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[9] Mécanique quantique : Cours et exercices corrigés, Yves Ayant Elie Belorizky
3eme édition, Dunod. Etablissement ... Gaz moléculaires : effets des vibrations,
des rotations, de l'excitation électronique des molécules ..... Effet Compton.

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in Mataix, Carmen y Rivadulla, Andrés (eds.), Física cuántica y
realidad. Quantum physics and reality, Editorial Complutense, Madrid,
2002, p. 97-134. La physique quantique ou l'entraînement de la pensée physique par les
formes mathématiques
MICHEL PATY*
CNRS ET UNIVERSITÉ PARIS 7
Résumé. La physique quantique ou l'entraînement de la pensée physique
par les formes mathématiques.
On développe l'idée selon laquelle, depuis l'hypothèse de la
quantification des échanges d'énergie par Planck, jusqu'à
l'élaboration de la mécanique quantique, ainsi, d'ailleurs, que dans
les développements ultérieurs de la physique du domaine quantique, la
mise au jour de relations mathématiques a permis à la connaissance
physique de pénétrer dans le monde atomique et subatomique qui
échappait à la connaissance sensible. Ces relations se sont avérées
correspondre à des traits physiques caractéristiques des phénomènes
quantiques. Longtemps le statut épistémologique de ces relations a
fait problème, immergé dans les considérations "physico-
philosophiques" sur l'"interprétation". Le cas n'est pourtant pas si
radicalement nouveau, si l'on se rappelle de phases précédentes de
l'utilisation de grandeurs mathématiques comme "outil de pensée" pour
la théorie physique, par exemple en mécanique classique, en
électromagnétisme, en thermodynamique. Les justifications de cette
utilisation étaient liées à diverses "interprétations" de la portée
physique des relations mathématiques. A tout bien considérer, il n'en
va pas autrement avec la formulation apparemment abstraite de la
mécanique quantique. Si tel est bien le cas, le problème de
l'interprétation est ramené au statut épistémologique des grandeurs
quantiques servant à décrire les systèmes physiques. Or, précisément,
la compréhension actuelle de la physique quantique amène naturellement
à considérer les grandeurs théoriques, sous leur forme mathématique,
comme des représentations "directes" des systèmes physiques dans le
domaine quantique. Il reste à évaluer ce que cela entraîne comme
changements (et simplifications) sur les problèmes d'interprétation.
1. Introduction.
1.1. Je dois commencer par donner une définition de ce que j'entends
par «entraînement de la pensée physique par les formes mathématiques »,
d'une manière générale. A partir du moment où un «outil mathématique»
est choisi ou inventé pour exprimer un concept physique (par exemple,
les fluxions ou les différentielles pour exprimer les grandeurs
physiques de la mécanique classique), il se produit un effet
d'entraînement de cet «outil» sur la connaissance des objets auxquels
on l'applique : c'est ainsi que la physique toute entière s'est peu à
peu constituée par la description analytique (celle du calcul
différentiel et intégral), autour de principes physiques propres à
chaque domaine de phénomènes. Généralement, cet effet de la mise en
forme mathématique, analytique en l'occurrence, est conçu parallèlement
à une conceptualisation physique : il y a un accord selon notre
intuition, notre intellection, entre la formalisation mathématique et
notre pensée des grandeurs physiques, c'est-à-dire ce que nous
concevons comme le contenu physique de ces grandeurs. On peut dire que,
dès que la théorie a trouvé sa formulation, la forme même donne le
contenu, qu'elle comprend, puisqu'elle a été constituée pour exprimer
ce contenu physique.
Cela est vrai depuis l'introduction de l'analyse (au sens du
calcul différentiel et intégral) en physique avec la mécanique
classique, qui n'a pu s'étendre aux systèmes matériels les plus divers,
des solides aux fluides et aux corps célestes, que grâce à cet usage de
l'analyse, en particulier des équations aux dérivées partielles.
D'Alembert faisait déjà remarquer au xviii è siècle, en créant les
conditions du traitement analytique de l'hydrodynamique et de la
physique des milieux continus, que «c'est avec le secours seul de ces
calculs qu'il est permis de pénétrer dans les Fluides, qui sont
constitués d'atomes innombrables, et dont «le mécanisme intérieur (...)
[est] si peu analogue à celui des corps solides que nous touchons et
sujet à des lois toutes différentes»[1]. Sans cette mathématisation
leurs propriétés nous demeureraient cachées. Il nous semble
rétrospectivement, que cet accord s'effectue sans problème,
harmonieusement, mais l'histoire effective en est plus compliquée. Le
point matériel, le temps instantané, entités singulières, et l'élément
différentiel, qui exprime la continuité, n'ont pas été de découverte ni
d'assimilation immédiates.
