avait parlé bas, sans colère, sans affectation de hauteur, et
Meillan sentit pourtant que jamais cette femme-là ne pourrait avoir d'amour
pour lui. Elle avait tra