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C. BERDONNEAU C.D.D.P.
du Havre
I.U.F.M. de l'Académie de Versailles (Site de Cergy)
Conférence Pédagogique
1er
février 2006 De l'importance des gestes
pour l'apprentissage des concepts mathématiques
(élémentaire)
Apprendre les mathématiques, ce n'est pas mémoriser des règles ou des
informations, mais s'entraîner à raisonner sur des objets abstraits, pour
établir des propriétés sans avoir à recourir à l'expérience pour valider
ses conclusions.
. Quels types d'activités sont nécessaires ?
Pour construire un concept mathématique, deux phases sont indispensables :
une phase d'action et une phase de représentation mentale. La première
permet de donner du sens à l'apprentissage, d'ébaucher une première
tentative de réponse, d'observer les conséquences de l'action. La seconde
est une phase d'abstraction, d'élaboration des concepts, pendant laquelle
s'intériorisent à la fois la question qui se posait et les phénomènes qui
ont été observés, et s'établissent des relations entre des situations
perceptivement différentes mais relevant pourtant d'un même modèle
abstrait, principalement au travers du geste mental d'évocation (rappel
mental de perceptions qui ne sont pas présentes).
Les représentations mentales s'élaborent à partir d'un bagage d'expériences
personnelles, grâce auxquelles des liens s'installent entre différentes
situations, mettant en évidence d'une part des aspects communs et d'autre
part des différences. Un corpus important d'exemples aussi divers que
possible est nécessaire, et les contre-exemples indispensables pour dégager
les attributs non essentiels. Cette élaboration des représentations
mentales se produit rarement de manière spontanée : elle résulte de
l'action de l'enseignant pour les susciter. Par ailleurs, elle prend du
temps : pour la plupart des enfants, de nombreuses répétitions sont
nécessaires avant que puisse se produire l'intériorisation indispensable.
La verbalisation peut concourir à cette abstraction, mais elle n'est pas la
seule manière d'y parvenir. Le maître peut aussi contribuer à susciter
progressivement la constitution de représentations mentales grâce entre
autres à la technique de l'arrêt sur image avec retour arrière, puis avec
anticipation. En maternelle, la phase d'action peut prendre appui aussi bien sur des
activités motrices globales, où le corps tout entier de l'enfant est
sollicité, principalement menées dans la cour de récréation ou dans la
salle de motricité que sur des activités motrices restreintes, qui mettent
en jeu principalement les membres supérieurs (mains, poignets, avant-bras
et bras): manipulation, généralement à l'aide de matériels et de jeux.
Dans les classes élémentaires, le travail à partir d'activités motrices
globales est relativement rare, surtout en Cycle 3. Néanmoins, certains
concepts sont plus clairement appréhendés et mieux intériorisés grâce à un
tel travail dans le méso-espace : citons, à titre d'exemples, des
évidences comme le vocabulaire de spatialisation mais aussi des domaines
rarement travaillés de cette manière comme l'alignement de points (à partir
de chaînes d'élèves se donnant la main) voire la calligraphie des chiffres
en commençant par un parcours de chiffres géants tracés au sol, avec saut
pour ceux qui sont tracés en deux temps comme 7, 4 et 5. Nous utilisons le terme « manipulation » pour désigner une activité de
l'élève présentant les caractéristiques suivantes :
-elle s'exerce sur des objets relativement petits par rapport à la taille
de l'enfant ; en général, il peut les prendre dans ses mains pour en
modifier la position, l'orientation, parfois aussi l'apparence (les
déformer)
-les gestes de l'enfant sont finalisés, autrement dit ses mains sont
guidées par sa pensée, il ne s'agit donc pas de « tripotage » ; ceci ne
signifie pas qu'il ne puisse pas y avoir des moments de tâtonnement, ou
plus exactement d'essais successifs contrôlés : quand on essaie quelque
chose, on n'est pas assuré de réussir du premier coup, mais « tâtonner » en
ce sens n'est pas « tenter n'importe quoi n'importe comment ».
La manipulation est fondamentale pour l'enfant car :
-elle répond à un besoin de sensorialité,
-elle permet, grâce à un apprentissage multi-sensoriel, de communiquer sur
le canal sensoriel privilégié par chaque élève (gestion mentale, profils
pédagogiques, « intelligences multiples »)
-elle canalise l'attention et centre cette attention sur ce qui constitue
l'essentiel de l'apprentissage, à savoir l'élaboration des concepts
-elle le libère de la plupart des tâches annexes, en particulier celles
liées à la lourdeur de l'acte graphique
-du fait de la rapidité des actions, elle offre la possibilité
d'expériences nombreuses.
