Aaaaaaah

Alors écrire aujourd'hui impose de rendre compte de l'éclatement fondamental
des groupes, même si cela correspond aussi au temps des radicalismes ...... Mon
sieur Cochenille, un peu éméché, faisait osciller son verre de droite à gauche, et
vice-versa, tout en combinant la chose avec un regard fixe porté vers les
tranches ...

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(Laurent Gervereau) L'homme planétaire Précédé d'une introduction :
Pourquoi écrire aujourd'hui ? [pic] un aspect : fatigué
[pic] avec double menton, mais cravate
voilà à peu près l'apparence de l'auteur, dans deux reflets. Le grand texte
qui suit constitue son (mon) testament littéraire. Il décrit nos identités
imbriquées en 3 temps : la jeunesse et le passé à travers « Défaut
d'identité » (jamais publié sur papier, élaboré dans les années 1970) ; la
construction de soi, femmes ou hommes aujourd'hui dans « Où suis-je ? »,
édité en 2001 sous le titre Ce livre n'est pas à lire et choisi dans les
sept romans de la rentrée littéraire par Les Inrockuptibles et France
Culture (bâti au cours des années 1980 et 1990 ); le futur à travers
« transplanet », rédigé entre 2002 et 2005, et que j'aimerais adapter sous
forme de bande dessinée, puis de film (éventuellement réalisé par une ou un
autre, car il est bon que les travaux vivent grâce à des regards
différents). Vous pouvez lire l'ensemble du début à la fin, tirer sur papier. Vous
pouvez aussi vous promener, picorer suivant les humeurs, musarder,
pratiquer cette lecture discursive, erratique, que j'aime tant, phrases
courtes ou interminables, jets de mots ou longues infusions, complexité et
banalité... Vous verrez ainsi dans ce travail exigeant le refus absolu du
marketing littéraire. Ce roman vous appartient. Complétez, transformez, illustrez, transposez,
modifiez les typographies (même si j'apprécie souvent la difficulté à
déchiffrer, qui rejoint celle de l'écriture : auteur et lecteur sont ainsi
en synergie sur des mots devenant précieux, regardés autrement, vrais
objets plastiques en eux-mêmes)... Faites-le connaître et réagissez avec plaisir. sommaire Pourquoi écrire aujourd'hui ? L'homme planétaire
- Défaut d'identité
- Où suis-je ? - transplanet
Pourquoi écrire aujourd'hui ? Là, là, pourquoi ces tracés, ces lettres, ces mots, ces lignes serrées,
grisailles ? Pourquoi une telle accumulation ? Nous pouvons nous promener,
parler, recevoir en plein visage la bourrasque de ce qui apparemment se
produit ailleurs, par écran interposé, insulter quelques crétins, se taire
lâchement devant d'autres pour survivre, consommer du ragoût, shooter un
paquet de feuilles mortes. Et puis non. Nous écrivons. Nous écrivons beaucoup en fait, même si l'illettrisme persiste. Nous
parlons en mots dessinés. Nous envoyons des courriers, des mails, des
petits messages. Nous remplissons des pages administratives. Nous réalisons
des thèses et des ouvrages techniques. Pourtant, très tôt dans l'histoire humaine, s'est dégagée une activité
spécifique, orale puis écrite, liée au réel et à l'imaginaire. Elle s'est
pratiquée avant de se nommer. Récits légendaires, poésie, chants, elle fut
parlée. Elle s'est séparée à la fois des rapports techniques ou
administratifs, de la recherche de l'efficience, et de la philosophie, de
la réflexion discursive. Elle est souvent restée mêlée à la religion. « Elle » ? Elle n'a pas de nom, avant de devenir objet de soins multiples.
Il faut attendre le XVIIIe siècle européen, pour que le mot « littérature »
cesse de désigner d'une manière générale tout le champ de l'écrit pour
cibler les « belles lettres », celles qui ont une préoccupation esthétique.
