Balzac et la digression - Groupe International de Recherches ...

Mais rien, pas même l'exercice de la charité, ne peut distraire une âme où tu
règnes. .... celle de son frère, parce qu'il sait que le père réprime et corrige sans
châtier. ... nature délicate, et qui n'a qu'un rapport indirect avec celle de ton
initiation. ..... uni recouvrait le nivellement ; elle évita un puits profond qui ne se
trahissait à ...

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Balzac et la digression
une nouvelle prose romanesque GROUPE INTERNATIONAL DE RECHERCHES BALZACIENNES Collection Balzac BALZAC et la digression UNE NOUVELLE PROSE ROMANESQUE Aude Déruelle
publié avec le concours
du Centre de Narratologie appliquée
de l'Université de Nice
Collection Balzac
dirigée par Nicole Mozet
sous l'égide du
Groupe international de recherches balzaciennes Cette nouvelle « Collection Balzac » du girb prend la suite de la
« Collection du Bicentenaire », aux éditions sedes, dans laquelle sont
parus Balzac et le style (Anne Herschberg Pierrot éd., 1998) ; Balzac ou la
tentation de l'impossible (Raymond Mahieu et Franc Schuerewegen éd.,
1998) ; Balzac, Le Roman de la communication (par Florence Terrasse-Riou,
2000) ; L'Érotique balzacienne (Lucienne Frappier-Mazur et Jean-Marie
Roulin éd., 2001) ; Balzac dans l'Histoire (Nicole Mozet et Paule Petitier
éd., 2001) ; Balzac peintre de corps (par Régine Borderie, 2002).
Dans la même collection : . Balzac, La Grenadière et autres récits tourangeaux de 1832, édition
établie et présentée par Nicole Mozet, 1999.
. Penser avec Balzac, José-Luis Diaz et Isabelle Tournier éd., 2003. . Ironies balzaciennes, Éric Bordas éd., 2003. . Balzac géographe : territoires, Philippe Dufour et Nicole Mozet
éd., 2004.
. Balzac et la crise des identités, Emmanuelle Cullmann, José-Luis
Diaz et Boris Lyon-Caen éd., à paraître, 2005. Abréviations : CH, pour La Comédie humaine, avec indication du tome et de
la page, Pléiade, 12 vol. ; OD, pour les ?uvres diverses, ibid., 2 vol. ;
PR pour Premiers Romans, Laffont, 2 vol. ; Corr., pour la Correspondance,
Garnier, 5 vol. ; LHB, pour les Lettres à madame Hanska, Laffont, 2 vol. ;
AB, pour L'Année balzacienne, suivie de l'année.
Le calcul des occurrences utilise la Concordance de Kazuo Kiriu (CH, OD,
PR, Corr., Lettres à Mme Hanska et Contes drolatiques), mise en ligne sur
le site de la Maison de Balzac à Paris.
INTRODUCTION Étudier une notion de poétique dans un corpus particulier invite
nécessairement à s'interroger sur l'objet auquel on veut accorder la
primauté. Gérard Genette souligne la difficulté à faire coexister théorie
littéraire et critique, ne voulant ni réduire la Recherche de Proust à un
« lieu d'illustration », ni restreindre les questions de poétique à un
« détour théorique[1] ». De même, voir en l'?uvre de Balzac un simple
réservoir d'exemples destinés à illustrer un travail sur la digression
risque de restreindre l'approche de la notion, trop inexplorée cependant
pour permettre un parcours de La Comédie humaine sans tenter de répondre à
certaines questions théoriques. Approfondir la poétique balzacienne, et
donner par là même un nouvel éclairage sur la notion de digression, voilà
donc le double enjeu de cet ouvrage.
La digression est un objet flou qui se dérobe au discours critique.
Les problèmes de définition sont en partie liés à des questions de
catégorisation : aux côtés de quelles notions placer la digression[2] ?
Absente, à juste titre, des listes de figures (voir ch. I), la digression
est un phénomène hors normes dont l'existence même est parfois remise en
question. Les dictionnaires de langue ne sauraient pallier l'insuffisance
de la théorie. Furetière définit la digression comme un « vice d'éloquence,
où l'on tombe lorsqu'un Orateur sort de son principal sujet pour en traiter
un autre[3] ». C'est là, mis à part l'aspect normatif, la définition
courante de la notion, que l'on retrouve dans le Dictionnaire de l'Académie
française : « ce qui dans un discours est hors du principal sujet[4] ».
Marquée au coin de la subjectivité, une telle définition, qui procède à
l'assimilation entre les notions de digression et de hors sujet, soulève
des problèmes plus qu'elle n'en résout, surtout dans le cadre du genre
romanesque, que l'on ne saurait réduire à un propos ou un sujet (voir ch.
II) - les deux définitions citées, de manière significative, se réfèrent au
modèle du discours oratoire.
