La politique fiscale : objectifs et contraintes - Hal-SHS

L'instrument monétaire a ainsi été confié à la Banque centrale européenne,
tandis que ... Si les objectifs de la politique fiscale se diversifient, elle reste
néanmoins ... L'équité et la justice distributive visent en particulier à corriger à
corriger les ..... le préambule de la Constitution mais il est associé à l'exercice du
pouvoir de ...

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La politique fiscale : objectifs et contraintes

Jean-Marie Monnier
Professeur d'économie
Centre d'économie de la Sorbonne
UMR du CNRS 8174
Université Paris I-Panthéon Sorbonne

Après la seconde guerre mondiale, et pendant de longues années, les
politiques monétaire et budgétaire étaient privilégiées par les
économistes. A partir de la fin de la décennie 1970 alors que la crise
économique s'installait, les attitudes à l'égard de la fiscalité ont
changé, principalement en raison de l'échec des politiques contacycliques
de stabilisation et de l'émergence de l'économie de l'offre. L'intérêt pour
la politique fiscale s'est accru durant les années 1990 dans les nations
européennes du fait de la naissance de contraintes nouvelles et de
l'accentuation de contraintes anciennes pour la politique publique.
L'instrument monétaire a ainsi été confié à la Banque centrale européenne,
tandis que les critères de stabilité du Traité d'Amsterdam (1997) limitent
les marges de man?uvre budgétaire des Etats membres. Dans la période
récente, de nouvelles préoccupations ont émergé, par exemple la lutte
contre les pandémies ou contre la dégradation de l'environnement, pour
lesquelles l'instrument fiscal semble pertinent. Si les objectifs de la
politique fiscale se diversifient, elle reste néanmoins soumise à un
ensemble de contraintes et nécessite des arbitrages délicats.

I Les fonctions de l'Etat et la politique fiscale

En 1959, dans un ouvrage[1] devenu un classique de l'analyse économique,
Richard Musgrave donnait la définition désormais canonique des fonctions de
l'Etat. Ces fonctions sont au nombre de 3[2] :
* L'allocation et la production de biens publics naissent du caractère
socialement insatisfaisant ou sous optimal du fonctionnement des marchés
notamment du fait de la présence d'externalités.
* L'équité et la justice distributive visent en particulier à corriger à
corriger les inégalités engendrées par la répartition primaire des revenus,
dans le sens de la justice sociale.
* La stabilisation et la politique macroéconomique sont essentiellement
tournées vers la lutte contre l'inflation et le chômage et pour relancer
l'activité en situation dépressive.
Cette division des taches de l'Etat en trois fonctions vise essentiellement
à organiser conceptuellement l'étude des finances publiques à partir d'une
typologie simple. Mais elle conduit également à mettre en évidence des
dimensions microéconomiques et des dimensions macroéconomiques de
l'activité publique. En outre, dans son ouvrage de 1959, Musgrave s'attache
à montrer que les budgets publics sont interdépendants de sorte que les
trois fonctions elles-mêmes sont interdépendantes. Par exemple l'allocation
de ressources pour pallier la présence d'effets externes négatifs (la
pollution notamment) ou la stimulation de la demande dans le cadre de
stratégies de croissance ne sont pas sans conséquences sur la
redistribution.
Si la politique budgétaire peut se définir comme l'ensemble des actions
menées par les pouvoirs publics ayant un support financier, qu'il s'agisse
de dépenses ou de recettes, alors la politique fiscale n'est que l'une des
dimensions de cet ensemble. Concrètement, elle est le produit de choix
explicites ou implicites des décideurs publics dans des domaines
économiques et extra-économiques, qui déterminent les caractéristiques
générales des prélèvements obligatoires. Ce faisant, elle articule les
aspects économiques et les dimensions juridiques des prélèvements
obligatoires.
Les prélèvements obligatoires (impositions de toute nature et cotisations
sociales selon la distinction opérée par l'article 34 de la constitution de
la 5è République) se caractérisent en effet par leur double nature,
juridique et économique. Au plan juridique et selon la formule de Michel
Bouvier[3], ils procèdent du pouvoir de contrainte dont l'autorité étatique
est légalement détentrice. Ce pouvoir s'exprime dans le droit fiscal qui
s'articule autour d'un ensemble de règles, dont la combinaison détermine la
portée des contributions et que la politique fiscale modifie afin de donner
une forme concrète aux options dont elle procède. Du point de vue
économique, l'impôt soustrait du pouvoir d'achat aux agents privés de sorte
qu'il modifie la répartition des revenus, exerce une influence sur
l'activité globale et affecte les comportements.
Il s'ensuit que si la fiscalité participe des fonctions de l'Etat, elle ne
s'adapte pas directement à la typologie de Musgrave. C'est la raison pour
laquelle, on peut décomposer l'intervention de l'impôt dans l'activité
publique à partir de quatre fonctions.

