Pléthon et Cosme de Médicis - Hal-SHS
L'universalité de l'exercice du principe de non-contradiction exclut d'emblée la
possibilité de faire appel à une foi qui prétendrait pouvoir le transgresser. ...... On
remarque aussi que Pléthon, en reprenant la formulation d'Atticus, corrige
discrètement Eusèbe, celui-ci soutenant à tort la concordance de Platon et de
Moïse.
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Pléthon et Cosme de Médicis : le retour de Platon Cosme de Médicis et Georges Gémiste Pléthon sont considérés comme deux
acteurs de premier plan dans la translatio platonicienne qui a eu lieu au
XVe siècle. Marsile Ficin, dans la fameuse dédicace à Laurent de Médicis
rédigée pour sa traduction des Ennéades de Plotin, publiée en 1492, les met
en relation. Il rapporte des événements qui se sont déroulés en 1439 à
l'époque du concile de Florence auquel Pléthon avait participé et que Cosme
avait soutenu financièrement. Cosme, explique Ficin plus de cinquante ans
après les faits, aurait « souvent » (frequenter) écouté le philosophe grec
Gémiste surnommé Pléthon, et qui était « comme un autre Platon » (quasi
Platonem alterum), discuter des « mystères platoniciens » (de mysteriis
Platonicis disputantem). Cosme en aurait été comme « inspiré » à
« concevoir une sorte d'Académie ».[1]
Néanmoins, comme l'ont souligné bien des commentateurs, Ficin procède
dans ce texte à une reconstruction des faits et à une sorte de mise en
scène ; par exemple, Ficin cherche à faire croire que Cosme de Médicis a
été le patron, le mécène de Ficin dès l'enfance de celui-ci, ce qui est
exagéré. De plus, comme l'a expliqué James Hankins, il ne faut pas déduire
de ce témoignage, que Cosme de Médicis a fondé une Académie platonicienne
dirigée par Ficin.
On sait qu'en 1462 Cosme confie à Marsile Ficin le précieux manuscrit des
?uvres de Platon qu'il possède, car Ficin le remercie de ce don dans une
lettre datée de septembre 1462. Mais bien que Cosme ait ainsi réellement
patronné la traduction de Platon en latin, plusieurs commentateurs ont
douté de l'intérêt que Cosme pouvait avoir pour la philosophie
platonicienne. Arthur Field[2] montre que Cosme, contrairement à une idée
répandue depuis le XVIe siècle, n'a pas cherché à imposer une idéologie
platonicienne pour soutenir son action politique. James Hankins fait valoir
que les goûts littéraires de Cosme de Médicis étaient éclectiques. Depuis
sa jeunesse, Cosme manifestait un réel intérêt pour la littérature et la
philosophie morale ; ses annotations marginales dans de nombreux manuscrits
de sa bibliothèque prouvent qu'il ne se comportait pas simplement en
collectionneur. L'étude de sa bibliothèque[3] et des traductions dont les
dédicaces lui sont adressées,[4] montre que ses centres d'intérêts étaient
variés : on trouve en effet des ?uvres d'histoire, de littérature
religieuse et surtout de philosophie morale. Platon ne constituait pour
Cosme que l'un de ses centres d'intérêt intellectuels parmi beaucoup
d'autres. Il n'aurait pas spécialement soutenu la philosophie
platonicienne.[5]
Faut-il alors également considérer la relation entre Cosme et Pléthon
comme une fiction, Ficin ne mentionnant Pléthon que pour s'inscrire lui-
même dans la lignée des platoniciens à la suite de Platon, Plotin,
Pléthon ? Et peut-on aller jusqu'à soutenir que Cosme ait par la suite fait
traduire Platon sans y trouver un intérêt particulier ? Tandis qu'Alison
Brown reconnaît finalement que nous ne savons pas ce qui a décidé Cosme à
commanditer la traduction de l'?uvre de Platon,[6] Arthur Field, en 2002,
en vient à admettre qu'il est néanmoins possible que les ?uvres de Platon
aient eu un attrait spécial pour Cosme et que c'est une question qui
demeure ouverte.[7] Dans ce cas, n'y aurait-il pas eu un centre d'intérêt
commun à Cosme et Pléthon, qui aurait pu motiver le soutien de la
traduction, au tournant des années 1460, d'un auteur aussi controversé que
Platon ?
Dans un premier temps, nous examinerons qu'elle a été l'attitude de
Pléthon à Florence pour déterminer, dans un deuxième temps, où pouvait se
situer la véritable convergence d'intérêts entre Cosme et Pléthon.
Au début du XVe siècle, la capitale de l'Empire byzantin se trouvait
continuellement sous la menace d'une invasion turque. C'était dans l'espoir
d'obtenir du secours de l'Occident latin, que l'empereur Jean VIII
Paléologue, poursuivant la politique de rapprochement préconisée par son
père Manuel II, menait de longues négociations avec la papauté d'une part
et avec le concile de Bâle de l'autre. D'après le témoignage de Sylvestre
Syropoulos, vers 1426 Jean VIII avait demandé à Gémiste son avis sur
l'utilité pour les Byzantins d'aller en Italie à un concile d'union des
Églises, mais le savant ne s'était pas montré favorable à un tel projet.[8]
Pourtant, quelques années plus tard celui-ci accepta de participer, comme
conseiller laïc, aux travaux du concile de Ferrare-Florence.