La physique quantique a semblé à ses fondateurs et à leurs
contemporains, et nous semble souvent encore, rompre avec ce qui est
généralement pensé comme caractéristique de la physique (du moins
jusqu'à elle), à savoir que l'expression formelle (ou mathématisée,
c'est-à-dire considérée sous sa forme mathématique) et le contenu
conceptuel et physique vont de pair. La simple évocation de quelques
exemples relativement bien connus, pris dans la physique pré-quantique
mais parmi les plus abstraits quant à la formalisation, feront voir ce
dont il s'agit. Un premier est le principe de moindre action depuis sa
formulation hamiltonienne en termes de calcul variationnel, qui donne
immédiatement les équations du mouvement ou d'évolution, en mécanique,
en électromagnétisme, en théorie de la relativité restreinte et
générale. Un second exemple est la condition de covariance de la
relativité restreinte utilisée pour exprimer la bonne forme du
lagrangien d'un type d'interaction donné (la première mise en ?uvre de
cette condition est due à Poincaré, en 1905, pour modifier la loi
newtonienne de l'attraction gravitationnelle afin de la rendre
relativiste au sens restreint)[2].
Un autre encore est la manière par laquelle Einstein est entré
dans la voie de la solution au problème de la relativité générale, en
considérant, d'une part, le principe d'équivalence entre un champ
gravitationnel homogène et un mouvement uniformément accéléré et,
d'autre part, le principe de relativité généralisé à tous les
mouvements. Travaillant avec la formulation de l'espace-temps de
Minkowski à quatre dimensions, il abandonna (provisoirement) la
signification physique des coordonnées et des distances, des temps et
des durées, pour laisser libre cours au traitement mathématique,
suivant sa logique propre, sans limitations de caractère physique pour
les grandeurs (les distances n'avaient plus à être euclidiennes et
rigides, les durées n'avaient plus à «couler uniformément» comme le
voulait Newton). Il obtint à la fin les équations de la relativité
générale et, avec elles, la nouvelle signification physique des
grandeurs, qui portaient, dans leur forme mathématique, la métrique non
euclidienne donnée par les champs de gravitation.
Je me propose, dans ce qui suit, de développer la thèse
suivante : la physique quantique, dans son développement jusqu'à ses
problèmes d'interprétation, peut être également considérée, de manière
analogue aux exemples que nous venons d'évoquer, comme un cas
d'entraînement de la pensée physique par la forme mathématique. Cet
aspect, d'une manière générale, n'est pas pris en considération dans
les débats sur l'interprétation de la mécanique quantique. Si pourtant,
on l'envisageait de cette manière, tout en respectant ses
particularités propres (car il présente des différences avec les trois
situations rappelées plus haut), il se pourrait bien que les termes du
débat sur l'interprétation s'en trouvent substantiellement modifiés. 1.2. Faisons maintenant, en contrepoint à ce qui précède, une autre
remarque, cette fois-ci sur la manière par laquelle les physiciens
d'aujourd'hui conçoivent et se représentent, «intuitivement» pour ainsi
dire, les systèmes physiques dont ils traitent.
Si l'on demande à un physicien quantique d'aujourd'hui comment il
décrit les systèmes quantiques avec lesquels il travaille, et comment
il pense ces systèmes, il répondra immédiatement dans les termes de la
théorie quantique, dans les termes de son «formalisme», comme on dit,
qui sont ceux de la mécanique quantique (prolongée dans la théorie
quantique des champs). Il parlera de ce système (atomes, particules,
rayonnement...) tel qu'il est décrit de manière théorique par son
vecteur d'état, défini sur un «espace de Hilbert», et déterminé par les
variables dynamiques, qui sont représentées par des opérateurs
hermitiques agissant sur ce vecteur d'état. Nous reviendrons plus loin
sur ces représentations pour des cas de phénomènes, très éloignés des
représentations intuitives et classiques, qui ont été mis récemment en
évidence du point de vue expérimental (condensation de Bose,
refroidissement d'un atome, diffraction d'un électron ou photon unique,
etc.). Il suffit pour l'instant de penser à un système quantique
quelconque, atome, noyau, particule élémentaire : les physiciens
pensent les systèmes quantiques à travers leur représentation
théorique, dite «formelle», et, en vérité, ils n'ont pas d'autre moyen
de les penser.
Ils les pensent, certes, en fonction des phénomènes par lesquels
ces systèmes se manifestent, décrits à l'aide des variables dynamiques
(par exemple, le spin (J) et l'une de ses trois composantes