Comment rendre nos idées claires - Les Classiques des sciences ...
... par l'application de la théorie des probabilités, prédire qu'en moyenne telle ou
... sont pas sans cesse corrigés par l'expérience, l'histoire tout entière montre que
la ..... des doctrines fort différentes de celles qu'ils ont eux-mêmes été élevés à
croire. ..... Le résultat final de la pensée est l'exercice de la volonté, fait auquel ...
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La logique de la science
par
Charles-Sanders Peirce
Article publié dans La revue philosophique de la France et de l'étranger
Troisième année, Tome VI, décembre 1878 et quatrième année, tome VII,
janvier 1879
Alain.Blachair@ac-nancy-metz.fr
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PREMIÈRE PARTIE : Comment se fixe la croyance 3
I 3
II 4
III 6
IV 7
V 8
DEUXIEME PARTIE : Comment rendre nos idées claires 15
I 15
II 17
III 25 LA LOGIQUE DE LA SCIENCE PREMIÈRE PARTIE : Comment se fixe la croyance
I [553] On se soucie peu généralement d'étudier la logique, car chacun se
considère comme suffisamment versé déjà dans l'art de raisonner. Mais il
est à remarquer qu'on n'applique cette satisfaction qu'à son propre
raisonnement sans l'étendre à celui des autres.
Le pouvoir de tirer des conséquences des prémisses est de toutes nos
facultés celle à la pleine possession de laquelle nous atteignons en
dernier lieu, car c'est moins un don naturel qu'un art long et difficile.
L'histoire du raisonnement fournirait le sujet d'un grand ouvrage. Au moyen
âge, les scolastiques, suivant l'exemple des Romains, firent de la logique,
après la, grammaire, le premier sujet des études d'un enfant, comme étant
très-facile. Elle l'était de la façon qu'ils la comprenaient. Le principe
fondamental était, selon eux, que toute connaissance a pour base l'autorité
ou la raison. Mais tout ce qui est déduit par la raison repose en fin de
compte sur des prémisses émanant de l'autorité. Par conséquent, dès qu'un
jeune homme était rompu aux procédés du syllogisme, son arsenal
intellectuel passait pour complet.
Roger Bacon, ce remarquable génie qui, au milieu du XIIIe siècle, eut
presque l'esprit scientifique, n'apercevait dans la conception scolastique
du raisonnement qu'un obstacle à la vérité. Il voyait que seule
l'expérience apprend quelque chose. Pour nous, c'est là une proposition qui
semble facilement intelligible, parce que les générations passées nous ont
légué une notion exacte de l'expérience. [554] A Bacon, elle paraissait
aussi parfaitement claire, parce que ses difficultés ne s'étaient pas
encore dévoilées. De tous les genres d'expériences, le meilleur, pensait-
il, était une intuition, une lumière intime qui apprend sur la nature bien
des choses que les sens ne pourraient jamais découvrir : par exemple, la
transmutation des espèces.
Quatre siècles plus tard, l'autre Bacon, le plus célèbre, dans le
premier livre du Novum Organum, donnait sa définition si claire de
l'expérience, comme d'un procédé qui doit rester ouvert à la vérification
et au contrôle. Toutefois, si supérieure aux idées plus anciennes que soit
la définition de lord Bacon, le lecteur moderne, qui ne s'extasie pas
devant sa hautaine éloquence, est surtout frappé de l'insuffisance de ses
vues sur la méthode scientifique. Il suffirait de faire quelques grosses
expériences, d'en résumer les résultats suivant certaines formes
déterminées, de les effectuer selon la règle en écartant tout ce qui est
prouvé faux et acceptant l'hypothèse qui subsiste seule après cela ; de
cette façon, la science de la nature serait complète au bout de peu
d'années. Quelle doctrine ! « Il a écrit sur la science en grand
chancelier, » a-t-on dit. Cette remarque est vraie.
Les premiers savants, Kopernik, Tycho-Brahé, Képler, Galilée et
Gilbert, eurent des méthodes plus semblables à celles des modernes. Képler
entreprit de tracer la courbe des positions de Mars[1]. Le plus grand
service qu'il ait rendu à la science a été de prémunir l'esprit humain de
cette idée : que c'était ainsi qu'il fallait agir si l'on voulait faire
avancer l'astronomie ; qu'on ne devait pas se contenter de rechercher si
tel système d'épicycles était meilleur que tel autre, mais qu'il fallait
s'appuyer sur des chiffres et trouver ce que la courbe cherchée était en
réalité. Il y parvint en déployant une énergie et un courage incomparables,
s'attardant longuement, et d'une manière, pour nous, inconcevable,
d'hypothèses en hypothèses irrationnelles, jusqu'à ce qu'après en avoir
épuisé vingt et une, et simplement parce qu'il était à bout d'invention, il
tomba sur l'orbite qu'un esprit bien pourvu des armes de la logique moderne
aurait essayé presque tout d'abord.
