Khâgne 2019-2020

Puis il s'agira de montrer en quoi l'analyse de ces propriétés comparées posent
des ..... de nous dans l'idée hippocratique d'un régime portant sur les aliments, l'
exercice physique ...... Mais on voit comment, l'élément démocratique de la
dialectique corrige ..... Eléments d'histoire des sciences, Paris, Larousse-Bordas,
1997.

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Khâgne 2019-2020





Introduction générale du cours sur la science[1]





Le plus simple ici pour introduire aux enjeux philosophiques de la
science comme type de connaissance et de construction intellectuelle, comme
type de discours et comme type de pratique sociale est de partir de ses
propriétés comparées ou de sa valeur relative par rapport au mythe et par
rapport à la connaissance ordinaire, sur la base d'exemples historiques[2].
Les questions portant sur la valeur cognitive de la science[3], sa valeur
morale, esthétique ou politique s'éclairent ainsi d'exemples historiques.
Pour des raisons de simplicité intellectuelle et de familiarité
culturelle le plus simple est de partir de trois exemples grecs et de trois
exemples modernes : naissance de la science de la nature ; de la biologie
du corps humain ou de la médecine ; de la science historique dans le monde
antique (I) ; naissance de la physique moderne ; établissement du standard
scientifique de la biologie moderne ; et un exemple de science humaine
moderne (II)[4]. Puis il s'agira de montrer en quoi l'analyse de ces
propriétés comparées posent des problèmes philosophiques : tout ce qui
viendra d'être dit et décrit apparaîtra comme problématique, sujet à
caution et lieux d'alternatives philosophiques fortes (III).

I. La science et ses propriétés comparées par rapport au mythe et à la
connaissance ordinaire : analyse de trois exemples grecs.
Les historiens des sciences attribuent aux milésiens du VIe siècle
av.J.C.[5] l'invention historique d'un discours de type « scientifique »
sur la nature. Un discours qui fait rupture avec le discours mythique sur
la nature illustré par Homère et Hésiode mais aussi avec la connaissance
ordinaire. La révolution hippocratique et la révolution du discours
historique, au Ve siècle, qui sont les deux exemples suivants, s'inscrivent
dans les suites de cette révolution milésienne. L'ordre chronologique ici a
donc aussi un sens du point de vue de l'histoire des sciences. Il nous
indique le cours d'une révolution intellectuelle dont la philosophie va
être à la fois l'effet et le lieu privilégié d'élaboration conceptuelle.


A. Genèse de la science de la nature : Anaximandre

Pour comprendre ce qui se joue là, à ce moment de l'aurore de la
science chez les physiciens de Milet, il faut faire un exercice de
comparaison avec le mythe sur les quatre plans suivants : celui de la
construction intellectuelle à la fois (1) du côté de l'objet (qu'est-ce
qu'un objet scientifique, comme se distingue-t-il de l'objet perçu et quel
rapport y-a-t-il entre les deux ?) mais aussi (2) du sujet (quelles sont
les opérations et les facultés engagées dans cette construction
intellectuelle ?), puis (3) du discours (comment se signale la science du
point de vue du langage ?), et, enfin (4) de la pratique sociale (à quoi
jouent les hommes quand ils font de la science ? Et que peut-on faire de la
science ?[6]). Car, en effet, toute science produit un modèle de son objet,
production qui suppose un certain travail de nos facultés intellectuelles,
une mobilisation tout à fait singulière du langage et, enfin des formes de
coopération sociale spécifiques liées, d'une part à l'élaboration du
discours, et, d'autre part, aux usages sociaux de ce discours et de cette
connaissance. Nous répèterons ces quatre axes pour les six exemples du
cours.
Partons d'un fragment doxographique ayant pour objet respectivement la
doctrine supposée d'Anaximandre[7] :


« Les vents sont engendrés par la discrimination de l'air et de ses
vapeurs les plus légères, et leur condensation produit leur mouvement ; la
pluie vient de la buée que le Soleil fait sourdre de la terre. Les éclairs
se produisent lorsque le vent déchire les nuages en les frappant. »
Hyppolyte Réfutations de toutes les
hérésies, I, 6[8]


