Chapitre 3 : Sortir de l'entreprise capitaliste - Espaces Marx

Mais ce thème, porté par les mouvements sociaux de cette période, dépasse les
frontières ... Pour comprendre sur un mode plus concret la réalisation de l'idée ....
Le rôle de l'environnement institutionnel et des logiques collectives dans le ......
Système Interactif d'Aide à la Conduite) est en mesure d'optimiser la qualité du ...

Part of the document


Chapitre 3 : Sortir de l'entreprise capitaliste
Le dépassement de l'entreprise capitaliste est indissociablement un enjeu
intellectuel et politique qui appelle une grande rigueur dans sa mise en
oeuvre. Il doit tenir compte en effet des forces et des faiblesses des
différents héritages du passé. Des tentatives d'organisations alternatives
ont été mises en place par les travailleurs depuis le XIXe siècle pour
disposer d'un plus grand contrôle sur la manière de produire et de
s'impliquer dans le travail. Mais l'existence des entreprises, des PME
jusqu'aux grandes sociétés de capitaux est liée à un ordre économique,
social et politique fondé sur le droit de propriété s'adossant aux
pouvoirs des États et sur la « libre concurrence » des marchés. Les
tentatives de sortie de l'entreprise capitaliste se sont toujours heurtées
à l'hostilité des forces économiques et sociales portées par les catégories
dominantes (bourgeoisies industrielles et financières, managers...) qui ont
freiné, détruit ou marginalisé ces expériences alternatives.
Les expériences du passé, plus ou moins anciennes, peuvent nous aider à
évaluer la portée des nouveaux projets à construire. Les « Conseils
ouvriers », les mouvements pour l'autogestion, les coopératives de
production (SCOP), mais aussi les entreprises socialement responsables
(RSE) sont autant de cas à étudier même si ces expériences n'ont pas toutes
les mêmes ambitions de transformation sociale. L'actionnariat salarié en
revanche, qui prétend associer les salariés au fonctionnement de
l'entreprise ne relève pas de la même démarche et conduit comme nous le
verrons à reproduire les schémas de l'entreprise néo-libérale.
Un certain nombre de salariés, voire d'entrepreneurs, sont depuis longtemps
à la recherche des meilleures combinaisons productives pour gérer autrement
leur entreprise en conciliant efficacité économique, partage des résultats
et des processus de décision. Leur expérience et les conditions de leur
succès devront être également interprétées afin d'examiner comment il est
possible de les prolonger vers des voies encore plus prometteuses pour
l'immense majorité des salariés et des citoyens.
Les entreprises que nous appelons de nos v?ux seront toujours immergées
dans des règles juridiques propres aux systèmes économiques et politiques
qui prévaudront demain ou après demain. L'enjeu est donc de ne pas les
enfermer dans un espace trop restreint mais au contraire de les inscrire
dans un projet crédible de maîtrise du développement social d'ensemble.
De plus, il faudra être en mesure de penser à la fois des formes plus
démocratiques d'organisation des pouvoirs sans jamais les dissocier de la
recherche d'une nouvelle efficacité économique et sociale au bénéfice de
toutes les populations. La « rentabilité financière » n'est pas la seule
logique qui doive impérativement dominer toutes les autres dans la mesure
où aucun arbitrage conscient n'a jamais été opéré dans ce sens par les
régimes démocratiques. C'est dire qu'il nous parait peu réaliste de passer
directement de l'entreprise néo-libérale à « l'entreprise
autogestionnaire » par exemple sans mesurer ni préparer les transitions et
les étapes nécessaires à franchir.
Après avoir examiné les tentatives d'organisations productives alternatives
à l'entreprise capitaliste dans l'histoire, nous rappellerons ce que sont
les règles économiques qui structurent et qui cloisonnent l'entreprise
aujourd'hui (productivité, compétitivité, rentabilité, flux tendu) en
montrant comment certaines luttes sociales peuvent cependant contribuer à
faire bouger ces cloisonnements. Nous définirons ensuite les axes
principaux de ce que pourrait être une « nouvelle conception de
l'entreprise » qui s'appuiera sur la distinction entre les notions
« d'entreprise » et de « société » avant de nous engager sur le thème du
« contrôle citoyen de l'entreprise ».
L'axe principal de notre réflexion consistera à dévoiler la confusion
largement partagée entre l'entité productrice de biens et de services
qu'est « l'entreprise » et l'entité juridique incarnée par la « société »
afin de proposer des pistes pour sortir de cette firme néo-libérale dans
laquelle précisément les deux entités sont confondues. En effet, pour le
droit, l' « entreprise » n'existe pas car seule est reconnue juridiquement
la « société » portée par les actionnaires, les propriétaires et tous ceux
qui ont pour mandat de les représenter dans la chaîne hiérarchique en
particulier les managers salariés. Face au poids institutionnel de ces
