Troisième domaine - Eklablog
4 DEPP, 2008, « Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à
vingt ans ... 7 Boisseau P., 2013, « Langage et nouveaux programmes pour la
maternelle ... phonologique des phonèmes en fin de GS avec de tels exercices.
...... les élèves utilisent la procédure « J'encode, l'enseignant corrige puis je
recopie ».
Part of the document
|Démocratiser l'enseignement de la lecture-écriture : |
|Quel diagnostic pédagogique ? Quelles pratiques alternatives ? |
|Café pédagogique, novembre 2013 |
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| |André Ouzoulias est Professeur agrégé |
| |honoraire, Université de Cergy-Pontoise, |
| |psychopédagogue, membre du Conseil |
| |scientifique de la FNAME, directeur de la |
| |collection Comment faire ? (CRDP de |
| |l'académie de Versailles, Retz), |
| |Cofondateur du Groupe Reconstruire la |
| |formation des enseignants (GRFDE), |
| |http://grfde.eklablog.com |
Comment expliquer l'échec de 15 à 20% des enfants à acquérir les
compétences de base en français et maths ? André Ouzoulias propose une
réflexion en 4 parties qui sera le fil conducteur de cette semaine.
L'école primaire échoue à amener 15 à 20 % des élèves au niveau de
compétences, de connaissances et de culture visé par notre pays à l'entrée
en 6e. On en connaît les graves conséquences humaines, psychologiques,
sociales, économiques, politiques, institutionnelles... À lui seul, le
constat de ces échecs massifs, qui touche électivement les élèves des
milieux populaires, légitime pleinement l'idée de « refonder » notre école.
Une telle ambition n'a rien d'utopique : un certain nombre d'expériences
dans des écoles situées en quartiers populaires montrent qu'il n'y a aucune
fatalité dans l'échec actuel de l'école de la République. (1)
Mais, avant toute ébauche d'une « refondation pédagogique » et,
notamment, d'une refonte des programmes, il conviendrait de répondre à la
question suivante : y a-t-il, dans les progressions les plus répandues et
les choix didactiques structurant l'école primaire depuis plusieurs années,
en lecture-écriture, en mathématiques, dans les disciplines scientifiques,
etc. des options qui sont susceptibles d'engendrer l'échec de ces 15 à 20 %
d'élèves (et d'entraver la réussite de bien d'autres) ? Répondre à ces
questions, c'est aussi se demander si l'école française, ainsi qu'elle le
devrait, a effectivement adopté comme modèle d'élève, « celui qui n'a que
l'école pour apprendre ». (2)
Concernant les mathématiques, Rémi Brissiaud, dans plusieurs textes
récents (3) , a mis en évidence une contribution déterminante des choix
pédagogiques opérés à partir de 1986 au véritable effondrement des
performances des élèves français jusqu'en 2007, avéré dans les évaluations
nationales de la DEPP (4) .
Pour ma part, concernant la lecture-écriture, je vois quatre domaines
dans lesquels il faut travailler à une réorientation pédagogique, qui
conditionne la démocratisation de l'école. Ils font ici l'objet d'analyses
et propositions dans quatre parties successives :
- 1/4. L'enseignement de la langue orale française en maternelle.
- 2/4. La compréhension de la graphophonologie à la charnière GS-CP
- 3/4. Faire écrire les enfants : une urgence pédagogique et sociale
- 4/4. L'acquisition de l'orthographe, un enjeu crucial
| Un premier domaine |
|L'enseignement de la langue orale française en maternelle |
En fin de maternelle, s'exprimer avec à propos et clarté, c'est un
objectif en soi, mais c'est aussi la moitié du chemin vers la lecture. Les
écoles des quartiers populaires devraient toutes avoir les moyens humains
d'organiser chaque jour des petits groupes de langage. Le dispositif Plus
de maîtres que de classes doit être déployé en priorité au service de cet
objectif Sans ces petits groupes de conversation dirigée, il y a des
enfants qui restent en dehors des échanges au sein de la classe (cf. les
travaux d'Agnès Florin). En revanche, dans des « ateliers » de 4 ou 5
enfants, durant 40 minutes chaque jour (par exemple, en moyenne section :
deux ou trois groupes le matin, deux l'après-midi), chaque enfant est en
mesure de parler 5 ou 6 minutes (c'est un minimum !). Et il parle alors
avec un adulte qui sait quels objectifs il poursuit avec chacun, en lui
proposant des relances et des reformulations adaptées à ce qu'il peut
comprendre et - on l'espère ¬ qu'il va pouvoir reprendre très bientôt à son
compte.
Encore faut-il distinguer le langage écrit entendu (5) et la langue
orale, celle de l'oralité vive, qui ne se confond pas, même dans ses formes
les plus élaborées, avec les canons de l'écrit. En effet, si la lecture à
haute voix d'?uvres du patrimoine et la présentation d'albums « classiques
» est incontournable, elle vise des objectifs différents de celui
d'apprendre à parler : appropriation d'un patrimoine littéraire, initiation
à la psychologie des personnages, éducation du regard à travers
l'observation des illustrations et leur mise en relation avec le texte,
imprégnation orale des formes syntaxiques de l'écrit, etc.
