Chroniques pour « Le National - La Bibliothèque électronique du ...

Or on ne corrige point un homme en l'immolant et l'on pervertit les autres ......
pour manger à contrec?ur et pas une minute pour prendre le plus léger exercice
, et cela ..... Que faire ? j'étais pincé : la résignation dans un cas pareil est
sublime. ...... économique dont il est impossible de prévoir l'étendue et les
conséquences.

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Arthur Buies

Chroniques II

Voyages, etc., etc.







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Arthur Buies

(1840-1901)













Chroniques II

Voyages, etc., etc.











La Bibliothèque électronique du Québec
Collection Littérature québécoise
Volume 127 : version 2.0








Du même auteur, à la Bibliothèque :



Petites chroniques pour 1877

Chroniques I : Humeurs et caprices

Lettres sur le Canada

La Lanterne

Réminiscences / Les jeunes barbares










Arthur Buies (1840-1901) a été journaliste et a publié de nombreux
ouvrages, dont Chroniques, humeur et caprices et Petites chroniques pour
1877. Il a, entre autre, fondé un journal éphémère mais qui a reçu un écho
extraordinaire, La Lanterne, dans lequel il donnait libre cours à ses idées
républicaines et anticléricales.

La Lanterne, un hebdomadaire qui parut pendant 27 semaines, était, selon
Marcel-A. Gagnon, qui publia en 1964 une anthologie d'Arthur Buies, « le
plus irrévérencieux et le plus humoristique des journaux du siècle
dernier ».

« J'entre en guerre, annonçait Buies, avec toutes les stupidités, toutes
les hypocrisies, toutes les infamies. »
















Chroniques II


Voyages, etc., etc.








Le premier de l'an 1874




Encore une année de plus : encore une année de moins. Et quand on a
répété ce calcul vingt, trente, quarante, quatre-vingts fois, on s'arrête
tout à coup, et l'on reste muet pour l'éternité.

Le plus souvent même on n'attend pas que l'année soit finie ; il y a
bien peu de gens qui meurent le 31 décembre, de même qu'il y en a bien peu
qui naissent le 1er janvier. C'est sans doute par un esprit de haute
impartialité et pour couper court à bien des réclamations, qu'on a choisi
spécialement deux jours, l'un pour être la fin, et l'autre pour être le
commencement.

Ces deux jours se suivent sans aucune interruption, sans le moindre
intervalle. À la minute, à l'instant qui achève l'un, l'autre commence. Sur
la route du temps, on n'en peut jamais revenir ; il faut marcher, marcher
sans cesse ; courbé, flétri, déchiré aux ronces du chemin, hors d'haleine,
n'ayant plus même ce souffle de l'âme qui est l'espérance, sans ressort,
souvent sans lumière, on marche toujours, éternel supplice, condamnation
implacable !

Eh bien pourtant ! ils sont nombreux, ceux qui se hâtent, se
précipitent, surtout dans notre siècle ; c'est une manière de tromper la
durée. Ne pouvant rien enlever au temps, ni se dérober au terme fatal, ne
pouvant détacher sa vue du gouffre aux éternels mugissements, l'homme veut
s'éblouir, il court en désespéré sur les bords de l'abîme, s'élance vers
l'endroit où il doit être englouti et se jette lui-même en pâture à
l'oubli, comme le gladiateur épuisé se jetait sur le fer pour abréger le
supplice.

Pourquoi compter les années à venir ? Qu'oses-tu souhaiter aux amis qui
t'entourent ? Malheureux ! tu n'as même pas un lendemain à toi ! Tu te
félicites, et déjà peut-être la mort s'apprête à cueillir le souhait sur ta
bouche. « Tu serres la main de tes amis !... prolonge un instant cette
effusion, et peut-être sentiras-tu cette main froide. Le tombeau est sous
tes pas... et tu t'enivres de l'ivresse de la vie ! Eh quoi ! ton passé
même, ce passé que tu appelles le tien, n'est pas à toi, puisqu'il n'est
plus. Toutes tes prières et tous tes efforts réunis ne pourraient t'en
rendre une minute. Tu n'as rien, rien, si ce n'est l'espérance, plus
trompeuse encore que tout le reste, puisqu'elle fait croire à un bonheur
que jamais tu ne pourras saisir.

Cette année que tu appelles nouvelle, que tu reçois avec des transports
trompeurs, avec une allégresse menteuse, qu'aura-t-elle de nouveau pour toi
avant que le premier de ses trois cent soixante-cinq jours ait apporté sa
première veille ? Oublies-tu donc qu'elle vient à toi malgré toi ? que,
voudrais-tu repousser un seul de ses dons funestes, tu n'en as ni le
loisir, ni le temps, ni le pouvoir ? C'est un vainqueur qu'il te faut
accueillir à ton foyer et auquel tu souris pour qu'il te ménage quelques
jours de plus.

L'année nouvelle ! quelle dérision ! Et les hommes saluent cet astre qui
va bientôt éclater sur leurs têtes ! Ils emplissent leur regard de ce rayon
qui va les aveugler ! Ah ! sous tant de visages joyeux, sous ces rires
éclatants, combien n'y a-t-il pas plutôt de larmes, combien de regrets pour
la pauvre année qui s'en va, à toujours insaisissable, à jamais envolée !

