Stefan ZWEIG - Comptoir Littéraire

Dans les pages 26 à 39, 64 à 77, 84 à 95, les personnages jouent aux échecs :
ainsi trente et une pages sur quatre-vingt cinq y sont consacrées. ... 1933 : entrée
fracassante de Czentovic dans le monde des échecs et commencement des
ennuis de M. B... quand «Hitler arriva au pouvoir en Allemagne» (page 46).

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www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ''Schnachnovelle''
(posthume, 1943) ''Le joueur d'échecs'' nouvelle de Stefan ZWEIG (95 pages) pour laquelle on trouve un résumé
puis successivement l'examen de :
l'intérêt de l'action (page 2)
l'intérêt littéraire (page 9)
l'intérêt documentaire (page 13)
l'intérêt psychologique (page 22)
l'intérêt philosophique (page 35)
la destinée de l'?uvre (page 38) Bonne lecture ! Résumé En 1939, voyageant sur un paquebot qui fait le trajet de New York à Buenos
Aires, le narrateur, apprend avec intérêt que le champion du monde des
échecs, Mirko Czentovic, est à bord. Ce Yougoslave avait appris à jouer,
adolescent, en observant le curé de son village qui, un jour, se rendit
compte que cette brute inculte était un véritable prodige. Devenu champion
du monde, il avait fait du jeu sa profession, tout en n'étant qu'«une
machine à jouer aux échecs», tout en demeurant aussi fruste qu'antipahique,
. Grâce à l'aide du riche et vaniteux Écossais MacConnor, le narrateur
réussit à obtenir une partie simultanée avec Czentovic. Les compères la
perdent, mais l'Écossais en paie une seconde. Soudain, alors qu'ils vont
faire un coup apparemment brillant mais qui leur ferait perdre la partie,
une voix leur conseille de jouer autrement, et, suivant ses indications,
ils obtiennent une partie nulle. Ce sauveur s'esquive, mais, comme ils
désirent en faire une autre, ayant appris que l'inconnu est un Viennois, le
narrateur, qui l'est aussi, est envoyé auprès de lui. Sans se faire prier,
M. B... raconte sa vie et sa relation avec les échecs.
Il appartient à une riche famille d'administrateurs de biens qui s'occupait
avec discrétion de ceux de membres de congrégations religieuses, qui
dominait en restant dans l'ombre. Les nazis, voulant s'approprier ces
biens, trompèrent leur vigilance par un espion à leur solde. Il fut arrêté
par des SS, enfermé dans un hôtel, seul dans une chambre où il fut soumis à
un isolement absolu, bientôt irrégulièrement interrompu par des
interrogatoires de la Gestapo. Après quelques mois de ce traitement, alors
qu'il se sentait sombrer dans la folie, il avait pu dérober un livre qui se
révéla être un manuel d'échecs. Sa détention fut alors plus douce puisque,
s'aidant d'abord d'un drap et de pièces en mie de pain, puis de sa seule
mémoire, il s'occupa jusqu'à s'amuser passionnément. Ayant épuisé toutes
les parties décrites dans le livre, il se mit à jouer contre lui-même. Mais
sa raison s'en détraqua jusqu'à une crise de nerfs où il agressa son
gardien et se blessa en cassant une vitre. Il se réveilla dans un hôpital
où le médecin, comprenant son problème, usa de son influence pour qu'il fut
libéré et lui recommanda de ne plus jamais jouer aux échecs. Il fut obligé
de quitter l'Autriche et se retrouva ainsi sur le bateau..
Quand il s'était intéressé à la partie, il avait vu la faute qui risquait
d'être commise et n'avait pu s'empêcher d'intervenir. La folle envie de
savoir s'il peut jouer sur un véritable échiquier le prend et il accepte
alors de faire le lendemain une seule partie contre Czentovic. Il la gagne.
Le champion réclame une revanche que M. B... accepte avec précipitation.
Mais le champion, ayant perçu la faiblesse de son adversaire, joue très
lentement. Hors de lui, recommençant à jouer contre lui-même, continuant
dans sa tête une partie fictive au lieu de s'en tenir à son jeu sur un
échiquier bien réel, oubliant la partie qui est en train de se dérouler, M.
B... connaît de nouveau une crise. Le narrateur l'interrompt et lui
rappelle ses excès passés. La partie cesse. Le champion daigne admettre que
: «Pour un dilettante, ce monsieur est en fait très remarquablement doué».
Analyse
(la pagination est celle du Livre de poche) Intérêt de l'action Genre : La nouvelle allemande ayant souvent l'ampleur d'un roman français,
"Le joueur d'échecs", même s'il fait quatre-vingt-quatre pages, est bien
une nouvelle :
- Par son économie de moyens, la narration, concise, ne laissant pas de
place au superflu. Aucune description, aucune action qui ne soient en
rapport direct avec le sujet, le jeu d'échecs, autour duquel se concentre
la lecture. Le lecteur ne sait rien des raisons du voyage du narrateur à
Buenos-Aires, rien de la vie à bord, rien du déroulement de la croisière.