acteurs et à leur système de pensée de plus en plus « hégémonique » qui
s'incarne dans des institutions financières nationales et internationales,
le mouvement social et syndical reste encore en position de faiblesse. Il
devra donc faire activement pression sur « le politique » afin de proposer
d'autres règles de pilotage de l'entreprise. Seules ces nouvelles règles,
comme nous le montrerons, seront susceptibles de valoriser le travail et la
production des richesses au bénéfice du plus grand nombre dans le cadre
d'une organisation des pouvoirs plus « démocratique ».
1 - Les tentatives d'auto-organisation dans la production et dans le
travail comme alternatives aux firmes capitalistes.
Depuis la Commune de Paris jusqu'au XXe siècle, les crises économiques et
sociales ont entraîné des périodes d'effervescences politiques quasiment
révolutionnaires qui ont conduit parfois le monde ouvrier à mettre en place
des formes démocratiques d'auto-organisation populaire. Ces dernières
remettaient en question l'organisation de la production et du travail
caractéristique des entreprises capitalistes. Il s'agissait de formes
d'organisation plus ou moins transitoires de travailleurs sur leurs lieux
de travail et plus largement sur des unités de territoire englobant le
travail, l'usine et l'entreprise. L'objectif était de contrôler les
conditions de la production mais également et plus largement les conditions
de travail et de vie.
Le terme de « Conseil » a été alors employé pour caractériser des réalités
très diverses à partir des années 1918-1920. Les soviets russes, le
Rätesystem allemand ou les shop steward comitees en Grande-Bretagne ont pu
s'en réclamer. Mais ce sont surtout les Conseils d'usine de Turin en 1920,
les Conseils d'ouvriers d'Autriche en 1918 et 1919, la République des
Conseils de Hongrie en 1919 ou la République des Conseils de Bavière en
1919 qui ont donné tout leur sens à ces formes d'organisation qui
regroupaient l'ensemble des ouvriers d'un atelier ou d'une usine.
L'expérience des Conseils n'a chaque fois duré que quelques mois. Elle n'a
pu s'élargir au point de construire de nouvelles règles économiques et
politiques pour le gouvernement d'un pays et d'une nation. Le non
aboutissement des révolutions européennes a marqué également l'échec du
mouvement « conseilliste ».
Pour Max Adler, l'un des principaux animateurs des Conseils ouvriers
d'Autriche en 1919, le Conseil est la forme la plus efficace et la plus
opérationnelle de la lutte des classes mais elle n'est pas destinée à
devenir la forme par excellence d'organisation préfigurant le socialisme.
Pour le théoricien Antonio Gramsci, au contraire, les Conseils représentent
un modèle d'organisation de la démocratie qui devra contribuer à modeler
l'État socialiste en construction. Dans cette perspective, ces Conseils
d'usine sont la base non corporatiste et non purement représentative de
l'État ouvrier. Ils permettent le contrôle de la production et sont les
fondements d'un nouvel État et d'une nouvelle économie populaire.
Dans l'histoire du mouvement ouvrier, le Conseil est une référence
symbolique forte pour l'auto-organisation de la classe ouvrière. C'est la
forme véritable de la démocratie directe alors que les soviets russes ont
été assez rapidement déconsidérés par une partie du mouvement ouvrier. Rosa
Luxemburg le souligne clairement dans ses écrits politiques :
« A la place des institutions représentatives issues d'élections populaires
générales, Lénine et Trotski ont imposé les soviets comme la seule
représentation véritable des masses laborieuses. Mais si on étouffe la vie
politique dans le pays, la paralysie gagne obligatoirement la vie dans les
soviets » (Luxemburg, 1971, p. 85).
Pour les marxistes des Conseils, le stalinisme et la social-démocratie ont
été universellement discrédités et certains de ceux qui ont succédé aux
grands théoriciens de ce courant (Karl Korsh, Paul Mattick, Anton
Pannekoek) ont cru voir dans les mouvements de révolte qui se sont exprimés
à Berlin-Est en 1953 ou en Hongrie en 1956 les conditions de possibilité
d'un renouveau.
L'un des militants et théoriciens les plus conséquent de ce courant marxien
avait défini un projet ambitieux pour produire et travailler autrement dans
une société nouvelle :
« En ce qui concerne le cadre organisationnel de la société nouvelle, [les
groupes communistes de conseils] mettent en avant l'idée d'une organisation
de Conseils ayant pour base l'industrie et le processus de production, et
de l'adoption du temps de travail moyen comme instrument pour mesurer la
production, la reproduction et la distribution, pour autant qu'un tel
instrument est indispensable à garantir l'égalité économique dans le cadre
de la division du travail actuelle. Cette société, telle est la conviction
de ces groupes, sera en état de planifier la production en fonction des
besoins et des désirs de la population