Séraphita - La Bibliothèque électronique du Québec
Tantôt les chasseurs ou les pêcheurs ont lancé des sapins, en guise de pont,
pour .... par familles, par myriades : ici des bouleaux gracieux comme des jeunes
filles ...... lois dont l'ordre et l'exercice ne seront intervertis par aucune main d'
homme. .... à 1740, sur la minéralogie, la physique, les mathématiques et l'
astronomie, ...
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Honoré de Balzac
Séraphita
[pic]
BeQ
Honoré de Balzac
(1799-1850)
Études philosophiques
Séraphita
La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1095 : version 1.0
Du même auteur, à la Bibliothèque :
Le père Goriot
Eugénie Grandet
La duchesse de Langeais
Gobseck
Le colonel Chabert
Le curé de Tours
La femme de trente ans
La vieille fille
Le médecin de campagne
César Birotteau
Splendeurs et misères des courtisanes
Séraphita
Édition de référence :
Paris, Alexandre Houssiaux, Éditeur, 1855.
À madame Éveline de Hanska,
née comtesse Rzewuska.
Madame, voici l'?uvre que vous m'avez demandée : je suis heureux, en
vous la dédiant de pouvoir vous donner un témoignage de la respectueuse
affection que vous m'avez permis de vous porter. Si je suis accusé
d'impuissance après avoir tenté d'arracher aux profondeurs de la mysticité
ce livre qui, sous la transparence de notre belle langue, voulait les
lumineuses poésies de l'Orient, à vous la faute ! Ne m'avez-vous pas
ordonné cette lutte, semblable à celle de Jacob, en me disant que le plus
imparfait dessin de cette figure par vous rêvée, comme elle le fut par moi
dès l'enfance, serait encore pour vous quelque chose ? Le voici donc, ce
quelque chose. Pourquoi cette ?uvre ne peut-elle appartenir exclusivement à
ces nobles esprits préservés, comme vous l'êtes, des petitesses mondaines
par la solitude ? ceux-là sauraient y imprimer la mélodieuse mesure qui
manque et qui en aurait fait entre les mains d'un de nos poètes la
glorieuse épopée que la France attend encore. Ceux-là l'accepteront de moi
comme une de ces balustrades sculptées par quelque artiste plein de foi, et
sur lesquelles les pèlerins s'appuient pour méditer la fin de l'homme en
contemplant le ch?ur d'une belle église.
Je suis avec respect, Madame, votre dévoué serviteur,
De Balzac.
Paris, 23 août 1835.
I
Séraphîtüs
À voir sur une carte les côtes de la Norvège, quelle imagination ne
serait émerveillée de leurs fantasques découpures, longue dentelle de
granit où mugissent incessamment les flots de la mer du Nord ? qui n'a rêvé
les majestueux spectacles offerts par ces rivages sans grèves par cette
multitude de criques, d'anses, de petites baies dont aucune ne se ressemble
et qui toutes sont des abîmes sans chemins ? Ne dirait-on pas que la nature
s'est plu à dessiner par d'ineffaçables hiéroglyphes le symbole de la vie
norvégienne, en donnant à ces côtes la configuration des arêtes d'un
immense poisson ? car la pêche forme le principal commerce et fournit
presque toute la nourriture de quelques hommes attachés comme une touffe de
lichen à ces arides rochers. Là, sur quatorze degrés de longueur à peine
existe-t-il sept cent mille âmes. Grâce aux périls dénués de gloire, aux
neiges constantes que réservent aux voyageurs ces pics de la Norvège, dont
le nom donne froid déjà, leurs sublimes beautés sont restées vierges et
s'harmonieront aux phénomènes humains, vierges encore pour la poésie du
moins qui s'y sont accomplis et dont voici l'histoire.
Lorsqu'une de ces baies, simple fissure aux yeux des eiders, est assez
ouverte pour que la mer ne gèle pas entièrement dans cette prison de pierre
où elle se débat, les gens du pays nomment ce petit golfe un fiord, mot que
presque tous les géographes ont essayé de naturaliser dans leurs langues
respectives. Malgré la ressemblance qu'ont entre eux ces espèces de canaux,
chacun a sa physionomie particulière : partout la mer est entrée dans leurs
cassures, mais partout les rochers s'y sont diversement fendus, et leurs
tumultueux précipices défient les termes bizarres de la géométrie : ici le
roc s'est dentelé comme une scie, là ses tables trop droites ne souffrent
ni le séjour de la neige, ni les sublimes aigrettes des sapins du nord ;
plus loin, les commotions du globe ont arrondi quelque sinuosité coquette,
belle vallée que meublent par étages des arbres au noir plumage. Vous
seriez tenté de nommer ce pays la Suisse des mers. Entre Drontheim et
Christiania, se trouve une de ces baies, nommée le Stromfiord. Si le
Stromfiord n'est pas le plus beau de ces paysages, il a du moins le mérite
de résumer les magnificences terrestres de la Norvège, et d'avoir servi de
théâtre aux scènes d'une histoire vraiment céleste.