- Par son économie de personnages. Outre le narrateur, seuls trois
personnages font l'objet d'une attention particulière, et les personnages
secondaires (les amis et la femme du narrateur, les officiers de la
Gestapo, le gardien, l'infirmière, le médecin, etc.) ne font qu'une brève
apparition.
Cette esthétique de la briéveté correspondait tout à fait aux exigences de
Stefan Zweig qui déclarait : «Je trouve que les neuf dixièmes des livres
[...] tirent trop en longueur par des descriptions inutiles, des dialogues
prolixes et des personnages secondaires dont on pourrait se passer, et sont
par là trop peu passionnants, trop peu dynamiques.»
D'autre part, cette nouvelle est essentiellement psychologique. Mais, par
sa dénonciation du nazisme, on peut considérer qu'elle est engagée. Originalité : La nouvelle est tout à fait originale et, en quelque sorte,
autobiographique. Le 29 septembre 1941, Stefan Zweig confia, dans une
lettre adressée à son ex-épouse : «J'ai commencé une petite nouvelle sur
les échecs, inspirée par un manuel que j'ai acheté pour meubler ma
solitude, et je rejoue quotidiennement les parties des grands maîtres.»
Afin de s'occuper l'esprit sur l'"Uruguay", il joua aux échecs avec sa
femme, Lotte. Plus tard, installé à Pétropolis, il joua chaque jour avec
son ami Ferder, ancien rédacteur en chef du "Berliner Tageblatt", exilé
comme lui et bien meilleur joueur.
C'est sur cette base qu'à partir d'octobre, il composa, tout en continuant
la rédaction de ses mémoires et en travaillant sur Montaigne, une
"Schachnovelle" (littéralement «une nouvelle d'échecs», le mot allemand
«Schach» ne désignant que le jeu, et non pas l'échec) inspirée par sa
découverte récente du jeu, une oeuvre qui rappelait à plus d'un titre
d'autres de ses nouvelles (les mêmes curiosités, les mêmes thèmes
obsessionnels, les mêmes techniques de composition s'y retrouvent), mais
qui fut rédigée par un homme très différent de celui qui écrivait de 1910 à
1930 : dépressif, hanté par le spectre d'une guerre totale dont il n'aura
pas le courage d'attendre la fin, peu aidé par une épouse malade et elle
aussi dépressive, suicidaire, il avait perdu sa légèreté d'analyste des
coeurs, sa compréhension d'homme favorisé par la vie. Lieu : Les repères spatiaux sont très peu nombreux. Certes, les personnages
se trouvent à bord d'un paquebot mais on ne sait pas même son nom et aucune
description n'en est faite. Seuls «le pont-promenade» (page 21), «les
divers salons», le «bar» et le «fumoir» (page 22) sont mentionnés car
l'espace se rétrécit de plus en plus : «le fumoir» est le seul lieu où se
rencontrent les différents protagonistes, tandis que le pont est le lieu de
la confidence. Déroulement : La nouvelle se déroule en trois parties distinctes :
l'histoire de Czentovic, l'histoire de M. B... , les deux parties.
On peut encore préciser cette structure assez complexe : Page 10 : Avec l'incipit, «Sur le grand paquebot qui à minuit devait
quitter New York à destination de Buenos-Aires, régnait le va-et-vient
habituel du dernier moment», une atmosphère de suspense s'installe, mais
cet horizon d'attente ne sera que partiellement satisfait. Le but de la
nouvelle n'est pas de raconter la croisière du narrateur mais d'attirer
l'attention du lecteur sur deux personnages particuliers : Czentovic et M.
B... (et de façon moins importante, MacConnor) et sur le jeu d'échecs. Dans
cette page, la narration n'a pour objet que de dresser le décor et les
circonstances de la rencontre du narrateur avec Czentovic. L'action se noue
en raison de la curiosité du narrateur pour le champion et pour le jeu
d'échecs. Il aimerait comprendre le mystère des grands joueurs d'échecs qui
passent leur vie devant cette plaque de bois quadrillée sans pour autant en
devenir fous. Peut-être d'ailleurs sont-ils fous par nature? Aucune réponse
n'est cependant donnée sinon que le pire des imbéciles est capable de
devenir un grand joueur pour peu qu'il en reçoive le don. Pages 11 à 20 : C'est un premier retour en arrière ; il est fait par l'ami
du narrateur qui, très vite, laisse la place à un «on» anonyme et
généralisateur. Il a pour objet ce personnage singulier qu'est Czentovic,
et le lecteur pense alors que le sujet de la nouvelle sera l'histoire de ce
champion. Mais, page 21, le narrateur fait part de «[son] intention
d'observer de près ce singulier spécimen de développement intellectuel
unilatéral», de son désir de percer le double mystère que constitue la
réussite aux échecs de cet homme dont les facultés intellectuelles et les
«connaissances étaient étroitement limitées» (page 17). Le lecteur pense
alors que le véritable but de la nouvelle se