C'est ainsi que tout ouvrage scientifique assez important pour vivre
dans la mémoire de quelques générations témoigne de ce qu'il y avait de
défectueux dans l'art de raisonner, à l'époque où il fut écrit, et chaque
pas en avant fait dans la science a été un enseignement dans la logique.
C'est ce qui eut lieu quand Lavoisier et [555] ses contemporains
entreprirent l'étude de là chimie. La vieille maxime des chimistes avait
été : « Lege, lege, lege, labora, ora, et relege. » La méthode de Lavoisier
ne fut pas de lire et de prier, ni de rêver que quelque opération chimique
longue et compliquée aurait un certain effet ; de l'exécuter avec une
patience désespérante ; puis, après un insuccès inévitable, de rêver
qu'avec quelque modification on obtiendrait un autre résultat ; puis de
publier le dernier rêve comme réalité. Sa méthode était de transporter son
esprit dans son laboratoire et de faire de ses alambics et de ses cornues
des instruments de travail intellectuel. Il faisait concevoir d'une façon
nouvelle le raisonnement comme une opération qui devait se faire les yeux
ouverts, en maniant des objets réels au lieu de mots et de chimères.
La controverse sur le darwinisme est de même en grande partie une
question de logique. Darwin a proposé d'appliquer la méthode statistique à
la biologie. C'est ce qu'on a fait dans une science fort différente pour la
théorie des gaz. Sans pouvoir dire ce que serait le mouvement de telle
molécule particulière d'un gaz, dans une certaine hypothèse sur la
constitution de cette classe de corps, Clausius et Maxwell ont cependant
pu, par l'application de la théorie des probabilités, prédire qu'en moyenne
telle ou telle proportion de molécules acquerrait dans des circonstances
données telles ou telles vitesses, que dans chaque seconde se produirait
tel et tel nombre de collisions, etc. De ces données, ils ont pu déduire
certaines propriétés des gaz, spécialement en ce qui touche à leurs
relations caloriques. C'est ainsi que Darwin, sans pouvoir dire quels
seraient sur un individu quelconque les effets de la variation et de la
sélection naturelle, démontre qu'à la longue ces lois adapteront les
animaux à leur milieu. Les formes animales existantes sont-elles ou non
dues à l'action de ces lois ? quelle place doit-on donner à cette théorie ?
Tout cela forme le sujet d'une controverse dans laquelle les questions de
fait et les questions de logique s'entremêlent d'une singulière façon. II Le but du raisonnement est de découvrir par l'examen de ce qu'on sait
déjà quelque autre chose qu'on ne sait pas encore. Par conséquent, le
raisonnement est bon s'il est tel qu'il puisse donner une conclusion vraie
tirée de prémisses vraies ; autrement, il ne vaut rien. Sa validité est
donc ainsi purement une question de fait et non [556] d'idée. A étant les
prémisses, et B la conclusion, la question consiste à. savoir si ces faits
sont réellement dans un rapport tel, que si A est, B est. Si oui,
l'inférence est juste ; si non, non. La question n'est pas du tout de
savoir si, les prémisses étant acceptées par l'esprit, nous avons une
propension à accepter aussi la conclusion. Il est vrai qu'en général nous
raisonnons juste naturellement. Mais ceci n'est logiquement qu'un accident.
Une conclusion vraie resterait vraie si nous n'avions aucune propension à
l'accepter, et la fausse resterait fausse, bien que nous ne pussions
résister à la tendance d'y croire.
Certainement, l'homme est, somme toute, un être logique ; mais il ne
l'est pas complètement. Par exemple, nous sommes pour la plupart portés à
la confiance et à l'espoir, plus que la logique ne nous y autoriserait.
Nous semblons faits de telle sorte que, en l'absence de tout fait sur
lequel nous appuyer, nous sommes heureux et satisfaits de nous-mêmes ; en
sorte que l'expérience a pour effet de contredire sans cesse nos espérances
et nos aspirations. Cependant l'application de ce correctif durant toute
une vie ne déracine pas ordinairement cette disposition à la confiance.
Quand l'espoir n'est entamé par aucune expérience, il est vraisemblable que
cet optimisme est extravagant. L'esprit de logique dans les choses
pratiques est une des plus utiles qualités que puisse posséder un être
vivant, et peut, par conséquent, être un résultat de l'action de la
sélection naturelle. Mais, les choses pratiques mises à part, il est
probablement plus avantageux à l'être vivant d'avoir l'esprit plein de
visions agréables et encourageantes, quelle qu'en soit d'ailleurs la
vérité. Donc, sur les sujets non pratiques, la sélection naturelle peut
produire une tendance d'esprit décevante.
Ce qui nous détermine à tirer de prémisses données une conséquence
plutôt qu'une autre est une certaine habitude d'esprit, soit
constitutionnelle, soit acquise. Cette habitude d'esprit est bonne ou ne
l'est pas, suivant qu'elle p