MARIANA TUTESCU-L'ARGUMENTATION

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MARIANA TUTESCU-L'ARGUMENTATION
Chapitre Premier
Le concept de DISCOURS
0. Le discours est le concept clé de la linguistique discursive et
textuelle, dernière née des sciences du langage. Ce concept entraîne une
perspective interdisciplinaire des faits de langue, où logique, sociologie,
psychologie, philosophie du langage, théorie de la communication se
rejoignent pour se compléter réciproquement.
L'analyse du discours implique le dépassement du niveau
phrastique et la prise en charge de nombreux facteurs pragmatiques,
extralinguistiques et situationnels sans lesquels une étude complète de la
signification ne saurait être possible.
« Née d'horizons divers, cette linguistique du discours cherche à
aller au-delà des limites que s'est imposée une linguistique de la langue,
enfermée dans l'étude du système. Dépassement des limites de la phrase,
considérée comme le niveau ultime de l'analyse dans la combinatoire
structuraliste; effort pour échapper à la double réduction du langage à la
langue, objet idéologiquement neutre, et au code, à fonction purement
informative; tentative pour réintroduire le sujet et la situation de
communication, exclus en vertu du postulat de l'immanence, cette
linguistique du discours est confrontée au problème de l'extralinguistique
» (D. MALDIDIER, Cl. NORMAND, R. ROBIN, 1972: 118).
1. Les différentes acceptions du discours diffèrent selon les
écoles linguistiques et les méthodes d'analyse du langage (voir pour la
polysémie du concept D. MAINGUENEAU, 1976: 13 - 23 et T. CRISTEA, 1983: 11
- 19).
Pour notre compte, nous retiendrons les éléments suivants:
1.1. Le discours est un événement langagier; il s'ensuit que
l'événement discursif suppose l'emploi de la langue par un énonciateur et
sa réception par un auditeur (allocutaire ou destinataire), suite à
l'application de certaines opérations énonciatives et discursives [13].
Dans les termes de Ém. BENVENISTE, le discours est « le langage mis en
action » dans un processus historique qui fait de l'énoncé un événement.
Dans un sens plus large, BENVENISTE entendait par discours «
toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier
l'intention d'influencer l'autre en quelque manière » (1966: 242).
1.2. Le discours, c'est un énoncé ou un ensemble d'énoncés
considéré du point de vue du mécanisme de sa production, autrement dit un
énoncé ou un ensemble d'énoncés en situation de communication. Cela veut
dire que l'étude du discours est indissociable de l'analyse des facteurs
suivants:
1) - l'énonciateur
2) - son destinataire ou allocutaire
3) - l'espace-temps de la communication
4) - l'intention communicative de l'énonciateur
5) - le thème du discours
6) - un savoir commun partagé par l'énonciateur et son
destinataire, se rapportant aux données référentielles, culturelles, etc.
1.3. Lieu de la manifestation de la langue, le discours est le
résultat d'une construction. L'énonciateur construit - grâce aux éléments
que la langue lui fournit et grâce à la situation de communication - le
discours. Dans cette perspective, l'opposition LANGUE / vs / PAROLE,
analysée avec finesse dans la psychomécanique de Gustave GUILLAUME,
continue à garder son actualité. « Ce qui rend difficile l'étude des faits
de langue, c'est que l'observation directe ne les atteint pas. Pour
atteindre à ces faits profonds, on est tenu de faire appel à des moyens
analytiques plus puissants. Il ne suffit pas de constater, il faut, par
imagination constructive [souligné par nous], découvrir ce qui a eu lieu
dans les régions profondes de l'esprit auxquelles la conscience n'a point
directement accès » (Leçons de linguistique générale de G. GUILLAUME. 1949
- 1950. Structure sémiologique et structure psychique de la langue
française, II, Les Presses de l'Université Laval, Québec et Librairie C.
Klincksieck, Paris, 1974: 71).
Dans le même esprit, James KINNEAVY verra l'étude du discours
comme « l'étude des usages ou emplois situationnels des données
potentielles du langage » (1971: 22).
1.4. Dans une perspective des plus prometteuses, le discours sera
conçu comme un ensemble de stratégies discursives.
Il faut parler de stratégie discursive seulement lorsque les
conditions suivantes sont remplies (voir J. CARON, 1978):
- une situation d''incertitude', liée soit au comportement
imprévisible d'un partenaire, soit à une ignorance au moins partielle de la
structure de la situation;
- un but , visé consciemment ou non par le locuteur;
- des règles du jeu, définissant les coups possibles d'une part,
et permettant, d'autre part, en fonction du but à atteindre, une évaluation
des situations successivement réalisées;
- une succession réglée de choix, traduisant un plan logique
d'ensemble.
