Mémoire pour le Diplôme d'Etat d'Educateur Spécialisé - HAL-SHS

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Mémoire pour le Diplôme d'Etat d'Educateur Spécialisé
IMF - Institut Méditerranéen de Formation et de Recherche en Travail Social
16 rue Ferdinand Rey - 13244 MARSEILLE Cedex 1




Fragments éducatifs du bas de l'immeuble
Recherche qualitative sur les lieux et pratiques de la prévention
spécialisée
dans une cité HLM classée ZUS

daniel maffiolo


2006




Une Nation qui tolère des quartiers de taudis, les égouts à ciel ouvert,
les classes surpeuplées, et qui ose châtier les jeunes délinquants, me fait
penser à cette vieille ivrognesse qui vomissait sur ses gosses à longueur
de semaine et giflait le plus petit, par hasard, un dimanche, parce qu'il
avait bavé sur son tablier.
Fernand Deligny Graine de crapule (1943-1945 : 41)



Il fallait bien que cette souffrance et ce grouillement humain des
quartiers de bordure nous donnent un jour ou l'autre ces vagabonds sociaux
à la recherche (non plus dans l'espace, mais là même où ils sont nés) d'un
mode de vie plus honnête, à la recherche, si l'on veut, d'une morale qui ne
soit pas empuantie des préjugés crevés sous les éboulis d'une structure
sociale qui s'effondre.
Les plus conscients d'entre eux en sont quelquefois fébriles.
Fernand Deligny Les vagabonds efficaces (1947 : 213)

Pour introduire

Le véritable lieu urbain est celui qui nous modifie, nous ne serons plus en
le quittant celui que nous étions en y pénétrant.
Pierre Sansot Poétique de la ville 1996 : 52


Ce travail s'interroge sur les lieux et les pratiques de la prévention
spécialisée. Il prend appui sur une expérience éducative de 7 mois dans un
des secteurs de la Cité Berthe, Zone Urbaine Sensible n°561, au nord de La
Seyne-sur-Mer.

Comme les enfants et les adolescents auprès de qui j'ai travaillé, je suis
né dans cette ville. J'y ai moi aussi grandi dans un quartier HLM, à La
Rouve, aujourd'hui également classé en zone urbaine sensible. Mais c'était
un autre temps, les années 70.
En ce temps-là, il n'existait pas encore de chômage de masse, ni de Zone
Urbaine Sensible ou de RMI. Ma femme grandissait au Floréal E7 à Berthe. Et
moi, avec mes frères et les copains du quartier, je jouais au foot, aux
patins à roulettes, ou au skate, au bas de l'immeuble, ou dans les
broussailles du petit bois d'en face.
C'était un quartier populaire, d'ouvriers et d'employés, avec beaucoup
d'enfants et petits enfants d'immigrés Espagnols ou Italiens comme moi, et
des enfants d'immigrés Algériens, Tunisiens, Marocains. On allait tous
ensemble à la même école primaire du quartier. Plus tard, à l'adolescence,
comme tous les autres, je suis allé au collège du centre-ville. Les deux
premières années, j'y allais à vélo, puis à partir de 14 ans avec la mob
d'occasion que m'avait bricolée mon beau-père. Je pouvais sillonner la
ville, retrouver mes potes dans les autres quartiers, dans les bars où nous
nous retrouvions pour faire un baby ou un flipper, et à la plage l'été. À
partir du lycée général, les gars du quartier se sont faits rares, orientés
au lycée professionnel ou en apprentissage. Moi, j'avais fait ma mauvaise
tête en troisième, et refusé d'entrer aux Chantiers Navals comme mon père.
J'ai redoublé, puis le lycée et le bac. À 19 ans, j'allais à la fac à Aix,
en psycho. L'année suivante je m'installai à Toulon avec la fille du
Floréal qui allait devenir ma femme. Ma mère a fini par quitter le quartier
pour Toulon, puis Six-Fours. Mon oncle y vit toujours, dans la maison de
mon grand-père.
Pendant ces années-là, les ouvriers des Chantiers Navals, dont mon père,
ont mené des grèves dures et longues. Mais il y a quand même eu un plan
social et les Chantiers ont fermé. Ils ont été rasés et remplacés par un
terrain vague. Nous sommes revenus vivre à La Seyne, en 1992, pour mon
premier contrat à la fac, jusqu'à la naissance de mon fils en 1995. Nous
avons alors suivi les contrats, et quitté la ville pour Bordeaux, puis
l'année d'après pour Mexico. Au terme du dernier contrat, fin 97, nous
sommes revenus vivre à La Seyne, et avons aménagé dans une HLM du centre-
ville, où ma fille est née, et où j'habite toujours. Les voisins de
l'immeuble s'échangent les nouvelles d'une fenêtre à l'autre et regardent
nos enfants grandir. Le terrain vague était toujours là, à la place des
Chantiers Navals. Le chômage et la misère s'étaient aggravés. En différents
endroits de la ville, des gens vivaient à la rue et mendiaient.
Huit ans après, peu de chose ont changé. Sinon que ma mère est retournée
vivre à La Rouve. Et que le terrain vague des anciens chantiers navals est
devenu en 2006 un beau parc paysager, en marquant la fin définitive d'une
époque de la vie de la ville...