Les Grecs continuent à cette époque à se considérer comme l'Empire
universel des Romains[9] alors que le territoire byzantin, se réduit
désormais à quelques places fortes séparées les unes des autres.[10] De
l'autre côté, le pape Eugène IV qui risque d'être déposé par le concile de
Bâle,[11] ne peut se permettre aucune concession doctrinale. Comment donc
réaliser l'union des Églises qui permettrait d'obtenir des Latins une
croisade contre les Ottomans ?
Les Grecs enseignent que l'Esprit Saint procède du Père, tandis que les
Latins affirment qu'il procède du Père et du Fils (Filioque). Les Grecs
demandent tout d'abord aux Latins de supprimer l'addition des mots Filioque
au Credo : l'argument qu'ils invoquent à Ferrare est l'exigence de fidélité
à la tradition conciliaire. Pléthon fait valoir lors de la troisième
session du concile de Ferrare, que si le Filioque était présent dans les
décrets des conciles ?cuméniques, Thomas d'Aquin n'aurait pas utilisé
« tous ces arguments et syllogismes » pour démontrer l'opportunité de
l'addition du Filioque par les Latins ; il aurait suffi de montrer que la
formule se trouvait anciennement dans le Symbole.[12] C'est alors que les
Latins utilisent les arguments de Thomas d'Aquin[13] pour prouver que le
Filioque ne constitue pas une addition, mais un développement de la
doctrine. Les Grecs sont donc finalement contraints d'accepter de débattre
de la doctrine proprement dite.[14]
Selon Marc d'Éphèse, que Pléthon soutient (Marc d'ailleurs est son ancien
élève), si l'Esprit procède du Père et du Fils, le premier principe ne peut
plus être unique, et les Latins introduisent, même s'ils refusent de
l'admettre, deux « causes » et deux « principes d'origine » dans la
Trinité, ce qui compromet la monarchie du Père.[15] Contrairement à ce que
l'on pourrait croire, Pléthon ne fait pas preuve ici de duplicité en
soutenant les orthodoxes radicaux. En effet, pour sa part, il est attaché à
l'idée traditionnelle hellénique (liée à une interprétation de la Lettre II
312 e, attribuée à Platon) d'une stricte hiérarchie, interne au monde
divin. Pour quelle raison ? Dans la tradition byzantine, la hiérarchie du
monde divin doit servir de modèle au monde politique humain. Or Pléthon a
pour sa part un projet politique qui consiste d'abord en une restauration
de la hiérarchie dont la partie théologique du Traité des lois fournit le
modèle. Donc la théologie latine lui paraît plus erronée que la théologie
grecque, puisqu'elle éloigne encore davantage le christianisme de
l'hellénisme qui n'admettrait pas l'égalité des personnes divines.
Mais à Florence, dès que les débats s'engagent sur la doctrine elle-même,
les disputes sans fin ne semblent pouvoir aboutir à aucun accord.[16] Selon
Sylvestre Syropoulos, les Latins, feraient preuve d'une humeur
« sophistique et querelleuse ».[17] (« Les Latins sont gens querelleurs et
absolument impossibles à convaincre [...] là où les nôtres ont fourni tant
de preuves irréfutables auxquelles ils n'ont rien à opposer de solide, les
Latins enfilent néanmoins réponses sur réponses et, les donnant pour
preuves, vont publiant : Nous l'avons faite la preuve [...] ».)[18] Entre
les Grecs eux-mêmes, des discussions s'engagent aussi à l'infini,[19] les
uns étant partisans de l'addition, éventuellement sous une forme plus
conforme à l'expression des pères Grecs (l'Esprit procéderait du Père par
(dia) le Fils », les autres la refusant, tel Pléthon qui soutient Marc
d'Éphèse.[20] Thomas d'Aquin fournit une mine d'arguments utilisables par
les Grecs comme par les Latins, mais aucun des deux camps ne peut parvenir
à l'emporter sur l'autre. La méthode syllogistique n'aboutit qu'à
l'éristique. La référence appuyée à l'autorité aristotélicienne est
dénoncée par certains prélats. Ainsi, Isidore de Kiev déplore l'utilisation
fréquente du syllogisme par les Latins car elle rendrait le schisme plus
profond et le désaccord plus important et plus fort.[21] Aristote est
désormais retourné comme une arme contre les Grecs qui se considéraient
comme les gardiens d'une tradition théologique authentique. Pourtant,
Aristote lui-même n'appartient-il pas d'abord au patrimoine grec et ne se
rattache-t-il pas à la tradition de sagesse hellénique ?
Alors, pour des raisons politiques, l'empereur demande aux Grecs, de
chercher un « autre moyen de faire l'union ».[22] Pléthon, pour sa part,
cherche « le moyen d'agir utilement d'autre manière ».[23] L'Aristote
logicien lui apparaissant comme un obstacle à l'union, il va dénoncer, mais
en marge du concile, la sophistique d'origine aristotélicienne, et tenter
de dégager Aristote du christianisme (notamment en critiquant sa conception
de Dieu et de l'âme), pour permettre d'envisager une union beaucoup plus
large et fondée à nouveau sur une tradition mais supposée de très haute
Antiquité et universellement reconnue. Non seulement la chris