Léon Walras et le statut de la concurrence : une étude à ... - HAL-SHS
Exercice 2 : Papier-Ciseaux-Caillou. Il s'agit ... On reprend l'énoncé de l'exercice
3 (thème 1). .... Supposez que ces deux firmes se font concurrence en prix (
duopole de Bertrand). ... 5) Quels sont les équilibres parfaits en sous-jeux du jeu
?
Part of the document
Léon Walras et le statut de la concurrence : une étude à partir des
Éléments d'économie politique pure
Pierre Dockès et Jean-Pierre Potier
(Version provisoire)
A paraître dans : Guy Bensimon, études coordonnées par, Histoire des
représentations du marché, Paris : Michel Houdiard, 2005.
On a trop tendance encore aujourd'hui à assimiler la « libre
concurrence » chez Léon Walras et la « concurrence pure et parfaite » comme
structure de marché de la vulgate néo-classique. Nous chercherons à montrer
dans cette étude que chez Walras, la libre concurrence, quel que soit le
niveau auquel on l'appréhende (certains marchés concrets, marché type réel,
marché type idéal), est essentiellement un comportement spécifique et
naturel d'individus rationnels et libres, et disposant d'institutions leur
permettant d'exercer pleinement ces libertés. Elle découle de trois
libertés : celle de proposer les prix à l'enchère et au rabais, celle de
faire varier sa production selon les situations de bénéfice ou de perte,
celle d'entrer ou de sortir du marché. Trois libertés, qui produisent un
comportement naturel, mais qui doivent pouvoir s'exercer pleinement, d'où
l'existence de deux règles suivantes :
- les échangistes doivent rendre publiques leurs propositions en
les criant,
- les processus d'enchères et rabais doivent être terminés et le
prix d'équilibre atteint, avant qu'il y ait des transactions effectives.
Notre étude comprendra deux sections.
La première section, La concurrence et la méthode walrasienne, met en
relation la méthode de l'auteur des Eléments[i] et les divers niveaux
auxquels il appréhende la concurrence et les marchés concurrentiels. La
deuxième section, Marché, concurrence et libre concurrence absolue, examine
comment Walras prend en compte les marchés concrets, construit son marché
type réel et passe ensuite au marché type idéal. On peut ainsi caractériser
la concurrence walrasienne par opposition aux conceptions standard.
Resterait à montrer quand, selon Walras, il s'avère nécessaire
d'abandonner le cas naturel et général de la concurrence, quand il faut
admettre des exceptions au « principe de la libre concurrence » et comment,
dans ces exceptions mêmes, la retrouver. Il s'agit là d'un autre sujet et
dans le cadre de ce travail nous ne pouvions l'aborder[ii].
Section 1 : La concurrence et la méthode walrasienne
L'importance donnée par Walras lui-même à la méthode pour comprendre
son traitement de la concurrence apparaît particulièrement dans les trois
observations suivantes.
Tout d'abord, L. Walras introduit dans un travail publié en Italie en
1876 "Une branche nouvelle de la mathématique", une typologie très utile
pour comprendre sa conception. Il distingue, en effet, le "fait", l'"idée",
et le "principe" de la concurrence qui correspondent à trois étapes
successives de la démarche scientifique [1987, pp. 298-301]. Et il va
utiliser immédiatement cette distinction dans la 44e leçon des Eléments
d'économie politique pure [2e partie, 1877, pp. 266-269 ; 1988, 22e leçon,
pp. 334-336][iii]. Il rappelle aussi que dans la réalité concrète (disons
celui des faits au sens trivial), la concurrence se présente "dans des
conditions plus ou moins imparfaites". Concrètement, la production et
l'échange, "depuis que le monde est monde", fonctionnent sous l'effet de
trois facteurs : a) pour une part, "sous l'empire de la concurrence" ; b)
pour une part, "sous l'empire de restrictions légales": règlements
d'industrie, tarifs commerciaux, taxes fiscales ou protectrices ; c) pour
une part, sous l'empire de la "coutume", qui "a toujours une influence
considérable" [1987, p. 298][iv]. Le "fait" de la concurrence est donc
associé à d'autres types de phénomènes, ce qui le rend indéchiffrable ; la
démarche scientifique suppose donc qu'il soit isolé.
Ensuite, dans son Cours d'économie politique appliquée et dans "Une
branche nouvelle de la mathématique", Walras critique l'article
" Concurrence " par Charles Coquelin dans le Dictionnaire de l'économie
politique de Guillaumin (1852-53). Il s'oppose aux économistes libéraux
qui, selon lui, ont une "conception" de la concurrence "très confuse et
très nuageuse", jamais définie ni démontrée rigoureusement. Il leur
reproche de confondre l'"idée" et le "principe", donc des questions
d'économie pure et d'économie appliquée[v].