Elle est précieuse pour l'enseignant, car elle constitue:
-un indicateur de la vigilance (même face à un enseignant débutant, il est
très difficile à un enfant de « faire semblant », dans une telle situation)
-un outil de mise au travail effective de l'élève
-un support fiable pour reconstituer le raisonnement suivi par l'élève en
observant le déroulement de la manipulation
-un outil d'aide à l'élaboration des représentations mentales
-un dispositif fournissant une évaluation sûre et généralement aisée.
De plus, elle facilite la gestion de l'hétérogénéité de la classe, car elle
permet de répondre à l'amplitude complète des efficiences intellectuelles,
des « apprenants lents » (à qui elle permet un entraînement à leur rythme)
aux enfants à haut potentiel intellectuel (qui y trouvent matière à des
explorations originales). Pour des élèves peu à l'aise avec le langage (en
particulier dans le cas d'enfants non ou peu francophones), l'utilisation
de supports de manipulation offre, dans bien des cas, des situations qui
peuvent prendre sens malgré l'obstacle du langage. Elle est utile bien au-
delà des classes maternelles : citons simplement pour mémoire les travaux
de Bernard PARZYSZ en classes de terminale scientifique, montrant la
différence de maîtrise face à des problèmes de géométrie dans l'espace
selon que l'enseignement avait été traditionnel, à partir de tracés
effectués au tableau et sur feuille, ou à base de manipulations, à l'aide
de fils tendus, d'aiguilles à tricoter les chaussettes, de boules de
cotillon, etc. Des expériences menées en collège attestent également de
l'efficacité de supports matériels pour l'apprentissage à ce niveau des
grandeurs (aires, volumes) ou de la géométrie (cf. www.ac-nancy-
metz.fr/enseign/maths/m2002/actimath/cadre_acti.html). Le support de manipulation ne contient pas le savoir. Pour la plupart des
enfants, la fréquentation de matériels et de jeux didactiques ne suffit pas
pour qu'ils acquièrent les connaissances: alors qu'aujourd'hui dès leur
plus jeune âge ils sont environnés, voire saturés, tant à la maison que
dans les structures d'accueil de la petite enfance, d'objets éducatifs,
dont bon nombre se rapportent à des connaissances d'ordre mathématique, on
ne constate aucune élévation notable du niveau initial de connaissances
mathématiques des enfants de maternelle par rapport aux générations
précédentes. L'apprentissage nécessite une médiation de l'enseignant :
c'est grâce à la manière dont le maître exploite les supports de
manipulation que l'élève va pouvoir assimiler la connaissance
correspondante.
. Comment choisir les supports en réponse à des contraintes
fonctionnelles ?
Certains supports de manipulation :
-peuvent être utilisés individuellement,
-ne requièrent éventuellement pas impérativement une explicitation verbale
de leur règle d'utilisation
-proposent un enjeu de type "réussir".
Nous les désignons par « matériels ». En raison de leur fonctionnement
plutôt individuel, ils favorisent un apprentissage progressif, où les
erreurs restent confidentielles, à la fois privées et éphémères : si
l'élève n'a pas pu aller au bout de la tâche, ou ne l'a pas accomplie d'une
seule traite, il a l'occasion de s'y confronter à nouveau sans que rien ni
personne n'ait gardé une trace indélébile de ses hésitations, de ses
tentatives infructueuses. Ils conviennent bien aux tempéraments de
"recordman" et développent l'autonomie. Ils peuvent généralement servir
aisément à l'évaluation par lecture de la production de l'élève. Dans leur
utilisation, il est impératif de ne pas se borner à une lecture des faits
par l'élève, mais d'aménager des situations nécessitant une anticipation
(autrement dit de placer les élèves face à des problèmes), le matériel
servant comme outil de validation. D'autres supports :
-supposent une utilisation en groupe de participants
-ne peuvent donc être exploités sans une explicitation verbale de la règle
d'utilisation
-présentent un enjeu de type "gagner".
Nous les désignons par « jeux ». Ils sont appropriés aux tempéraments de
"compétiteurs", et sont très mal supportés par certains enfants, pour
lesquels ils peuvent même constituer un obstacle à l'apprentissage. Ils
favorisent la socialisation ; toutefois leur utilisation suppose un groupe
d'enfants ayant des intérêts communs et des niveaux voisins. S'en servir
pour l'évaluation est plus complexe, ou suppose de concevoir un dispositif
spécifique. . Pourquoi est-il si important de travailler avec de vrais objets et non
avec des représentations planes ?