Cause ou conséquence de ce flou théorique, la digression a
longtemps été saisie à travers un système axiologique fortement polarisé :
on la condamne, plus rarement on la loue, on ne l'étudie guère. La
stigmatisation de la digression a prévalu à l'âge classique, au nom d'une
conception du discours fondée sur l'ordre, l'unité et la brièveté. A
contrario, Jean Gaudon souligne le « bonheur » de « se laisser conduire par
le romancier[5] », et associe la digression à la pure liberté créatrice.
Mais l'éloge de la discontinuité demeure dans une logique normative, dans
une confrontation du pour et du contre, sans donner les outils nécessaires
à une étude un tant soit peu objective - c'est-à-dire qui se refuse à
juger, du moins avant de chercher à expliquer et plus encore à décrire - de
la notion. Si la rhétorique a accordé peu d'importance à la digression,
sauf pour la condamner, il faut bien avouer que la théorie moderne, pendant
longtemps, ne s'est guère attachée à cette notion. Et ce à tel point
qu'avant même de procéder à son étude, une première étape réflexive
devenait nécessaire : pourquoi un tel désintérêt pour cet objet poétique ?
C'est ainsi qu'en 1970, dans un article essentiel, Michel Charles
montre que « la digression n'existe pas pour la critique[6] ». La critique
littéraire ne peut envisager cette notion sans aller à l'encontre de ses
propres principes, de son mode de fonctionnement qui consiste à trouver une
cohérence au texte, à réduire au maximum la disparate d'une ?uvre : « il y
a contradiction entre le repérage de transgression (redites, obscurités,
digressions...) et la tendance des analystes à tout légitimer dans une
?uvre[7] ». Dans une approche sinon similaire, du moins comparable en ce
qu'elle s'interroge sur le rapport de la théorie littéraire à la
digression, Maurice Laugaa, en 1971[8], déplore le fait que la digression
n'ait pas été étudiée par les méthodes modernes d'analyse, et s'intéresse
aux nombreuses prises de position sur cette notion qui ont existé depuis
l'époque hellénistique jusqu'à l'âge classique. Une telle analyse, au lieu
de rester dans une logique normative, prend justement celle-ci pour objet,
instaurant une distance nécessaire à l'élaboration d'une réflexion
théorique.
Dans le prolongement de ces analyses, la thèse de Randa Sabry
constitue à plusieurs titres une étape essentielle. Cet ouvrage dresse un
panorama de la digression, de la rhétorique grecque à quelques écritures
romanesques du XXe siècle. Après avoir analysé les discours tenus sur la
digression, Randa Sabry montre que la « pratique digressionniste
romanesque » a beaucoup évolué, en distinguant « deux phases de mutation :
une relève du digressionnisme baroque par un digressionnisme critique
[...] ; une relève du digressionnisme critique par un digressionnisme de
l'excursus[9] », tout en focalisant son analyse sur ce digressionnisme
critique si bien représenté par Tristram Shandy. La digression y étant vue
de façon surtout diachronique (même si l'auteur déclare ne pas suivre de
fil chronologique), on peut regretter que le problème de la définition soit
disséminé au fil de l'?uvre[10], et que certaines questions essentielles
telles que les fonctions n'aient pas été abordées. Néanmoins, Randa Sabry a
mis au jour de nombreuses problématiques attachées au phénomène de la
digression. En outre, ce travail de recherche a sans doute été le
déclencheur de quelques réflexions. De manière significative, la revue
Textuel consacre à cet objet un numéro où figure notamment une contribution
importante de Maurice Laugaa qui prend « acte de l'indifférence d'Aristote,
de Genette et de Dällenbach à cette "notion", comme signe d'étran-
geté[11] ».
C'est en revanche dans une tout autre perspective que s'élabore la
réflexion de Pierre Bayard sur Le Hors sujet, consacrée à la digression
proustienne[12]. Cette analyse explore la dimension psychanalytique du
« hors sujet » : la libre association, en sortant du « sujet » (res),
conduirait au « sujet » (ego). Pierre Bayard n'en aborde pas moins de front
certaines questions difficiles liées à l'étude de la digression
(définition, critères, fonction), en engageant un débat avec la thèse de
Randa Sabry. Plus une affaire de temps que de lieu, la digression serait un
intervalle entre la rencontre de l'écart (surprise) et sa réduction par le
lecteur (cohérence retrouvée).
Enfin, plus récemment, Éric Bordas s'est intéressé à la digression
balzacienne[13]. Son approche, stylistique, le conduit à déceler, à côté
des digressions entre les phrases (du récit), des digressions au sein même
de la phrase : seraient digressifs les expansions qui se greffent sur la
matrice narrative (enchâssements propositionnels, hypotaxiques ou apposés),
ainsi que les changements énonciatifs (le fameux « un de ces... qui »
balzacien) qui font passer du cas narratif à la loi extra-textuelle, du
monde de la fiction à ce qui est présenté comme le monde du réel.
Au terme de ce parcours, un constat s'impose : la di