I-1. Le financement des dépenses publiques

Le financement des dépenses publiques est habituellement considéré comme la
principale fonction des prélèvements obligatoires. Dans la tradition
originelle issue de Locke, la protection de la propriété est la principale
fonction dévolue à l'Etat. En conséquence, l'impôt doit correspondre aux
services rendus, c'est-à-dire au paiement de l'Etat pour la protection des
droits qu'il dispense. On est ici à l'origine de la doctrine du bénéfice
selon laquelle il doit y avoir équivalence entre l'utilité que retirent les
citoyens des services publics qu'ils consomment et le "prix" fiscal qu'ils
acquittent[4].
Avec le développement des fonctions de l'Etat, justifié soit par la
nécessité de pallier les échecs du marché, soit pour assurer un
développement harmonieux du capitalisme industriel, les dépenses publiques
se sont accrues, en particulier les dépenses d'infrastructures et
d'éducation, réclamant ainsi une extension du rôle de l'impôt. Enfin,
l'épanouissement de l'Etat-providence a vu la croissance en France d'une
nouvelle catégorie de contribution, se distinguant principalement des
impôts au plan juridique par l'absence d'autorisation législative de
prélèvement, les cotisations sociales. Jusqu'à la fin des années 1980, les
cotisations sociales représentaient environ 90% des ressources de la
protection sociale française. Les fortes mutations de celles-ci ont depuis
lors réduit la part des cotisations sociales à près de 60%, tandis que la
part des impôts et taxes affectés s'élevait à 21% en 2006.

I-2. La redistribution

La redistribution vise à corriger les inégalités de la répartition des
revenus et des richesses. Elle peut prendre une forme monétaire ou non
monétaire. Traditionnellement, on distingue deux dimensions de la
redistribution. La redistribution horizontale opère des transferts qui ne
sont pas motivés par la hiérarchie des revenus. Il s'agit donc soit
d'opérations intervenant entre ménages situés dans la même strate de
revenus, soit d'opérations fondées sur d'autres critères que le revenu. La
protection sociale répond le plus souvent à ce type de problématique
puisqu'elle vise à effectuer des transferts de ressources au profit de
personnes exposées à un risque social : maladie, maternité, famille...
Quant à la redistribution verticale elle prend en compte la hiérarchie des
revenus et cherche à en réduire les inégalités. Dans ce cadre, l'objectif
de la redistribution fiscale est le resserrement de l'éventail des revenus
et son instrument privilégié est l'impôt progressif sur le revenu. On dit
d'un impôt qu'il est progressif lorsque le taux moyen d'imposition croît
plus vite que le revenu ce qui signifie que l'élasticité du rendement de
l'impôt est supérieure à 1. Il s'ensuit que la progressivité peut être
entendue comme une déviation positive par rapport à un prélèvement
proportionnel au revenu. De fait, la progressivité peut s'analyser comme la
structure d'un prélèvement, c'est-à-dire la répartition d'un euro d'impôt
entre les contribuables classés selon leur position dans l'éventail des
revenus, tandis que les effets redistributifs mesurent l'ampleur des
variations introduites par ce prélèvement dans la distribution des revenus.
A distribution primaire des revenus donnée, l'ampleur de ces effets
redistributifs dépend à la fois du degré de progressivité et du taux moyen
d'imposition, c'est-à-dire de la masse des revenus effectivement prélevée.
En d'autres termes, la variation d'inégalité résultant d'un prélèvement
peut être exprimée comme le produit de sa progressivité par le taux moyen
d'imposition.

I-3. Régulation de l'activité économique et stabilisation

Pour contrôler l'équilibre macroéconomique, assurer la croissance et tendre
vers le plein emploi, on distingue habituellement les politiques centrées
sur la demande visant au soutien ou à la relance de l'activité économique,
des politiques privilégiant l'offre, plus restrictives, favorables à
l'épargne et/ou cherchant à améliorer la compétitivité des entreprises.
Selon l'analyse keynésienne, l'impact positif sur la croissance et l'emploi
des politiques budgétaires est le résultat du multiplicateur. Toutefois,
pour les keynésiens, une hausse des dépenses publiques n'est pas
équivalente à une diminution des recettes. En effet, le multiplicateur des
dépenses budgétaires est supérieur au multiplicateur fiscal en raison des
délais plus lents de réaction des revenus individuels et donc de la
consommation, aux modifications de la fiscalité.
Pour leur part, les économistes de l'offre ne croient pas en l'effectivité
du multiplicateur et critiquent ce qu'ils appellent les "dégâts du
keynésianisme", en particulier la mauvaise allocation des capacités
productives au sein de l'économie qui serait engendrée par les distorsions
qu