La forme générale du Stromfiord est, au premier aspect, celle d'un
entonnoir ébréché par la mer. Le passage que les flots s'y étaient ouvert
présente à l'?il l'image d'une lutte entre l'Océan et le granit, deux
créations également puissantes : l'une par son inertie, l'autre par sa
mobilité. Pour preuves, quelques écueils de formes fantastiques en
défendent l'entrée aux vaisseaux. Les intrépides enfants de la Norvège
peuvent, en quelques endroits, sauter d'un roc à un autre sans s'étonner
d'un abîme profond de cent toises, large de six pieds. Tantôt un frêle et
chancelant morceau de gneiss, jeté en travers, unit deux rochers. Tantôt
les chasseurs ou les pêcheurs ont lancé des sapins, en guise de pont, pour
joindre les deux quais taillés à pic au fond desquels gronde incessamment
la mer. Ce dangereux goulet se dirige vers la droite par un mouvement de
serpent, y rencontre une montagne élevée de trois cents toises au-dessus du
niveau de la mer, et dont les pieds forment un banc vertical d'une demi-
lieue de longueur, où l'inflexible granit ne commence à se briser, à se
crevasser, à s'onduler, qu'à deux cents pieds environ au-dessus des eaux.
Entrant avec violence, la mer est donc repoussée avec une violence égale
par la force d'inertie de la montagne vers les bords opposés auxquels les
réactions du flot ont imprimé de douces courbures. Le Fiord est fermé dans
le fond par un bloc de gneiss couronné de forêts, d'où tombe en cascades
une rivière qui à la fonte des neiges devient un fleuve, forme une nappe
d'une immense étendue, s'échappe avec fracas en vomissant de vieux sapins
et d'antiques mélèzes, aperçus à peine dans la chute des eaux.
Vigoureusement plongés au fond du golfe, ces arbres reparaissent bientôt à
sa surface, s'y marient, et construisent des îlots qui viennent échouer sur
la rive gauche, où les habitants du petit village assis au bord du
Stromfiord, les retrouvent brisés, fracassés, quelquefois entiers, mais
toujours nus et sans branches. La montagne qui dans le Stromfiord reçoit à
ses pieds les assauts de la mer et à sa cime ceux des vents du nord, se
nomme le Falberg. Sa crête, toujours enveloppée d'un manteau de neige et de
glace, est la plus aiguë de la Norvège, où le voisinage du pôle produit, à
une hauteur de dix-huit cents pieds, un froid égal à celui qui règne sur
les montagnes les plus élevées du globe. La cime de ce rocher, droite vers
la mer, s'abaisse graduellement vers l'est, et se joint aux chutes de la
Sieg par des vallées disposées en gradins sur lesquels le froid ne laisse
venir que des bruyères et des arbres souffrants. La partie du Fiord d'où
s'échappent les eaux, sous les pieds de la forêt, s'appelle le Siegdalhen,
mot qui pourrait être traduit par le versant de la Sieg, nom de la rivière.
La courbure qui fait face aux tables du Falberg est la vallée de Jarvis,
joli paysage dominé par des collines chargées de sapins, de mélèzes, de
bouleaux, de quelques chênes et de hêtres, la plus riche, la mieux colorée
de toutes les tapisseries que la nature du nord a tendues sur ses âpres
rochers. L'?il pouvait facilement y saisir la ligne où les terrains
réchauffés par les rayons solaires commencent à souffrir la culture et
laissent apparaître les végétations de la flore norvégienne. En cet
endroit, le golfe est assez large pour que la mer, refoulée par le Falberg,
vienne expirer en murmurant sur la dernière frange de ces collines, rive
doucement bordée d'un sable fin, parsemé de mica, de paillettes, de jolis
cailloux, de porphyres, de marbres aux mille nuances amenés de la Suède par
les eaux de la rivière, et de débris marins, de coquillages, fleurs de la
mer que poussent les tempêtes, soit du pôle, soit du midi.
Au bas des montagnes de Jarvis se trouve le village composé de deux
cents maisons de bois, où vit une population perdue là, comme dans une
forêt ces ruches d'abeilles qui, sans augmenter ni diminuer, végètent
heureuses, en butinant leur vie au sein d'une sauvage nature. L'existence
anonyme de ce village s'explique facilement. Peu d'hommes avaient la
hardiesse de s'aventurer dans les récifs pour gagner les bords de la mer et
s'y livrer à la pêche que font en grand les Norvégiens sur des côtes moins
dangereuses. Les