Pendant toute cette période, la cité Berthe s'est paupérisée, plus encore
que le reste de la ville. Aucune structure d'emplois n'est venue prendre la
place des Chantiers Navals, beaucoup de commerce ont fermés. Les familles
qui avaient les moyens de s'installer ailleurs que dans la ZUS en sont
parties. En allant tous les jours travailler sur le quartier Berthe, j'ai
retrouvé des éléments de mon enfance, des trucs du bas de l'immeuble qui
m'étaient doux et familiers. Mais par d'autres aspects, je m'y suis senti
étranger, comme plongé dans un autre monde L'enfermement de l'horizon dans
les tours et les barres qui rendent le reste de la ville invisible.
L'enfermement social d'un quartier dont la proximité des équipements
sociaux conduit les gamins à grandir jusqu'à la fin du collège, voire du
lycée professionnel, sans avoir à le quitter. L'absence généralisée
d'avenir social et professionnel après 20 ans de chômage de masse. La
misère économique qui assigne une partie importante des résidents à vivre
seulement des transferts sociaux. Les capacités de résistance des rats et
des cafards... Pourtant, on va le voir, quand on y pénètre et s'y intègre,
la vie quotidienne du quartier est riche et passionnante au plan social et
culturel. Les familles y sont accueillantes. Et les habitants ont appris à
développer de belles capacités de résistance et de débrouillardise face à
ces difficultés sociales et économiques. Je me suis finalement attaché à ce
lieu urbain, qui fait désormais partie de ma trajectoire intime, comme l'on
été, de manière différente, La Rouve, Bordeaux ou Mexico.

Le travail qui suit est organisé en trois parties. La partie I est
descriptive et documentaire : elle pose le cadre juridique et l'histoire de
la prévention spécialisée, les caractéristiques des ZUS et les missions de
prévention exercées à Berthe par l'APEA. La partie II définit la
problématique et la méthode de recherche adoptée. Enfin, la partie III
expose les observations et analyses de terrain concernant la vie
quotidienne et le travail éducatif de prévention sur le quartier Berthe.
Partie I - Décrire et analyser les espaces :
La prévention spécialisée dans une Cité HLM classée ZUS

La question sociale se pose explicitement sur les marges de la vie sociale,
mais elle "met en question" l'ensemble de la société. Il y a une sorte
d'effet boomerang par lequel les problèmes posés par les populations qui
échouent aux bordures d'une formation sociale font retour vers son centre.
Robert Castel Les métamorphoses de la question sociale 1995 : 30


Cette première partie développe un premier aspect de la recherche, reposant
sur le travail de documentation. Je m'attacherai à y décrire et analyser
les espaces sociaux et institutionnels au sein desquels s'est inscrite ma
pratique d'éducateur spécialisée de prévention. Ces espaces sont ceux d'un
quartier HLM - la Cité Berthe - classé Zone Urbaine Sensible et situé à La
Seyne-sur-Mer, dans le Département du Var. L'association de prévention
spécialisée APEA, dans le cadre de laquelle j'ai exercé ces missions
d'éducateur, travaille depuis plus de 20 ans sur ce quartier où elle a vu
le jour au début des années 80.
Les trois chapitres qui composent cette première partie s'appuient
principalement sur l'étude de différents documents - lois, recherches
historiques, plans et cartes, données statistiques, rapports et documents
d'évaluation de l'association - complétée par l'expérience du terrain.
Le premier chapitre présente le cadre historico-légal spécifique de la
prévention spécialisée : ses missions d'action sociale dans le cadre de la
décentralisation, sa position et son histoire particulière dans le
dispositif national de protection de l'enfance, l'émergence des dispositifs
transversaux des politiques de la ville et du thème de l'insécurité au
tournant des années 80.
Le second chapitre décrit les caractéristiques sociales, géographiques et
économiques générales des Zones Urbaines Sensibles, et celle de la ZUS de
Berthe en particulier.
Enfin, le dernier chapitre décrit la manière dont les missions de
prévention spécialisée de l'APEA s'organise concrètement dans l'espace
spécifique du quartier Berthe à La Seyne.
1. Le cadre historico-juridique de la prévention spécialisée

Les missions des clubs et équipes de prévention spécialisée s'exercent
aujourd'hui dans le cadre des articles L221-1 et L121-2 du Code de l'Action
Sociale et des Familles. La loi confie en effet ces missions aux
Départements au titre de leurs services d'Aide Sociale à l'Enfance, en leur
enjoignant d'organiser "des actions collectives visant à prévenir la
marginalisation et à faciliter l'insertion et la promotion sociale des
jeunes et des familles", notamment des "actions dites de prévention
spécialisée" (art. L221-1). La loi précise que ces actions de prévention
doivent être organisées "auprès des jeunes et des familles en difficulté ou
en rupture avec leur milieu", "dans les zones urbaines sensibles et dans
les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale" (art. L121-
2).

Un dispositif d'action sociale préventif et décentralisé - Les équipes
éducatives de prévention spécialisée exercent leurs activités dans le cadre
de la seconde des cinq missions d'action sociale assignées par la loi de
décentralisation du 6 janvier 1986 aux services départementaux de l'Aide
Sociale à l'Enfa