Oui, toujours le deuil et l'espérance, côte à côte dans le sentier de la
vie, jumeaux éternels enlacés sur le même tombeau, l'un se parant des
fleurs flétries de l'autre et, l'instant d'après, mourant avec elles. Sur
le berceau de l'année qui s'avance, tombe de l'année écoulée, nous restons,
nous, tristes humains, comme ces crêpes qui tremblent suspendus au seuil
d'un foyer que le mort chéri va bientôt délaisser pour toujours.

La mort ! la vie ! deux choses qui se tiennent l'une l'autre,
inséparables comme les deux années dont l'une part en même temps que
l'autre arrive. La terre que nous foulons aux pieds est remplie de la
poussière des générations éteintes ; nous nous agitons sur des sépulcres ;
nous vivons par la mort d'une foule d'autres existences, jusqu'à ce qu'à
notre tour nous allions engraisser de nos corps inertes ce sol
qu'aujourd'hui nous arrosons de nos larmes...

Offrez, offrez, puisque cela vous sourit, offrez vos souhaits à l'année
nouvelle qui vient accumuler les ruines et hâter la chute de vos
espérances. Pour moi, je me retourne vers l'année qui expire : elle seule
m'est chère, parce que je ne la redoute plus ; je n'avais pas salué son
aurore, mais aujourd'hui je lui crie avec toute mon âme :

« Ah ! pauvre et chère année ! ne t'en va pas si tôt. Reste encore un
jour, une heure : tu emportes trop de nous-mêmes avec toi ; tu emportes
tout, hélas ! et tu ne laisses rien, rien que des regrets. Tu n'avais que
trois cent soixante-cinq jours à vivre ; pour toi, le terme fatal était
marqué, connu d'avance, et dans ton berceau tu portais ton linceul.

« Comme l'année nouvelle qui arrive aujourd'hui, empressée, joyeuse,
rayonnante, les mains chargées de promesses et la figure de sourires, tu
t'annonçais toi-même il y a un an, un an seulement, et déjà tu meurs !
Combien d'entre nous qui t'avaient embrassée avec des bras vigoureux, un
c?ur plein d'illusions, et qui t'ont précédée dans la tombe ! J'ai compté
mes jeunes amis disparus qui avaient plus le droit de vivre que moi, et je
regarde en tremblant l'année qui te suit. Il me semble qu'elle porte un
crêpe mal caché dans les fleurs éclatantes qui la parent.

« Non, je ne puis te saluer avec une âme joyeuse, toi qui viens
m'annoncer une année de moins dans la vie, une année de plus dans
l'amertume des souvenirs. Pour toi je ne prendrai pas cet éclat de fête
dont s'entourent à ton approche les malheureux que tu séduis. Va, je
connais ton faux sourire ; tu viens, comme toutes tes devancières qui
promettent le bonheur, et qui s'en vont avec des c?urs brisés, des
existences flétries ; j'ai trop longtemps salué ces trompeuses aurores ;
j'ai trop longtemps mêlé mes souhaits et mes caresses aux réjouissances qui
les accompagnent. Pour toi, nouvelle venue que tout le monde choie et adore
comme un soleil levant, je n'aurai pas une flatterie, pas un baiser...

« Aujourd'hui, l'on s'embrasse, on se fait tous les souhaits de
bonheur ; on se réconcilie. Ceux qu'une vétille ou un faux amour-propre a
tenus éloignés pendant des mois, saisissent cette bonne chance de se serrer
de nouveau la main ; il est si bon de se rapprocher ! Mais cela dure un
jour, et je n'ose compter les baisers que le lendemain on regrettera peut-
être.

« Si, du moins, année nouvelle, tu venais apporter le pardon à tous les
c?urs qui souffrent, si tu venais vraiment pour couvrir d'un voile éternel
les regrets que nous laisse l'année mourante, alors je te saluerais comme
une bienfaitrice, toi que je crains de maudire.

« Qui sait, pourtant, qui sait... si tu ne portes pas l'espérance ? Sur
ton front vierge, que rien ne ternit encore, n'y aurait-il donc place que
pour le mensonge ? Ne ferais-tu que succéder à l'année qui s'en va, sans
ensevelir avec elle tous les maux qu'elle a semés ? Non, non, viens. Et
qu'importe après tout ! Qu'importe que tu ajoutes ton poids à celui que
nous traînons tous, que je traîne, moi, depuis trente-quatre ans, trente-
quatre ans que je n'ai plus aujourd'hui, et l'avenir !... l'avenir, qu'il
va falloir subir !

« J'ai passé l'été de la vie, mais je cherche en vain maintenant le
soleil qui l'a échauffé. Que me feraient du reste ses rayons impuissants ?
Pourraient-ils arriver jamais dans la nuit de mon c?ur ? Avant même que les
fleurs eussent paru sur l'arbre de ma vie, les orages en avaient déjà
emporté et balayé au loin toutes les feuilles.

« Et maintenant je m'arrête sur le tombeau de ma jeunesse et de ma
force ; je voudrais retenir un instant l'heure qui fuit en ne me laissant
pas même le loisir de pleurer. Mais non, non, inut