Enfin, Walras craint que les lecteurs des Eléments d'économie
politique pure le tiennent pour un partisan du "laissez faire, laissez
passer". Ainsi, en 1883, il écrit à Wilhelm Lexis : "[...] il m'a semblé
que vous me considériez comme un partisan de la libre concurrence absolue
(en raison de ce fait que j'étudie très attentivement et très
minutieusement les effets de la libre concurrence). Quoiqu'il en soit, je
tiens à vous faire savoir que, tout au contraire, c'est plutôt le désir de
repousser les applications mal fondées et inintelligibles de la libre
concurrence faites par des économistes orthodoxes qui m'a conduit à l'étude
de la libre concurrence en matière d'échange et de production"[vi]. "Tout
au contraire", c'est beaucoup dire, et cette reconstruction de l'itinéraire
intellectuel qui l'a conduit à l'économie pure semble un peu forcée, mais
au-delà de la volonté de se démarquer des "orthodoxes", la leçon de méthode
est claire.
La distinction entre "le fait", "l'idée" et "le principe" de la
concurrence n'est cependant pas évidente, d'où des interprétations
divergentes[vii]. Elle doit être mise en relation avec une conception du
monde et de la science. Walras a une conception platonicienne puisqu'il
pose l'existence du monde des Idées (c'est son "réalisme" au très vieux
sens du terme), un monde rationnel et parfait, et il affirme que l'avenir
(malgré des "vents du Nord" contrariants) finira par le réaliser (c'est sa
philosophie de l'histoire)[viii].
La science suppose : 1) la construction de types réels à partir du
monde concret, par une synthèse a posteriori, en synthétisant les éléments
issus de la réalité empirique, 2) l'élaboration de types idéaux qui demande
une définition analytique au sens de la géométrie d'Euclide, de la méthode
galiléenne, 3) une synthèse a priori en un sens se voulant kantien[ix], une
démarche exclusivement abstraite, une série de déductions logiques et,
lorsqu'elle atteint sa perfection, une formalisation mathématique
aboutissant, par complexification successive, à une recréation du monde
dans sa complexité, mais sans ses "imperfections", dans la sphère, réelle
et parfaite, des Idées. Cela fait, la messe est dite et il n'y a pas à
revenir au concret imparfait pour valider une théorie parfaite.
1) Le fait et la synthèse a posteriori
Lorsque Walras emploie le terme "fait", il veut parfois parler
d'événements particuliers, d'occurrences singulières. Cependant, il emploie
fréquemment le terme au sens d'énoncé universel comme de nombreux
scientifiques de son temps[x] : il parle ainsi du "fait de la gravitation"
ou du "fait de la valeur d'échange". Le "fait", en ce sens, est la loi
avant qu'elle ait été définie par le savant, telle qu'elle se manifeste
dans la réalité objective, au même niveau que le "type réel", tiré
empiriquement du monde concret. En revanche, la loi scientifique définie
par le savant se trouve dans le monde des idées, comme le "type idéal" à
partir duquel il va construire la théorie[xi].
Walras est réaliste : il pose l'existence objective d'un monde
extérieur régi par des lois qui existent indépendamment de leur découverte
et que les savants dévoilent peu à peu. Il est persuadé qu'en matière de
sciences les découvertes sont inéluctables et ne posent qu'un problème de
plus tôt ou de plus tard ; la science est cumulative et univoque. Il faut
donc partir de cette réalité objective imparfaite, d'où l'importance de la
"synthèse a posteriori", de l'expérience et des "sciences concrètes"
situées en amont des sciences abstraites. A partir d'observations de la
réalité, l'homme de sciences concrètes tire des types réels : ainsi des
figures plus ou moins circulaires de la réalité on aboutit par la synthèse
de ces observations au type réel "cercle"[xii]. L'empirisme (la démarche a
posteriori) en amont marque l'opposition entre Walras et l'apriorisme. Mais
si, en géométrie, le type réel est "immédiatement fourni par l'expérience",
dans la théorie de la société, Walras souligne qu'il faut une synthèse a
posteriori longue et laborieuse. Une fois la théorie élaborée, le savant
n'a pas à revenir au réel, à la différence de l'homme de la pratique qui
lui, va appliquer la théorie. Ce retour serait forcément décevant, la
réalité étant "imparfaite", contingente.
Cette prise en compte de la méthode nous semble permettre de clore un
débat important initié par Donald Walker. L'aspect réaliste des Éléments
est patent, mais à condition que l'on s'entende sur le sens des mots. Si
construire le modèle d'une économie imaginaire n'aurait eu, pour Walras,
aucun sens, ses théories ne sont évidemment pas une simple transposition
simplifiée du réel concret. Ce réel étant imparfait au sens où l'accidentel
et le contingent y règnent, il lui faut, partant de ce concret, construire
les types réels, repérer les plus généraux, dégager le "fait", celui de la
concurrence comme celui de la gravitation.
Walras estime donc devoir partir des for