La différence entre les modalités orale et écrite n'est pas, comme on
peut le croire, une différence entre un oral sommaire, populaire ou relâché
et un écrit savant, élaboré et cultivé, entre des énoncés oraux
rudimentaires (sans complexité) et des phrases écrites plus complexes. Non
! Elle tient à quelques caractéristiques syntaxiques. À l'oral, on
n'observe pas d'occurrences du passé simple ; il y a peu d'interrogations
avec inversion ; le « ne » est souvent omis ; on entend, y compris chez les
adultes lettrés, des occurrences quasi systématiques de redondance du
pronom : « Il est très gros, ce chien ! » ; « Tiens, le camion, il est
parti » absolument typiques de l'énoncé oral français, etc. Répétons-le :
ces formes de l'oral ne sont pas fautives. Comme l'a montré Claire Blanche-
Benveniste, elles caractérisent la syntaxe du français parlé, y compris
chez les personnes les plus instruites, dont elle a enregistré, transcrit
et analysé les discours improvisés. (6)
En outre, il faut souligner que sans les « introducteurs de complexité
» (prépositions, conjonction de coordination, de subordination, pronoms
relatifs, etc.) qui caractérisent le développement de la syntaxe de l'oral
bien avant l'accès à la lecture, les enfants ne peuvent guère enrichir leur
vocabulaire actif, celui qui est mobilisé dans l'expression orale. Sans
l'ossature de la syntaxe, l'enfant ne peut en effet fixer et « muscler » la
chair des mots. Ce n'est pas un hasard, naturellement, si l'explosion
lexicale, qui démarre entre 2 et 3 ans s'accompagne de l'apparition des
premiers énoncés à deux mots (« cassée voiture »), puis du développement
accéléré de la syntaxe : « elle est cassée, la voiture » ; « la voiture,
elle roule plus parce qu'elle est cassée ».... Le développement de la
syntaxe est le moteur invisible mais puissant de l'essor du vocabulaire.
Parler aux enfants en se refusant à employer ces structures banales de
l'oral, introduit une hiérarchie entre les modalités orales et écrites de
la langue française. Or, si les intentions sont bonnes, ce choix naïf va
néanmoins gêner l'appropriation de la langue française orale par les
enfants. Comme Philippe Boisseau l'a montré ici même (7) , il leur sera
plus difficile de construire leur oral, notamment parce que, sans la
redondance des pronoms, les enfants sont impuissants à utiliser les
connecteurs de complexité. Ce phénomène est accentué chez les enfants des
milieux culturellement défavorisés. Se trouvant souvent déjà en difficulté
pour manier l'oral, n'ayant dans leur famille que très rarement l'occasion
d'entendre les adultes leur lire des histoires écrites, ils rencontrent
alors à l'école maternelle un oral qui ne leur est pas du tout familier et
qui résonne pour eux bizarrement, sans leur donner prise sur cette forme
langagière.
Il y a là un facteur de développement de l'hétérogénéité entre élèves
selon l'origine sociale. En effet, à l'inverse, les enfants des milieux
favorisés retrouvent à l'école ce langage écrit entendu familier qui est
celui de leurs parents lorsqu'ils leur lisent des histoires le soir au
coucher. Le reste du temps, ils entendent bien évidemment, presque
toujours, « l'oral de l'oralité » : « Il est où, ton doudou ? Faut pas
pleurer comme ça... On va le retrouver, ton doudou ». Le langage de
l'enseignant, qui « parle comme leurs livres » ne surprend pas ces enfants-
là. Cela renforce leur imprégnation de la syntaxe de l'écrit sans nuire à
la construction de leur oral, qui se poursuit naturellement dans leur
famille...
Dit, autrement, l'enjeu de la pédagogie du langage à la maternelle est
de donner à entendre et à apprendre à tous les enfants le langage des
milieux favorisés, la langue de l'oralité vive et celle du langage écrit
entendu. Le paradoxe est en fait que, si l'on veut que les enfants
acquièrent cet oral de lettré que nous visons tous, il faut tout à la fois
qu'ils puissent s'immerger en toute sécurité dans l'oralité vive et se
familiariser progressivement avec la langue de l'écrit. Les enfants ont
besoin de développer leurs capacités dans ces deux modalités. Lors des
premières dictées à l'adulte, l'enseignant les amènera graduellement à
passer consciemment d'une syntaxe à l'autre : « la voiture est cassée » (et
non plus « la voiture, elle est cassée »), « la voiture ne roule plus parce
qu'elle est cassée » (et non plus, « elle roule plus, la voiture, parce
qu'elle est cassée »).
Les programmes devraient pointer ces différences entre oral et écrit
et encourager les enseignants de maternelle à « mettre le paquet » sur les
structures