Il faudra donc le comparer d'une part avec le récit mythique par
exemple celui d'une pluie dans l'Odyssée qui intervient à tel ou tel moment
de la narration, mais aussi avec la connaissance ordinaire, dont nous
pouvons produire un fragment de discours par hypothèse ou fiction :
« lorsque le ciel s'assombrit il est probable qu'il pleuve. » Procédons
donc à l'analyse et à la comparaison selon les quatre axes prévus.
A.1. Du point de vue de l'objet on peut distinguer cinq
caractéristiques qui distinguent ce discours scientifique naissant d'avec
celui du mythe, puis d'avec celui de la connaissance ordinaire.
1. Tout d'abord vent, pluie et éclairs sont expliqués comme phénomènes
généraux et non pas singuliers ; il s'agit du vent, de la pluie et des
éclairs et non de tel vent, telle pluie, tel éclair dans le fil d'une
histoire singulière.
2. Ce plan de la généralité est invisible, imperceptible car nous ne
voyons nous ne percevons que telle pluie, tel vent et non le vent ou la
pluie. Mais on suppose que le particulier est partout identique dans ses
caractéristiques fondamentales ou essentielles. Ce qui veut dire que le
niveau de la généralité est invisible mais aussi simplifié parce que l'on
ne s'attache qu'à ce qui compte. Nous percevons des pluies, des vents
etc.qui ont des dimensions infiniment variées dans des circonstances elles-
mêmes infiniment variées, mais nous expliquons scientifiquement la pluie,
le vent etc. sous une forme générale et suffisamment simplifiée. Il y a
donc un rapport à l'invisible très spécifique, limité et contrôlé. Dans le
mythe l'invisible est beaucoup plus vaste : les dieux, leurs réactions,
leurs intentions, leurs scènes de ménages etc. sont invisibles aussi, mais
d'une manière à la fois beaucoup plus colorée mais aussi bien entendu
variable d'une tradition mythique à l'autre (ici on a exemple grec mais on
peut imaginer beaucoup d'autres dieux) et donc distante.
3. Vent, pluie et éclairs sont expliqués pour eux-mêmes, de manière
séparée de l'ensemble des autres éléments ou selon des séparations strictes
alors que l'explication mythique dans le récit est englobante : l'état des
sols (par exemple fertile ou non), l'état de la mer (tempête ou calme),
l'état des dieux (en colère ou contents) ou des hommes par exemple sont
renvoyés les uns autres, au gré de la dynamique du récit qui établit des
liens entre tel état du cosmos, telle conduite des hommes et telle volonté
des dieux. La science isole la classe des phénomènes à expliquer alors que
le mythe joint des phénomènes très hétérogènes.
4. Vent, pluie et éclairs sont inscrits dans un tissu causal matériel.
Dans le mythe certaines causes matérielles peuvent être combinées à des
causes psychologiques (la colère du dieu) ou politique (les relations
hiérarchiques entre dieux) ou autres. Ce trait renvoie au précédent : la
science isole pour tenter une hypothèse causal, le mythe joint pour faire
progresser la dynamique des liens multiples entre les hommes, les dieux et
le cosmos.
5. Ce tissu causal suppose un postulat d'homogénéité, celui de
l'homogénéité causale dans le temps et dans l'espace : les vents d'hier et
de demain, d'ici et de là bas sont causés par les mêmes causes, qui
produisent donc les mêmes effets. On rejoint par ce postulat la
généralité évoquée au premier point: on se situe sur le plan général de
l'explication où ce qui va être dit est supposément valable ici et
ailleurs, maintenant hier et demain. A l'inverse dans le mythe il y a une
hétérogénéité causale sans laquelle il ne peut y avoir de dramaturgie du
mythe : telle vent, telle pluie peut être le fruit de telle ou telle cause,
au gré des interactions entre les hommes et les dieux.
Ces cinq propriétés de l'objet scientifique (généralité ; rapport
indirect et continu à la perception ; séparation ; tissu causal matériel ;
postulat d'homogénéité) sont, comme on le voit intimement liées entre elles
exactement comme les propriétés comparées de la réalité pris en charge par
le mythe sont intimement liées entre elles (singularité ; invisibilité des
forces ou des causes essentielles ; mélange des types de causes ; postulat
d'hétérogénéité causale).
Si on compare, maintenant, avec la connaissance ordinaire les choses
sont moins saillantes, en grande partie parce que l'on n'a pas ici quelque
chose de très élaboré sur un plan scientifique, comme on le verra plus tard
avec les lois de la physique moderne, qui, pour leur part, portent la
marque d'une différence très nette avec la connaissance ordinaire.
La connaissance ordinaire (catégorie aux contours incertains que nous
utilisons ici un peu comme un idéal type voire une convention[9]) allie la
perception et l'expérience ; elle s'en tient à des régularités attendues
induites par observation et habitudes, et donc la pluie, l'éclair etc.
s'inscrivent dans des fréquences et donc des attentes de régularités. On se
hisse au plan de la généralité mais sans vouloir produire une hypothèse
causale générale en tant que telle. La connaissance ordinaire se distingue
de la connaissance scientifique par le fait qu'elle ne repose pas non plus
sur un postulat d'homogénéité causale fort et explicite qui motive le
discours scientifique général.
A.2 Du point de vue du sujet qui saisit l'objet et le construit on
peut distinguer aussi les facultés intellectuelles et les vertus engagées
dans la science. Elles correspondent à celles évoquées du côté de l'objet.
1. Il y a abstraction par rapport à la perception immédiate, puisqu'il
faut construire le plan de la généralité et donc