Alors, sous l'influence occidentale, le roman devient un genre primordial,
triomphant au XIXe siècle, hésitant entre ses formes populaires,
feuilletonesques, et un regard jeté vers la poésie ou la philosophie. Ce
que Shakespeare fit au théâtre ou Rabelais dans le récit, Flaubert et
Victor Hugo en expérimentent les variations. Le roman se développe avec
force, explorant tout, du fantastique (« gothique ») au réalisme. Au XXe
siècle, il finit par étouffer la poésie, par absorption, culminant dans de
grands projets comme ceux de Joyce ou Proust, forme d'art total par
l'écrit. Il triomphe également dans des genres dits populaires tels le policier ou
la science-fiction, tandis que la littérature enfantine ne se contente plus
de Lewis Carroll ou des Limericks d'Edward Lear pour sembler dépasser ses
frontières générationnelles. Inspirant le cinéma et la bande dessinée, ces
genres prennent une grande importance. Ils imposent le récit (même s'il
n'est pas linéaire dans son déroulement chronologique). D'une certaine
manière, la littérature s'est cinématographiée, quand le cinéma lui vole
ses schémas. Des images fortes, de grands mythes en sont nés, mais aussi un
nombre infini de journaux intimes. Aujourd'hui, pour beaucoup, écrire c'est raconter. Et généralement raconter
sa vie. Narrer. Narrer l'intime. Voilà la raison première de tant de livres,
correspondant aussi au retour de la biographie en histoire. L'individu, qui
devait se dissoudre au sein d'un collectif dans les engagements politiques
puissants de 1920 à 1980, fait figure dans sa nudité de seule bouée
collective : chacun se reconnaît dans les travers et les petits courages
des autres, chacun est fasciné par les limites de l'humain quand la
monstruosité pointe. De la jeune fille éplorée ou salace aux faits divers. Pourtant, il existe encore des formes de cinéma non narratives, à côté des
sagas. Le multimédia, précisément, se révèle bien davantage analogique que
linéaire. Notre pensée se houspille par influx successifs et parfois
conjoints. Alors, échapperons-nous à la confession ou à l'épopée ? Au sexe ou à
l'horreur ? Aux genres ? Mais tout cela nous intéresse-t-il vraiment ? C'est atypique ? Difficile à lire ? Pour aucun public ? Aucun format ?
Proclamons à nouveau les vertus de l'exigence, de la rareté, contre
l'infecte reality loghorrée Le réel. Où est le réel ? Il n'est de réel que perçu, donc interprété, donc interaction entre un
observateur et une situation. C'est ce dialogue, et non l'illusion d'un
« fait » brutal, qui nous intéresse. Pas du réel, mais la transmission de
réel. Pas n'importe quel réel. Et pas n'importe quel(le) transmetteur (se). Les choses se sont totalement inversées. Autrefois, vous écriviez pendant
des années, pas à pas, développant éventuellement votre vision du monde et
puis, après votre mort, certaines ou certains tentaient de la mettre en
correspondance avec des éléments biographiques. Mais sans systématisme,
puisque qu'il ne suffit bien sûr pas d'être homosexuel ou de s'être cassé
une jambe à 9 ans pour avoir du talent. Et que le talent reste affaire de
goûts collectifs et individuels. Aujourd'hui, des personnes connues pour des raisons diverses font des
livres-alibis (souvent écrits par d'autres) ou des personnes inconnues sont
vendues à cause d'un épisode biographique particulier. Je me fous d'être
une femme immigrée violée par mon père et organisant des partouzes sado-
masos dans le Berry avec des hommes politiques ayant pris le pseudonyme de
Laurent Gervereau. L'étendard biographique. Rien n'importe plus. La campagne marketing est
organisée autour d'une « révélation ». Chaque livre devient un dossier de
presse, un slogan pour bandeau. Il n'y a plus de lecteurs, mais que des écrivains (de la confession sans
fin, de la psychanalyse éternelle, de la mémoire hypertrophiée). Il n'y
plus de regardeurs, que des plasticiens. Il n'y a plus de mélomanes, que
des musiciens. L'art par tous nie l'art pour tous. L'exigence a chu. Ecrire
n'est pas transcrire. De surcroît, ce qui échappe à un tel travers -les centaines de romans
anonymes déversés chaque année--, doit raconter quelque chose d'adaptable
en film intimiste, en feuilleton télé (champ-contrechamp) ou dans de
l'action saccadée (fantastico-policière). Récit, récit, récit. Et puis,
c'est mieux quand c'est plat, reality écriture, style efficace, à
l'américaine, phrases courtes, factuelles, dialogues parlés, logorrhée
-écrire comme on cause--, testament interminable, avec même des bouts de
novlangue, pour faire chic, du genre « chat » ou sms... Et, pour épicer un
peu les peines de c?ur ou les décors exotiques, du cul, lentement et
froidement détaillé, semble d'un courage infini, à l'heure du porno tous
azimuts. Harlequin en vidéo X. La théorie nous gonflait, nous les libertaires
assaillis par des « camarades » péroreurs dans les années 1960-70.
Aujourd'hui, le degré zéro de l'intime nous afflige et nous plonge vers
Kierkegaard, comme une bouée d'air frais. Un peu de gravité. Un zeste de
dignité. Une haine ancrée du médiocre. Pourquoi donc écrire aujourd'hui ? Pour être lu sûrement. Pour avoir
l'illusion que d'autres s'intéressent à vous, à votre petite biographie
(d'où la multiplication du compte d'auteur avec la coucherie du cousin ou
la vie à la campagne de la grand-mère). Exister à travers le regard des
autres. Etre célèbre un quart d'heure. On écrit, comme on devient comédien
ou chanteur. On vient vomir n'importe quoi à la télé, juste pour être
cadré. Bientôt, sur le Net. On laisse la caméra rentrer, telle une webcam,
dans n'importe quel repli intime. Et ensuite on attend de voir si on vous
reconnaît dans la rue. J'ai le plus grand respect pour ceux qui refusent toute interview,
probablement d'ailleurs parce qu'ils peuvent