Le discours, dans son déroulement, construira simultanément:
a) Un champ discursif, référence discursive, univers de discours,
ensemble structuré de signifiés, renvoyant au référent, mais doté d'une
structure propre: organisation cognitive d'une part (les 'objets'
construits sont liés par des relations temporelles, spatiales, causales,
logiques, etc.); organisation dynamique d'autre part (un système
d'évaluations, positives ou négatives, 'oriente' ce champ selon un ou
plusieurs axes).
b) Un système de relations liant les interlocuteurs au champ
d'une part, entre eux d'autre part: ancrage des énonciateurs dans le
discours repérant celui-ci par rapport à l'acte d'énonciation (axe des
embrayeurs JE / TU - ICI - MAINTENANT), modulation qualitative et
quantitative de cet ancrage par la fonction illocutoire des énoncés et par
leurs modalités.
J. CARON appelle situation discursive cet ensemble constitué par
le champ discursif et la relation des énonciateurs à celui-ci et entre eux,
tel qu'il se définit à un moment quelconque du discours (1978: 183).
La construction de cette situation, ainsi que ses tranformations
au cours du temps, sont assurées par des opérateurs discursifs, qui
assurent des fonctions d'organisation cognitive (les marques temporelles,
spatiales, les termes relationnels, les quantificateurs, les divers
connecteurs), d'évaluation (les prédicats bipolaires) et d'ancrage (les
marques d'énonciation, de modalisation, d'illocution).
Dans ces conditions, la stratégie discursive est une séquence
d'actes de langage qui, à l'aide d'un ensemble d'opérateurs, vise à
construire un certain type de situation discursive. L'énoncé interrogatif,
la cause, la réfutation de la cause, le démenti, la négation polémique,
l'hypothèse, le refus, la justification, la métaphore, etc. sont autant de
stratégies discursives.
1.5. Certains linguistes et théoriciens du langage ont la
tendance à mettre le signe d'égalité entre discours et texte.
La procédure ne va pas sans risques, bien qu'on soit d'accord
que tout texte est le produit achevé, clos d'un mécanisme discursif.
Tout texte s'appuie sur un discours qui l'autorise, l'inverse
n'étant pourtant pas vraie.
Nous croyons fermement à l'idée que le texte est le produit du
discours, le discours étant alors le mécanisme, le processus de la
production du texte.
Le texte est achevé, fini, clos, alors que le discours est
infini.
D'autre part, il est impossible de comprendre un discours si
l'on ne prend pas en charge son implicite. L'implicite est donc une
caractéristique immanente du discours.
Nous rejoignons ainsi l'hypothèse de R. MARTIN (1983), selon
laquelle la langue est conçue comme un ensemble fini de signes et de règles
et le discours comme l'ensemble infini des phrases possibles, les énoncés -
seule réalité observable - s'opposeront à la fois, dans la cohérence du
texte, à la langue et au discours. La phrase, réalité abstraite et purement
hypothétique, apparaît comme le fruit d'une reconstruction du linguiste:
[pic]
(R. MARTIN, 1983: 228)
Dans la théorie globale de la langue proposée par R. MARTIN, la
composante discursive assure l'insertion de la phrase dans la cohésion /
cohérence du texte. La fonction discursive du langage assure la cohérence
textuelle. Cette composante rend compte de l'adéquation de la phrase à son
contexte. Ainsi la phrase Pierre est de retour sera vraie dans les
conditions suivantes: le personnage Pierre est identifié de la même manière
par le locuteur et son allocutaire; si Pierre est de retour, c'est qu'il
était présent à un moment donné, qu'il s'est absenté et qu'il est à nouveau
présent. Si l'on imagine un contexte où il est question des difficultés où
la France s'empêtre, du chomage qui ne cesse de croître, de l'inflation qui
galope, du marasme de la culture et de l'enseignement, alors il sera
malaisé d'y faire apparaître brusquement l'observation, pourtant censée,
que Pierre est de retour. La cohérence discursivo-textuelle s'y oppose: la
fonction discursive n'autorise pas pareil coq-à-l'âne.
C'est la fonction discursive qui explique la bonne formation de
(1) et l'agrammaticalité de (2):
(1) Il a gelé. Les conduites de chauffage ont éclaté.
(2) * Il a gelé. Mon dentifrice est bifluoré.
Des connaissances d'univers, un savoir encyclopédique sont
nécessaires pour l'établissement de la cohérence discursive des textes.
Qu'on envisage - à ce sujet - quelques réponses à une question comme:
Pourquoi le professeur Durand a-t-il pris son parapluie ?
(a) ? Parce qu'il a cours.
(b) Parce qu'il a commencé à pleuvoir.
(c) Parce qu'il n'a pas d'imperméable.
(d) * Parce qu'il fait beau.
Le savoir encyclopédique explique pourquoi (a) est une réponse
douteuse et (d) une réponse incorrecte, agrammaticale discursivement.
Pour des raisons de commo